CF 24 (décembre 1984)

Marc Malempré

Marc Malempré animait cet été, pour la première fois, le stage de danses wallonnes à Neufchâteau. Le stage de Borzée a également fait appel à ses connaissances. D'autre part, il est le pilier du groupe Lu Gaw et des "Rendez-Vous du Point d 'Orgue" (ateliers de danse et de musique; concerts). Ou plutôt : il en était le pilier, car ces groupes, de la région verviétoise, ont cessé d'exister voici peu.

Q: Comment est né Lu Gaw, et quel était son répertoire ?

R: En fait, mon père s'occupait d'un groupe qui pratiquait toutes sortes de danses. A sa mort, j'ai repris ce groupe en lui donnant un nouveau nom. Il y avait à la fois des danseurs et des musiciens, ces derniers jouant surtout pour les danseurs du groupe mais aussi parfois à d'autres occasions.

Au début, nous dansions les danses wallonnes sur des enregistrements de Thisse-Derouette. Puis, je me suis intéressé aux manuscrits qui ont servi de base aux publications de Thisse-Derouette. J'ai ainsi remarqué que certains airs avaient été déformés. J'ai alors mené mes propres collectages : collectages de manuscrits, recherches en bibliothèques (danses du XVIIIs., entre autres), rencontres avec des gens.

C'est l'époque où le violoneux Henri Schmitz venait d'être découvert. J'ai été souvent le voir - je joue aussi du violon. Schmitz est venu jouer dans la région, notamment à Polleur.

Grâce à une émission de radio de la RTB Liège, dans laquelle j'avais demandé aux personnes connaissant des danses wallonnes de se manifester, j'ai fait la connaissance en 81 d'une dame de Waterloo, originaire de Coo. A l'aide de ses renseignements, j'ai pu retrouver une quinzaine de personnes qui avaient dansé avec elle lors de fêtes locales. Ces personnes ont fourni un certain nombre de danses.

Un autre collectage a eu lieu à Heyd avec Remy Dubois. Nous y avons rencontré des danseurs en 81.

Un autre exemple, c'est du temps de mon père, il y a une quinzaine d'années. Mon père avait découvert un accordéoniste dans la région de Spa, originaire de Stavelot. J'ai noté les danses mais je n'ai malheureusement pas songé à enregistrer le musicien. Il faut dire qu'à cette époque, j'avais seize ans, et on ne savait pas encore ce que c'était que la recherche ...

A part cela, je ne sais pas si tu as eu l'occasion de feuilleter la Lyre malmédienne, qui contient le résultat des recherches de Fanny Thibout.

On pourrait certes critiquer l'utilisation que Fanny Thibout tire de ses recherches, à savoir des représentations de danses très chorégraphiées, dans une optique de scène, mais à mon avis elle a fait des recherches sérieuses. C'est elle qui est la plus logique, et au moins elle publie ses sources !

Q: D'après tes collectages, conclus-tu à l'existence d'un style wallon de danse ?

R: Oui. Il existe un style particulier, qui peut même parfois varier suivant les régions. C'est un style très sauté, physiquement éprouvant.

Un problème naît du fait que les danses nous ont été présentées par des vieux, qui n'ont plus la vigueur de leurs vingt ans ! Il faut donc parler longuement avec eux, et trouver un excellent danseur qu'on peut suivre plus particulièrement. A Heyd, nous en avons trouvé un que nous avons filmé en vidéo; il avait dansé la dernière fois en 1930 avec Gédéon Fanon, le violoneux.

En tout cas, le style wallon n'est pas du tout mièvre. Je ne comprends pas certains collecteurs qui l'affirment. Et je n'ai pas remarqué qu'il soit semblable au style d'autres pays.

Q: Quelle est la danse wallonne la plus caractéristique : la maclote ?

R: Oui, je crois qu'on peut le dire, malgré qu'elle ne soit pas la seule. Le passepied, malgré sa plus grande difficulté, est également caractéristique.

Sais-tu que des mélodies de passepied ont encore été retrouvées dans les années 80 à Vieuxville, par Remy Dubois ? Elles étaient jouées au saxophone par un musicien de fanfare, mais c'était dansable. Les instruments changent, mais ce n'est pas grave puisque la musique continue.

Q: Quelle est l'origine de la maclote ?

R: Oh, la question fait l'objet d'une bagarre de spécialistes.On peut dire que la maclote est issue d'une contredanse du XVIII siècle : on y retrouve les mêmes figurations, le même esprit, de semblables appellations de figures; les pas ont changé. La réponse précise n'est pas connue avec exactitude. On peut remarquer qu'un air du manuscrit de Jamin porte le titre "Contredanse ou maclote"...

