CF 196 (septembre 2000)

Caricole

A quinze ans, on est tout jeune et débordant d'énergie, c'est bien connu. Caricole , fondé début 1985, fait donc la fête en ce mois de septembre, probablement le 24 à Fagnolles. Nous avons rencontré Lucien Delvecchio et Philippe Ryelandt dans la maison du premier, à Jumet.

Q : Une des images qu'on retient de Caricole, c'est la restauration du puits du Wicher à Macon en 92, l'année des fontaines. Ce n'est pas courant comme activité pour un groupe de musique.

R : En fait la restauration du puits est l'oeuvre de l'asbl Au Café-Mazout, qui a été fondée en 86 autour du groupe Caricole. L'asbl a pour objectifs la sauvegarde, la mise en valeur du patrimoine culturel, architectural, naturel, etc. Marc Noël a réparé la pompe, nous avons obtenu un subside pour la réparation et pour l'inauguration (en musique, avec le bourgmestre), c'était vraiment gai. L'asbl a organisé quelques mini-stages dans la région de Couvin, notamment du violon avec Olivier Durif, et a publié quelques numéros d'un petit journal qui a vu le jour pour informer les agriculteurs sur le râle des genêts (un oiseau rare en Belgique, trouvé par Philippe). La revue continue actuellement à paraître, subsidiées par les RNOB.

Q : Au Café-Mazout fait bien sûr référence à Café Charbons, le groupe dejean-François Vrod, le violoneux corrézien dont vous êtes des fans.

R: Nous étions trois violoneux de la région de Couvin (Lucien Delvecchio, Philippe Ryelandt et Thierry Legros) qui suivions beaucoup Jean-François Vrod, Jean-Pierre Champeval et Olivier Durif, trois personnes charismatiques, depuis leur premier stage à Neuchâteau en 81. Nous étions fascinés par leur musique mais aussi par leur projet folk: c'était des chercheurs, des passionnés qui en étaient au stade de la diffusion, qui voulaient faire découvrir leur terroir. Nous avons participé à un stage inoubliable en Corrèze : nous avons vu les vieux violoneux corréziens, de plus de 80 ans. Nous les avons vu jouer, mais nous avons aussi vu leurs champs, leurs fermes, leur vie. On touchait les vieux dinosaures avant l'extinction !

Olivier Durif avait créé un endroit, une sorte de nid où se retrouvaient une dizaine de vieux pour jouer. Mais, malgré qu'ils aient des morceaux en commun, c'était impossible de les faire jouer ensemble, chacun avait son style ! Le grand rêve de Durif, c'était de pouvoir expliquer la naissance d'une musique folk dans une région ... mais iln'y est pas arrivé, cela l'a étonné qu'un morceau semble naître en même temps à différents endroits. Grâce à ces trois-là, il reste beaucoup de choses vivantes en Corrèze.

Q : Le début de Caricole, c'est donc trois violons ?

R : Ce sont les trois violons. On a eu aussi l'occasion de faire un peu de danses sur cassettes une fois par mois en 83; à un moment nous étions plus de cent. Françoise Ryelandt et son mari Marc Noël grattaient de la guitare et nous ont rejoints. Puis Marc Noël a appris l'accordéon, ensuite nous avons rencontré Claude Dermine, vielleux et flûtiste.

Nous avons connnencé à jouer un week-end à la maison, où d'autres musiciens sont venus comme Marc Lateur, Dirk Antheunis, Pierre Depret ou Christian D'Huyvetter. Nous avons aussi créé Radio Couvin avec Bemard Theis (qui avait fondé le journal folk Ritournelle). Nous avons joué dans le studio de la radio, on a fait des interviews, on s'est pris un pied monstrueux ! On a répété l'opération, et c'est ainsi que Caricole a démarré en 85 sur un tas de rencontres, de trucs fortuits.

