CF 169 (mars 1998)

Interview : Gilles Decock

On est allés lui rendre visite, Michel Heijblom et moi, à son domicile, à Overijse. Michel avait fait sa

connaissance grâce à l'ancien café folk Zoete Peper à Ruisbroeck, vers la fin des années 70. Très sympa et accueillant, Gilles est musicien et bricoleur dans l'âme - meme plus que dans l'âme, puisque ce jour-là, il avait un gros pansement à la main droite ...

 

 

Q: Comment as-tu débuté dans le folk ?

R: Par le Mallemolen, vers 75. Je venais du milieu rock, j'avais commencé la guitare et le folk était quelque chose d'un peu exotique. On allait aux concerts surtout le dimanche après-midi, car on n'avait pas l'autorisation de sortir le soir. On écoutait de chouettes émissions radio : Marie Clap'Sabots à la RIB et Goed Volk à la BRT. Il y avait les concerts de Rum. C'était la belle époque. J'ai été récemment au festival de Lavoir, et j'y ai retrouvé la même ambiance sympa, la volonté de rester à petite échelle. C'est la même orientation que je veux pour nos concerts : je n'aime pas les grands spectacles.

 

Q: Tu as fondé le groupe Kaberdoeche.

R: Oui, et j'ai joué dans ce groupe pendant plus de dix ans. Il existe d'ailleurs encore, c'est un trio de sculpteurs qui se donnent rendez-vous régulièrement dans une carrière du Condroz pour tailler, puis pour exposer leurs sculptures et faire de la musique. Le groupe s'est en fait appelé Elégance avant d'opter pour Kaberdoeche. Je jouais de la cornemuse, une moezelzak de Victor Neirinckx en Si bémol. Il n'y avait pas de cours : il fallait regarder, écouter, essayer de reproduire. Il n'y avait pas de sources, pas de recueils, et la musique anglaise était peu connue. Alors on mettait un disque de `t Kliekske ou des Amants Plankets ... C'est ainsi qu'à un de nos premiers concerts, on jouait en première partie de `t Kliekske mais on jouait leur répertoire, alors ils ont dû illico changer leur programme !

 

Q: Où jouiez-vous, et était-ce uniquement des concerts ou aussi des bals ?

R: Surtout des concerts dans des maisons de jeunes, des chansons avec des textes osés. Peter Debaets (épinette et accordéon) cherchait des chansons dans des bouquins, au musée instrumental, etc. Ainsi, en un an, on a mis au point deux programmes. On avait deux ou trois nouveaux morceaux chaque semaine. On travaillait ferme, et on s'amusait. On a peint des pancartes représentant les chansons, de manière à construire toute une animation.

 

Michel: j'ai enregistré un de tes concerts en 82, dans les locaux d'un centre de rééducation sexuelle. Et les textes étaient de circonstance !

Q:  Qui était encore membre de Kaberdoeche ?

R:  A part Peter, il y avait Thierry Verhellen (vielle, accordéon, cornemuse, chant) et Frans Claes (cornemuse et tambour). C'est au stage de Bever vers 78-79 que j'ai fait la connaissance d'autres musiciens. C'était le tout premier stage en Flandre; il était organisé par Herman

Dewit, et Hubert Boone y présentait le résultat de ses recherches. J'y ai découvert la musique française, beaucoup de bourrées. Il y a eu le concert des frères Blanc, où j'ai découvert la vielle. Puis j'ai été à Neufchâteau, où il y avait aussi beaucoup de musiciens flamands. Et puis à St-Chartier : là, c'est vraiment inoui.

 

Q:  Puis tu as quitté Kaberdoeche.

R:  En 89. Je travaillais déjà chez les pompiers à Bruxelles. J'ai quitté le groupe à cause d'une mauvaise entente musicale, et j'ai rejoint Nogal Neig (fondé dans les années 80 par Dominique Michielsen). On a eu beaucoup de concerts dans les boerinnebonden, etc. Mais ce n'était pas compatible avec mon boulot. Je les ai quittés il y a cinq ans, après environ quatre ans. Entretemps j'avais acheté une smallpipe et une uilleann pipe. J'allais chaque semaine dans un club irlandais, c'est ainsi que j'ai rencontré Jean-François Simon, qui jouait du whistle et de la cornemuse (de Rémy Dubois), et ça collait bien ...

 

Q:  et c'est ainsi que Kiekebisch s'est formé.

R:  En fait, des scouts cherchaient un groupe flamand, alors que moi je préférais le style irlandais et surtout écossais (Battlefield Band, Ossian, etc). Alors j'ai proposé à Jean-François Simon de "breugheliser" des airs français, galiciens, hongrois, etc. On aime bien rigoler ! Pour moi, la musique flamande, ça n'existe pas : il y a beaucoup d'influences de toutes sortes. D'ailleurs, lors des concerts, je dis : "celui qui sait dire d'où cet air vient, je lui paie un verre" mais souvent, les gens se trompent et paient le verre !