Q: D'où l'importance de connaître les contredanses...

R: Bien sûr. J'ai étudié les contredanses pendant un certain temps, un peu dans le noir, sans avoir l'occasion de confronter mes travaux à d'autres.

Puis est paru le remarquable ouvrage de Jean-Michel Guilcher "Les renouvellements de la contredanse française", un travail aussi important qu'intéressant, qui m'a permis de trouver des points communs. Je connais bien les enfants de Jean-Michel Guilcher, j'ai eu de longs échanges avec eux ...

Il y a bien sûr une profusion terrible de contredanses du XVIII siècle. Je préfère travailler celles qui étaient vendues à Liège (je me dis qu'elles ont été dansées ici), mais elles étaient évidemment répandues partout.

Q: Comment se déroulent les stages et ateliers que tu animes ?

R: J'enseigne toujours d'abord des danses du XVIII, en suivant donc en quelque sorte le déroulement de l'histoire, puisque ces danses ont permis de faire plus tard les allemandes, maclotes, etc. Je trouve utile de pratiquer d'abord ces contredanses.

Ce qui veut dire qu'idéalement, il faudrait une certaine continuité dans les stages. C'est ce qui est arrivé cet été : les gens qui étaient à Neufchâteau voulaient continuer le travail et m'ont fait venir à Borzée.

C'est très chouette, car cela permet d'aller beaucoup plus loin. C'est à la fois plus valorisant pour l'animateur et plus intéressant pour les danseurs.

Q: Lu Gaw faisait des démonstrations de danses ainsi que des bals, sans doute ?

R: Au début, nous proposions toujours un spectacle suivi si possible (s'il y avait la place), ne fût-ce que pendant un quart d'heure, d'un bal. C'était un principe.

Nous le faisions, car la danse est toujours un phénomène communautaire. C'est toujours aussi un spectacle, d'ailleurs : si dans un bal, je suis en train de boire un verre, je suis spectateur. En fait, les gens qui n'aiment pas danser sont ceux qui ne savent pas danser. Regarde autour de toi, et tu en seras convaincu.

Pour ce qui est de Lu Gaw, à la fin nous ne faisions plus que des bals, car c'est ce que nous préférions. Mais ce n'est pas très valorisant. De plus, les gens faisaient moins d'efforts pour bien danser.

Et ainsi, Lu Gaw s'est étiolé. Au début, pourtant, c'était la grosse ambiance, une vingtaine de personnes dans une atmosphère très familiale ...

Q: Ces bals étaient préparés dans les maisons de danse ...

R: C'est ça. Je tiens à dire que les maisons de danse ne sont pas une de mes inventions : c'est suite aux expériences que j'ai vécues en Suède, en Tchécoslovaquie, en Grande-Bretagne, que j'ai mis sur pied ici des maisons de danse.

Une fois par mois, on se réunissait pour apprendre à danser, dans le cadre des Rendez-Vous du Point d'Orgue, en vue des bals. Cela a très bien marché pendant un an. Ensuite, il n'y avait plus assez de gens, peut-être à cause de la mode qui passe ...

En fait, ces maisons de danse étaient faites surtout pour les gens du coin, qui, étrangement, ne sont quasiment jamais venus. Pourquoi diable cela ne marche-t-il pas ici ?

En Suède au contraire,ça marche ! Je me présente à l'entrée d'un bal, on me demande : "Vous prenez un ticket ou un abonnement ?" Et les gens dansent bien, là-bas : ils ont préparé le bal !

Q: As-tu aussi l'impression que les femmes dansent plus volontiers que les hommes ? A quoi est-ce dû, d'après toi ?

R: Il y a moins d'hommes qui dansent, c'est évident. Je crois que c'est dû à ce que l'homme a plus peur du ridicule ... Pourtant, Béjart a dit : l'homme est fait pour la danse, et la femme pour le chant.

Q: Certaines personnes trouvent que pas mal de danses wallonnes sont trop compliquées, et les simplifient donc, au profit d'une certaine spontanéité. Quelle est ta position à ce propos ?

R: Je voudrais tout d'abord faire remarquer l'intérêt dont nos danses sont dignes. Il existe des pas spécifiques à nos régions. Pourquoi ne pas faire un petit effort pour les apprendre ? Sans pour cela rejeter complètement les danses d'autres régions très chouettes ou très proches de notre esprit de danses.

Si je vais jouer de la cornemuse écossaise en Ecosse, cela n'intéressera pas les gens de là-bas. Les Ecossais seraient bien plus intéressés par la cornemuse belge !