Notre première prestation a été pour les fêtes de la ville de Chirnay. C'était une fête médiévale, un resto avait décidé de faire un repas à l'ancienne, et nous nous sommes déguisés pour la musique. On ne connaissait que 20 morceaux, mais on a joué toute la nuit, c'était fabuleux.

Q : Vous avez aussi lancé les rencontres mensuelles de FagnolIes. C'est pas fatigant tout ça, à la Iongue ?

R: Une des clés de la longévité, c'est le bouche à oreille. Les gens savaient qu'on jouait un dimanche par mois, à des endroits variables; le public était souvent différent. On le faisait pour nous : nous avions envie de nous voir, de boire un coup, de jouer, de s'amuser. Nous en sommes arrivés à avoir un fichier de 2 à 3000 personnes ! Les rencontres ont finalement pris pied dans la salle de fêtes du château de Fagnolles (un château du 12e, en ruines), suite à une animation que nous y avions faite pour une communion et où nous avions rencontré le châtelain qui souhaitait faire revivre le lieu.

Mais nous avons commencé à habiter de plus en plus loin, et à avoir une vie de famille. Il fallait connnencer les soirées plus tôt car nous avions lancé des ateliers instrumentaux. Ces ateliers ont très bien marché pendant quelques saisons, puis parfois il n'y avait personne ... On s'est essoufflés. Les ateliers devenaient une obligation, alors nous avons conservé uniquement la soirée. Nous avons sollicité quelques musiciens il y a trois ou quatre ans, et depuis lors beaucoup de groupes veulent jouer à Fagnolles. Ce n'est donc plus une corvée pour nous, il ne s'agit plus d'être sur le podium toute la soirée sans pouvoir se parler. On profite un peu de ce qu'on a semé.

Une autre clé, c'est que le musicien moteur du groupe a changé au cours du temps, ce qui amène une redynamisation. Ainsi lorsque Françoise Noël s'est mise à l'accordéon et a amené un nouveau répertoire. C'est elle qui reste le moteur actuel, elle nous relance régulièrement malgré qu'elle joue aussi dans d'autres groupes.

D'autre part on ne s'est jamais obligés à répéter, nous avons donc peu de contraintes.

Q : Donc en septembre, c'est la fête ?

R: Nous voulons réunir tous ceux qui ont roulé dans Caricole, faire la fête. On arrive aussi à un gros point d'interrogation car les occupations de chacun deviennent plus importantes : vers où voulons-nous aller ?

Q : On peut voir vos activités dans Caricole, Au Café-Mazout et les rencontres de Fagnolles comme une tentative de redynamisation du Hainaut, une province qui a longtemps été pauvre en activités folk. Est-ce juste ?

R: Nous, on voit ça comme une réussite grâce au bouche à oreille, en dehors des canaux comme Neufchâteau. Le public auquel on s'est adressé était "vierge", car il n'y avait pas grand chose pour s'amuser dans la région de Couvin au début des années 80. On est donc tombés à pic. Quand on y pense, il y a 15 ou 18 ans qu'on explique la scottische, c'est fou ! Maintenant, beaucoup de gens viennent de loin à Fagnolles, on a parfois 30 ou 40 personnes de Reims. Parfois, il n'y a que des jeunes !

Q : Quel est votre répertoire ? Quel genre d'arrangements pratiquez-vous ? Donnez-vous des concerts ? Seriez-vous ouverts à des instrumentsmodernes ?

R: Actuellement notre répertoire est plus influencé par l'accordéon de Françoise Noël, qui aime bien le français. On joue aussi un peu de corrézien, entre autres les violons. On joue essentiellement du traditionnel, sans être de vieux croûtons puristes. Notre manière de jouer est parfois osée. Nous répétons rarement: on se file des cassettes de nouveaux morceaux et on les essaie en fm de soirée, l'arrangement se crée naturellement. Et il n'y a pas de volonté d'avoir un style: c'est de la géométrie variable, une sonorité dîfférente selon le nombre de musiciens.