Actuellement, il y a un troisième musicien : Olivier Wargez, à l'accordéon. Nous avons fait sa connaissance dans un centre multiculturel à Anderlecht, où un joueur de luth cherchait deux joueurs de cornemuse. Olivier jouait surtout du musette. Nous avons joué ensemble aux journées de l'accordéon à Ath et à Tournai (il s'agit de la fête de l'accordéon, née à Lille), il y avait une ambiance géniale. C'est l'avantage de jouer dans des locaux petits, on a la réaction directe des gens. Là, les gens dansaient. Il y a même des Hell's Angels qui sont entrés, et qui se sont mis à danser sur du musette et sur Atholl Highlanders !

Point de vue répertoire, il est bien sûr plus facile maintenant de trouver des airs. On joue plus de musette, c'est l'influence d'Olivier. On joue aussi des compositions de style traditionnel. Par contre, on ne chante pas. Cela viendra peut-être ! Mais j'aime bien parler entre les morceaux, ça met de l'ambiance.

 

Vient l'heure de la visite de l'atelier, et de la démonstration de quelques inventions de Gilles. On avait déjà remarqué un berimbau (arc avec calebasse) dans le salon, mais voici qu'arrive un assemblage d'un seau•à charbon, d'une vessie de vache, d'un manche en bois et d'une corde : ce genre de contrebasse à une corde a été baptisé "bombas" et peut produire des harmoniques comme une trompe marine. Super, bien qu'un peu encombrant. Gilles a toujours beaucoup de bagages pour les concerts !

On remarque aussi plusieurs modèles de cliquettes, des épinettes, un très beau tambour fait avec un fût d'huile et une peau de chèvre. Il commence aussi une harpe écossaise et un crwth ...

 

Je donne cours de cuillers et d'autres percussions à Gooik. J'ai fait un manuel en néerlandais, il va être traduit en français et en anglais. Je vais faire une vidéo sur le jeu des cuillers, du tambour galicien et des cliquettes. J'assemble aussi des cuillers, avec un manche en bois.

 

Q:  Que penses-tu des puristes, et du danger d'en arriver à une culture unique formée d'un mélange d'influences, une sorte de world music ?

R:  Je ne suis pas puriste. Je suis heureux qu'il y en ait, cela permet aux gens de connaître la musique traditionnelle, bien qu'on ne sache jamais exactement comment on jouait jadis. Il faut les deux sortes de gens ... Quant aux mélanges de cultures, ils ont toujours existé, même au médiéval. D'ailleurs je joue maintenant du berirnbau, et j'ai sans doute été le premier en Belgique à jouer du didgeridoo. A l'époque, il était fait d'un tuyau d'aspirateur. Maintenant, j'en construis en tuyaux de plomberie. Mais le vrai didgeridoo est horriblement cher, c'est une branche d'eucalyptus rongée par les termites. Tous ces instruments, ça me passionne. J'ai souvent envie de jouer de la cornemuse à deux heures du matin !

Q:  Ce n'est pas tout, tu as encore un groupe belgo-celte : Na Fir Bolg.

R:  Ce qui veut dire, en gaélique : la tribu des Belges. Avec nos disputes tribales en Belgique, on reste dans le celtique, c'est sûr ! J'ai lu dans un bouquin rédigé par un historien de l'ULB, que des Belges, surtout des Ménapiens, avaient repeuplé l'Angleterre et l'Irlande. Tous ceux qui ont là-bas des noms commençant par M, comme Monaghan (la tourbe) ou Molloy sont des descendants de Ménapiens ! Ils étaient connus comme les plus noirs, les plus mauvais, des chasseurs de femmes, etc : c'étaient les Bolg. Donc on peut jouer de la musique celtique, et on n'est pas si noirs que cela !

Nous jouons du breton, de l'écossais, de l'irlandais, du galicien, et aussi des compositions et des adaptations. Les autres musiciens sont Jean-François Simon (low whistle), Peter Debaets (violon) et Eric Van Den Boogaerde (guitare). Je joue des percussions, des flûtes et du smallpipes.

 

Contact : Gilles Decock, Hengstenberg 5A, 3090 Overijse, 02/688 03 88; Jean-François Simon 02/537 05 51.

Na Fir Bolg jouera le 21/3 à Hoeilaart, au café Boek der Kelten (voir agenda). Jean-François Simon joue régulièrement avec un violoniste 5 cordes au resto écossais Pierre Victoire à Ixelles (463 av. de la Couronne, 02/649 24 29).