Cela ne sert à rien de faire un mélange de différents styles, cela ne sert à rien de tout vouloir unifier.

Pour ce qui est maintenant-de la simplification dont tu parlais, je distinguerais deux cas.

Le premier concerne des modifications par rapport à des manuscrits, ces manuscrits n'étant pas toujours très logiques. On a bien sûr le droit de le faire. On est même parfois amené à inventer une partie de la danse, mais il faut alors renseigner clairement la partie inventée.

Il m'est arrivé aussi de recréer une figure, et même de composer une danse entière. C'est ainsi que ça se faisait auparavant : une personne un peu plus douée inventait, changeait la danse. Mais dans ces cas, je l'annonce toujours dans les stages; ce n'est jamais qu'une proposition que je fais, susceptible d'être modifiée.

Il est indispensable de dire que telle ou telle partie de la danse a été collectée, et telle autre recréée ou inventée pour l'une ou l'autre raison, par exemple parce que la vieille personne qui a fourni les renseignements ne s'en souvient plus.

Ce serait chouette si quelques collecteurs pouvaient ainsi se remettre en question, mais certains refusent. Pourquoi ? Il n'est pourtant pas question de dénigrer leur travail !

Un deuxième cas est lié au nombre de danses que l'on pratique. Jadis, dans les villages, on ne connaissait qu'un nombre limité de danses, une quinzaine peut-étre. Lorsque de nouvelles danses arrivaient, on oubliait petit à petit quelques anciennes. Ce processus se vérifie dans d'autres régions qui sont restées plus proches de la tradition.

Or actuellement, on pratique beaucoup plus de danses. Dans ces conditions, il n'est pas toujours possible de changer constamment de figure. Je ne suis donc pas opposé à cette simplification, pour autant que l'on essaie de garder un style, l'esprit de la danse.

Q: Que penses-tu de l'évolution des bals ? Danse-t-on mieux qu'auparavant ?

R: Au début, c'était l'époque des farandoles et des polkas tamponneuses. Lu Gaw s'est battu pour apprendre un peu aux gens. On a alors constaté une certaine amélioration dans les bals (pas seulement grâce à nous). Mais maintenant, c'est plutôt de régression qu'il faudrait parler.

De plus, certains orchestres jouent sans ccnnaltre les danses. Ce qui m'étonne agréablement, c'est que les stages de musique sont généralement pleins à craquer; alors que le niveau des stagiaires, lorsqu'ils jouent en bal, ne s'améliore pas toujours. J'ai l'impression qu'un peu avant chaque stage, ils sortent leur instrument de sa boîte et font les poussières dessus...

Q: Penses-tu qu'il est possible d'apprendre des danses dans un bal ?

R: Oui, bien sûr, c'est possible. Cela se fait entre autres dans ces pays, comme la Suède, que j'ai cités tantôt. D'un autre côté, des explications trop longues risqueraient de casser l'ambiance.

C'est la raison d'être des maisons de danse. Leur but, c'est de faire acquérir à la fois un répertoire plus grand, et une série de clichés tels que balancés, chaînes, etc. Car il existe des clichés : cela se voit par exemple dans les bals de contredanses anglaises, et encore plus aux Etats-Unis avec le système du "calling". Il existe un vocabulaire de la danse.

Des affiches de bals de contredanses, qui se trouvent au musée du conservatoire de Liège, montrent que les danses étaient annoncées, et parfois même expliquées, de façon à ce que les gens les répètent avant le bal. Yvon Guilcher a refait un bal pareil à Paris, qui a bien marché avec des gens qui pratiquent la danse pendant l'année .

Q: Vois-tu un moyen d'améliorer la connaissance de la danse wallonne ?

R: L'idée n'est pas neuve: il faudrait agir à l'école. A Borzée, nous avons eu la visite d'un groupe d'enfants bulgares, d'une école. Le côté négatif de l'affaire, c'est que seulement les plus doués de l'école étaient venus; mais là-bas - côté positif - le folklore, la danse sont proposés à l'école !

La danse a beaucoup de succès avec les enfants de moins de 14 ans, avant les problèmes relationnels filles-garçons. Ca marche très bien, ils en sont tout fous !

Q: Comptes-tu continuer les maisons de danse ?

R: Non, c'est fini. J'ai trop de travail. J'en ai marre de boulotter pour des gens qui ne suivent pas. Au Canada, on fait couramment 200 km pour assister à une soirée. En Belgique, on considère que 100 km c'est beaucoup !

Enfin, les maisons de danse reprendront peut-être un jour. On finit toujours par se laisser prendre au jeu !