CF 237 (mai 2004)

Jean-François voulez-vous des pois ?

Rencontre avec Marc Possoz, mars 2004

C'est grâce à sa soeur, lectrice du Canard Folk, que nous avons pu retrouver un des membres du groupe "Jean-François voulez-vous des pois ?". Ucclois de naissance, Marc Possoz n'a guère eu de mal, lui, pour trouver le chemin du Canard Folk. Cet ancien instituteur aujourd'hui psychanalyste, acteur en musique, en théâtre et en cinéma, bricoleur, a pris le temps de remonter dans ses souvenirs et de nous laisser farfouiller dans ses archives. Si ce violoniste créatif ne fait actuellement plus de musique, il se dit ouvert à refaire quelque chose ... avis est lancé !

Avant d'être violoniste, j'étais guitariste. J'aimais la poésie, je voulais la mettre en valeur, c'est pourquoi j'ai employé la guitare, et cela a débouché sur de la chanson française. J'étais en Suisse à cette époque, vers 1971. Je connaissais très bien la guitare : je jouais notamment du Brassens, où les accords ne sont pas piqués des vers. Mais je me suis senti "bloqué" par le manque d'interaction avec le public. J'avais aussi fait la connaissance du mouvement du Bourdon en France (qui organisait des ateliers en Suisse), et j'avais beaucoup écouté de folk sans encore en faire. J'ai donc décidé de monter un groupe folk, et d'apprendre le violon.

Pendant un an, j'ai appris le violon en autodidacte. J'ai travaillé d'oreille, en écoutant la justesse de l'instrument : d'abord les cordes à vide, puis les quintes, puis les tierces, etc. D'abord la première position, puis les autres. Mais tu ne peux pas jouer du violon toute la journée : tu joues debout, et il y a de la tension dans le haut du corps. Je me décontractais en jouant du banjo. Si tu penses aux Noirs du Mississipi, dans cette chaleur, tu imagines bien que leur jeu du banjo doit être décontracté ...

En avril 1972, il monte son groupe avec Eric Pauporté (flûte) et Philippe Van Daele (percussions). Le groupe joue d'abord sans nom, puis sous le nom "Les Petits Pois", en référence à une comptine tournaisienne. Eric apporte en effet un répertoire folk de Tournai.

Eric était une personnalité très typée. Haut d'un mètre nonante, avec de longs cheveux blonds, il vivait dans une camionnette et aimait les filles. Aux répétitions, il arrivait souvent en retard d'une heure ou deux.

Eric quittera le groupe. A peu près au même moment, Marc Possoz veut changer le nom du groupe, qui devient, après deux ans et demi, "Jean-François voulez-vous des pois ?". Ce nom en forme de question est destiné à interpeller le public, à promouvoir l'interactivité - une notion dont Marc Possoz souligne à plusieurs reprises l'importance.

Mais il faut remplacer Eric ...

A ce moment, j'habitais dans un truc avec des gens marginaux. J'ai fait la connaissance de la comédienne Hélène Lapiower, dont le frère Alain jouait de la guitare. Alain s'est amené avec une vieille guitare à moitié cassée, il a joué et ça a collé.

Le répertoire a changé : à côté d'une partie folk tournaisienne, nous avons commencé à créer. J'ai composé mon premier morceau dans une communauté en Bretagne (il y avait beaucoup de communautés, et beaucoup de fêtes) et je l'ai intitulé "pom pom" : en pensant au cidre bien sûr, et puis je l'avais composé sous un pommier ...

Dans cette nouvelle formule, Marc chante et joue du violon, ainsi que de la mandoline et de la guitare. Alain joue de la guitare et de la mandoline. Philippe, qui restera encore trois ans, joue des percussions. Le groupe est invité au festival de Champs 74.

La troisième formule voit le départ de Philippe Van Daele et l'arrivée de Philippe Reynaert (oui, celui qu'on voit à la RTBF présenter une rubrique cinéma, et qui à l'époque vivait en communauté) à l'accordéon chromatique et aux percussions, et de Claude "Poney" Gross aux percussions. Les répétitions sont intenses (hebdomadaires) et structurées, on travaille beaucoup. On met au point des duos de mandolines avec basses d'accordéon. On chante à deux voix. Philippe Reynaert joue des basses de l'accordéon à la main gauche et du métallophone à la main droite. Tout un mix de couleurs, donc.

C'est Marc Possoz qui est le plus prolixe en compositions. Le texte, par contre, un peu tout le monde en écrit. Alain, le plus long complice de Marc, a un coeur de rocker : il assure une rythmique stable mais se sent un peu moins à l'aise dans les morceaux intimistes.

Le groupe joue beaucoup : environ un concert par semaine, sans devoir chercher. Il est reconnu par Art et Vie. Il se produit dans des endroits variés : maisons de jeunes, centres culturels, cabarets (il fait l'ouverture du Poechenelle), marchés artisanaux, mariages, festivals en compagnie de groupes de jazz ou de rock ...

J'ai toujours eu une triple vision : le spectacle, les morceaux acoustiques, l'animation. Nous étions probablement les moins passéistes. Nous n'étions pas tournés vers une ruralité pure. On nous a critiqués pour oser s'éloigner de la tradition.

