CF 4 (février 1983)
Si vous avez déjà entendu un des deux disques du Brabants Volksorkest, vous avez été sûrement été frappé par leur aspect très sérieux, respectable. "Musique populaire du Brabant", "Musique populaire du Brabant et de Campine" : des titres qui font penser plus à l'ethnomusicologie qu'au plaisir de danser. Les instruments sont traditionnels, les arrangements le sont aussi. Ces gens-là s'amusent-ils vraiment ?
Eh bien oui ! L'autrce jour, j'assistais à l'une de leurs répétitions hebdomadaires. Ambiance relax, bonne humeur. Pendant les pauses, on se rafraîchit le gosier, on bavarde, on joue un peu de folk irlandais ... tout ce qu'il y a de plus sympa !
Les neuf musiciens habitent tous le Brabant flamand. Leurs instruments : cornemuses, violons, contrebasse, clarinette, accordéons, flûtes, épinette, tuba et cornet à pistons.
S'il est vrai que leur musique, dans le choix des morceaux et des instruments et dans le style des arrangements, a une base traditionnelle importante, ce n'est cependant pas un choix délibéré. Il est simplement plus facile de se baser sur des exemples traditionnels, en y ajoutant un cachet personnel.
Hubert Boone constate que la plupart des membres du groupe ne sont pas tentés par l'introduction parmi eux d'une guitare électrique, par exemple, qui de plus poserait un problème de matériel. Par contre, un saxophone ne les dérangerait pas. Et de toute façon, les ressources qu'offre le traditionnel ne sont pas épuisées.
La plupart des recherches de vieux airs et de vieux musiciens effectuées par Hubert Bonne, leader du groupe, ont eu lieu entre 67 et 74. Mais, dit-il, sur 100 mélodies recueillies, un quart seulement valent vraiment la peine d'être jouées.
C'est du résultat de ce collectage qu'est tiré le répertoire du groupe. Les airs les plus récents sont des polkas d'après la guerre de 45, mais de style ancien. A noter que de tels airs sont encore joués actuellement par de petites fanfares : il arrive qu'après une procession, quelques musiciens se rassemblent et jouent principalement des polkas et des valses.
Y a-t-il vraiment un lien entre les musiques brabançonne et campinoise, comme le suggère le titre de leur deuxième disque ? Oui, à l'époque les deux provinces avaient une unité culturelle. Mais on aurait très bien pu aussi s'intéresser aux airs par exemple du Limbourg, ou même de Wallonie : c'est uniquement une question de temps.
Le désavantage de jouer un tel répertoire, c'est que certains le trouvent trop ancien (19e siècle), tandis que d'autres le trouvent trop récent (il contient en effet peu de mélodies modales) !
D'une manière générale, Hubert Boone trouve que de plus en plus de groupes musicaux flamands et aussi wallons (mais le cas de ces derniers est différent, car ils ont toujours été plus axés sur la danse que les flamands) cherchent un répertoire à danser, car ils constatent que les bals intéressent plus de monde que les concerts. Le Brabants Volksorkest, lui, fait tantôt des bals, tantôt des concerts.
Le groupe s'inspire des grands orchestres de bal du 19e siècle. A cette époque (environ 1840 à 1890), le choix des instruments n'était pas souvent très équilibré.
Seuls quelques orchestres, ceux dont il est question, comptaient de 12 à 16 musiciens : violon (qui joue souvent l'accompagnement), violoncelle ou contrebasse, cornet à pistons, clarinette, flûte, trombone, percussions, basson (qui cédera finalement la place au tuba), parfois hautbois, aucun accordéon dans cette formation traditionnelle. Ce n'est qu'après 1890 que l'importance des instrliments à cordes diminuera : on évolue alors vers la fanfare.
En se basant sur ces exemples, on peut dire que la musique traditionnelle belge a deux caractéristiques importantes.
Tout d'abord, elle comporte souvent 3 parties A, B et C jouées dans l'ordre AABBAC, avec modulations dans les quintes supérieure et inférieure ou dans un ton mineur. Elle se base ainsi sur la musique savante et y ajoute un cachet populaire régional. Cela ne manque pas de dérouter maints folkeux étrangers !
Ensuite, c'est une des rares musiques populaires qui soient nuancées : A est joué piano, B forte et C entre les deux. En pratique, l'ambiance du bal aidant, ces nuances ne sont pas toujours respectées, mais l'idée y est ! Et de toute façon, rien n'oblige à s'y tenir, si l'on préfère une autre manière de jouer.
La Belgique a un autre atout : c'est que la tradition instrumentale (jeu et construction d'instruments) y est très bien conservée (on a retrouvé plusieurs cahiers de danses d'anciens ménétriers), mieux que dans certains autres pays pourtant plus archaïques tels que le Portugal (il y existe un seul facteur de cornemuses), la Bulgarie, la Yougoslavie, la Hongrie.
Ainsi, beaucoup de publications parlent de la Hongrie. Pourtant, peu de traditions instrumentales en sont connues (les chants y sont nettement plus répandus), au point que seuls 3 au 4 groupes musicaux hongrois sont de bonne qualité.
Pour terminer, un autre avantage de jouer de la musique traditionnelle (sans oeillères cependant) est de pouvoir présenter des traditions belges à l'étranger. Ce soir-là, le groupe discutait d'un éventuel concert à Paris. Bon voyage !