Tous les instruments sont les bienvenus, mais nous n'avons pas eu la chance d'en avoir d'autres. Mais par exemple, il est arrivé que Michel Jacqmain démarre à la guitare, et que Lucien explique les danses d'une façon rap.

Nous jouons environ trois fois tous les deux mois pour des mariages, des fêtes de village, des institutions pour handicapés, ... Nous ne donnons pas de concerts, mais nous ne faisons pas non plus toujours danser les gens. Nous avons ainsi joué sur des podiums en plein air à Charleroi, à la ducasse de Mons, dans des foires artisanales.

C'est Lucien principalement qui anime les danses. Auparavant, c'était Marc Noël. D'autres commencent à anirner, comme Nathalie, l'épouse de Franco Delvecchio.

Un rêve, c'est d'avoir un pool de musiciens qui se connaissent, et qui pourraient former des groupes sur mesure, selon les circonstances.

Q : Quelle place réservez-vous à la musique wallonne, et que représente-t-elle pour vous ?

R : On en a en pas mal dans notre répertoire, grâce à Thierry Legros: des maclotes, des passepieds, etc. Mais on ne l'a pas jouée à la sauce "pur traditionnel wallon". Cela faisait partie de l'ensemble, sans plus. Nous ne nous sentons pas défenseurs des traditions wallonnes; nous n'avons pas le souci de la perfection, de la recherche. Nous ne sommes ni puristes, ni progressistes à fond la caisse. Un peu par paresse (ce serait du boulot de travailler de cette manière), un peu par nécessité (le manque de temps).

Lucien, né en Belgique mais d'origine italienne, chante quelques chansons en wallon. Il est chaleureux comme s'il était carolo depuis cinq générations ! Il parle wallon, et essaie de l'écrire.

Q : Et les musiques issues de l'immigration ? Il y a beaucoup d'Italiens dans le Hainaut ...

R: On en joue uniquement si on entend des airs qui nous plaisent. On joue probablement plus de breton que d'italien.

Q : D'où vient le nom Caricole ?

Lucien (en montrant les étagères peuplées de représentations d'escargots) : J'ai un jour écrit un poème contenant ce mot, et depuis lors j'ai démarré une collection d'escargots. J'ai aussi composé un morceau qui porte ce titre. Nous avons aussi fait une pièce de théâtre rnarrante, où Marc Noël avait construit un énorme dentier à la tronçonneuse et disait "le monde entier ... mon dentier". Ce dentier est ensuite devenu sa basse aux pieds, une percussion !

Le meilleur souvenir de Philippe Ryelandt : Prague et la Moldau

J'écoutais une émission radio qui faisait la promotion de la Tchécoslovaquie: des façades sensationnelles, la seule ville où on entend le bruit des pas sur les pavés(du fait de la rareté des voitures à l'époque). Onpassait la musique de la Moldau, et j'ai voulu en faire une valse. J'ai appris que des musiciens folk jouaient régulièrement là-bas pour connnémorer le printemps de Prague (c'était après la chute du mur de Berlin,mais la Tchécoslovaquie n'était pas encore libre). J'aiproposé à Caricole de passer une semaine de vacances en Tchécoslovaquie, et de jouer la Moldau sur le pont de Prague. Ce fut l'enthousiasme, et nous avons loué un chalet, en 1990. Nous avons joué notre répertoirechaque jour sur le pont - il fallait en principe payerpour l'emplacement, mais notre démarche a été bienaccueillie. Nous avons vraiment découvert un autre monde. Un soir, nous avons vu un podium vide sur la place de Prague, nous nous y sommes installés en famille et nous avons joué, et le public est venu. A 22heures, ce sont des soldats avec mitraillettes qui sontvenus nous donner l'ordre d'arrêter, faute de quoi ils allaient confisquer les instruments ...