Dans les instruments traditionnels, on peut distinguer deux aspects. L'aspect "racines" est représenté par les bourdons, avec un certain poids. Pensons à l'épinette, dont les bourdons ont tendance à écraser la mélodie. Mais même dans le jeu traditionnel du violon, il y a un aspect de bourdons. L'autre aspect, c'est l'individu : représenté par les aigües, il doit s'harmoniser avec la société (les bourdons), participer à une culture. Plus ce type d'instrument est utilisé, plus le poids de la tradition est lourd. Nous n'avions pas d'instruments à bourdons. Nous nous sommes libérés de ce poids. Le violon s'envole dans des improvisations.

Cela n'empêche pas d'avoir une attitude folk. Le folk va de pair avec les communautés, où l'on peut recréer une vérité, autre que la tradition, par interaction. Il y a dans le folk quelque chose de révolutionnaire, l'idée de dire : merde aux puissants, mais gardons le moral, faisons la fête.

Les mouvements libertaires ne sont pas loin. Mais nous avons relevé encore une fois le mot "interaction". Marc Possoz s'en explique, en même temps qu'il explique pourquoi il tient son violon de manière non classique, à la tzigane. Il affirme être le premier à avoir joué du violon de cette manière en Belgique, après l'avoir vu dans le Bourdon.

Tu as déjà essayé de chanter en jouant du violon ? Ce n'est pas évident du tout, avec ton menton qui tient le violon. Par contre si tu tiens le violon de manière non classique, tu n'es plus coincé par l'instrument, et de plus tu accèdes à la possibilité de voir les gens. On est dans une interaction, au point que des gens étaient parfois étonnés que je les regarde ! L'instrument devient un moyen de participer à un événement collectif, au lieu d'être une abstraction comme le classique l'a fait. De plus tu as la possibilité d'avoir "plus de poignet", avec un archet plus rythmique.

Pensez aux Nord-Africains qui tiennent leur violon verticalement sur les genoux, accordé (je crois) sol-mi-sol-mi : la position n'est pas gratuite par rapport à la culture véhiculée.

Cette période très créative aboutit à la sortie d'un 33 tours en 1981. La pochette a été dessinée par René Hausmann, des Pêleteûs. Ce dernier insistait pour sentir l'ambiance dégagée par le groupe. Ils ont donc été jouer chez lui une centaine de morceaux en une journée !

Le choix des morceaux à enregistrer s'est fait de manière démocratique. Chaque musicien a proposé des morceaux. Il en est résulté une liste de onze morceaux, qui se trouvent tous sur le disque. L'enregistrement s'est fait à Liège.

Avec quel budget, et quelle distribution ?

Pendant toute l'année qui a précédé le disque, nous ne nous sommes pas payés. A part les frais de voiture, les deux mille francs habituels par musicien par concert ont été versés sur un compte, pour épargner. Ainsi les 300 exemplaires du disque n'ont pas été un poids.

Nous n'avons pas fait une bonne distribution. Nous avons déposé des disques ici et là, parfois sans jamais revenir voir. D'autre part nous avons peut-être été victimes d'une malversation : des exemplaires supplémentaires semblent avoir été produits et vendus avant même que j'aie reçu mon exemplaire. Nous avons essayé d'aller à l'émission de Bernard Gillain, mais il a refusé car notre demande venait plusieurs mois après la parution du disque. Enfin, une chose positive : à ceux qui achetaient et appréciaient notre disque, nous proposions qu'ils en prennent deux ou trois en dépôt, pour en vendre à leurs connaissances. C'est ce que j'appelle une manière folk.

Le groupe était alors probablement à son sommet. Il arrivait que les affiches mentionnent un peu plus tôt : "trois musiciens, trois clowns". Trois musiciens, car ils étaient rigoureux dans leur travail. Trois clowns, car ils se défonçaient bien. Cette combinaison, et la complémentarité des musiciens ont fait que le groupe était durable. Tant que ça allait bien, on ne s'en rendait pas compte. Mais être à cinq musiciens au moment du disque (guitare, violon, basse, batterie, accordéon) n'était pas l'idéal : on était à cheval sur les cultures folk et rock, avec une amplification qui était progressivement passée de 50 watts (au début) à 200 watts.

Puis la situation familiale de certains a brusquement changé. La formule qui marchait si bien a dû cesser en 1981.

Pendant un an et demi, Marc Possoz a fait des essais avec plusieurs musiciens : son frère Jean-Pierre, Michel Cliquet, des gens de Nivelles, Francis Van Coppenolle ... et ce fut la fin de "Jean-François voulez-vous des pois ?".

Aujourd'hui Alain Lapiower fait du yiddish. Marc Possoz a fait du violon jazz (il a suivi des cours avec Cattoul). A la question "n'as-tu pas envie de refaire de la musique ?", il répond :

Oui, je suis tout à fait ouvert à refaire quelque chose. Mais il faut savoir que je suis créatif, j'ai envie d'harmoniser richement. Le violon, au contraire de la guitare, est pour moi un instrument de libération qui me permet d'inventer, d'improviser. Il faut accepter ma créativité, former un ensemble stable sans vouloir entrer en compétition.

M.B.