CF 128 (mai 1994)
C'est à Saint-Gilles (Bruxelles), dans une de ces rues aux superbes anciennes façades, devant une de ces maisons à haut plafond comme on n'en fait plus maintenant. Une grosse chaussette verte tombe sur le trottoir. La clé est dedans : monte, c'est au deuxième étage !
Dave Evans est comme ça, sympa, sans façons malgré sa longue discographie de guitariste qu'il traîne avec nostalgie, se demandant visiblement pourquoi diable le Canard Folk peut s'intéresser à sa modeste personne. Donc pas vraiment d'interview, mais plutôt une conversation à bâtons rompus où l'on finit par recueillir les renseignements que voici.
Savez-vous que l'enseignement artistique en Angleterre est radicalement différent du nôtre ? Dave est "bachelier" d'un collège des beaux-arts dont la première année d'études est consacrée à une foule de disciplines : dessin, sculpture, orfèvrerie, céramique, ébénisterie, etc. De quoi bien soupeser le choix d'une spécialité ultérieure : on peut entrer pour être sculpteur et finir comme graphiste ! Les trois années suivantes sont consacrées essentiellement à deux spécialités. Dave Evans, lui, s'est spécialisé en céramique et ... en dessin à trois dimensions.
Engagé ensuite à l'université de Loughborough, il y donne des cours de poterie et de guitare picking. Le cours de guitare se donne d'oreille, sans solfège ni tablature : il faut laisser parler ses tripes. Mais donner cours ne lui plaît pas tellement. "Je manque de patience", dit-il en ajoutant : "imagine la cacophonie de dix guitares qui s'accordent dans une classe !".
Il devient alors dessinateur dans une usine de poterie. Cela dure trois ans. Un jour, un ami lui propose de jouer comme deuxième guitare sur son disque. Il accepte et s'y amuse tellement qu'il décide de se faire virer de l'usine.
C'est ensuite les tournées avec des copains dans de nombreux clubs des environs de Bristol et, rapidement, la sortie d'un disque en 1971 : "The Words in Between" (chez Village Thing), où il figure avec de longs cheveux sur la pochette d'un bleu romantique.
Les pochettes suivantes changent complètement de style. Elles sont d'un humour désopilant : "Elephantasia" (en 72) montre un éléphant multi-trompes, "Sad Pig Dance" (en 74) raconte l'histoire complète du petit cochon triste. "Take a Bite out of Live" suit en 76, puis viennent des disques accompagnés de tablatures : il est l'un des quatre guitaristes de "Contemporary Guitar Workshop" (en 78) et partage "Irish Reels, Jigs, Hornpipes and Airs" (LP et CD) avec Davey Graham, Duck Baker et Dan Ar Bras.
Il est également présent sur les compilations CD "Fingerpicking Guitar Delights" (chez Shanachie) et 'The Art of Fingerstyle Guitar" (avec notamment Bert Jansch et John Renbourn). Et il détient l'exemplaire unique du CD qui contient l'enregistrement de son concert au Travers en décembre 92.
C'est que les hasards de la vie l'ont conduit en Belgique, d'abord dans un atelier de poterie à Boitsfort pendant un an, ensuite comme réparateur de guitares chez Hills Music depuis seize ans. Son concert au Travers était exceptionnel : il ne joue plus que rarement en public - bien qu'il ait joué tout récemment avec Pat Kilbride. L'inspiration ne le visite plus tellement ces temps-ci, regrette-t-il.
Que fait-il donc, à part réparer ? Il construit occasionnellement, tantôt une harpe, tantôt une incroyable guitare à 23 cordes pour Bensusan (il a fallu construire spécialement des cordes en Angleterre : la plus grave est le ré en-dessous du mi de la contrebasse !).
Il ne lui manque pourtant qu'un petit déclic pour se remettre à composer. Quand on le lui dit, il vous regarde d'un air qui se veut goguenard : "tu crois vraiment ?". Mais ses yeux sourient à cette idée ...
Contact : 79 rue de Savoie, 1060 Bruxelles, tél 02/534 65 26.
M. Bauduin