CF 55 (octobre 1987)

Goevolk

Interview de Henri Vandenberghe

La création d'un club folk en Belgique est suffisamment rare pour qu'on s'y attarde un peu. Henri Vandenberghe, un des fondateurs du 't Sleutelgat à Haren, par ailleurs organisateur, via la ville de Bruxelles, du festival Brosella, crée GOEVOLK dans sa commune de Grimbergen, à la périphérie de l'agglomération bruxelloise.

Q: Pourrais-tu rappeler les origines du 'tSleutelgat ?

R: C'est en mai 75 que le club s'est créé. Il y avait déjà des activités photo à cet endroit. Herman Pint, président du club, jouait de la guitare. C'est grâce à Pint que le club a commencé, pour s'élargir ensuite jusqu'à devenir une grande famille.

A cette époque, je m'occupais du Liedboek, un périodique folk/blues initialement réalisé à l'université de Gand. Dans l'équipe du Liedboek figurait notamment Miel Appelmans (l'actuel disquaire Folkcorner Den Appel), que j'avais rencontré en donnant des cours à Asse.

J'ai commencé à collaborer au Liedboek au moment où l'équipe initiale commençait à s'en lasser. J'ai alors repris la publication à Bruxelles. L'assemblage et l'expédition se faisaient d'ailleurs au Sleutelgat.

Après cinq ou six ans comme rédacteur principal, j'en ai eu un peu marre de perpétuellement courir après des articles, des disques, du papier ... et j'ai cessé de m'en occuper. Miel Appelmans l'a repris pendant deux ou trois numéros, puis y a mis fin. Sur sa lancée, il a commencé son Folkcorner Den Arpel.

Au Sleutelgat, je me suis surtout spécialisé dans la musique, ce oui ne m'a pas empêché de lancer d'autresactivités telles que le volley et le cinéma avant de les passer à d'autres personnes.

Sais-tu qu'au départ, il y avait trente concerts par an ? Il y a eu des musiciens fantastiques, même s'ils n'étaient pas toujours connus. Des groupes ont utilisé la salle pour répéter, comme Garde Sus et, encore maintenant, Zakdoek.

Q: Pourquoi donc viens-tu d'arrêter de t'occuper du Sleutelgat ?

R: Il y a deux raisons. La première, c'est que c'est une maison de jeunes de la ville de Bruxelles, et que je suis moi-même employé par la ville de Bruxelles. Je retrouvais donc dans mes loisirs, la même atmosphère qu'au boulot, ce n'est pas l'idéal.

La seconde, c'est qu'il avait été décidé que, si une relève se présentait, on ne lui laisserait pas le temps de refroidir son enthousiasme.

La relève s'est présentée l'année passée, et on lui a passé la main. Ces gens feront des choses très valables, même s'ils ont d'autres points de vue sur la musique que moi. Ils conservent le lieu et son atmosphère. Moi-même, je me suis engagé à ne pas utiliser ailleurs le nom du 't Sleutelgat.

Q: Quid des finances ? Y a-t-il eu un déficit, couvert par des subsides? Faire venir un groupe connu dans une petite salle, ce n'est pas facile...

R: Non, il n'y a pas eu de déficit. Ne parlons pas des subsides, qui diminuent sans cesse ... D'ailleurs, en pratique, quand la salle était remplie, le cachet du groupe était couvert. On s'en est toujours sorti.

Au bout d'un certain temps, les musiciens te connaissent et te font un prix d'ami. Il est aussi possible de diminuer les frais en organisant une tournée. Certains musiciens ont accepté de diminuer leur cachet au Sleutelgat de 10% chaque fois que je leur trouvais un nouveau concert.

D'autre part, les affiches étaient dessinées par des bénévoles, l'imprimeur ne faisait payer que le papier ... Petit à petit, des rouages bien huilés se sont mis en place.

A noter que les bénévoles ont toujours payé leur abonnement et leurs boissons, même s'ils étaient de service derrière le comptoir. Cela permettait à la fois d'éviter les abus et de préserver une certaine morale : leur présence n'était pas achetée. Et puis, la bière était bonne et bon marché au Sleutelgat !

Q: Le public était-il diversifié, ou plutôt local ?

R: Notre impact était assez étendu. Si nous avons dû refuser des gens au concert des Tannahill Weavers par

exemple, c'est probablement dû à la rareté, sinon l'absence, de clubs folk ailleurs dans le pays. Quelqu'un est même venu de Lille pour voir Andy Irvine !

Par contre, les gens de Haren ne venaient pas régulièrement. On les voyait notamment quand des chansons flamandes étaient programmées. Peut-être avaient-ils peur de ne pas comprendre le folk irlandais ?

Quant aux différents genres de musique, on peut dire qu'il y a eu du jazz populaire, du Dixieland, dès le début. Par contre, des tentatives récentes en jazz moderne ont échoué : il n'y avait que vingt personnes ! Pourtant, ces mêmes musiciens attirent la foule dans des clubs de jazz très connus, où l'entrée est nettement plus chère. Le Sleutelgat n'a pas une image jazz.

Par comparaison, un illustre inconnu en folk attire 80 personnes, pour autant qu'on réalise bien sa promotion auprès d'un public spécifique. Il faut se donner la peine de dénicher un groupement d'Irlandais, un club de femmes hongroises ou une classe de langue russe à Bruxelles, qui seront intéressés par la venue d'un de leurs compatriotes.

J'ai l'impression, depuis quelques années, que la musique acoustique revient à l'honneur. J'ai vu des punkq à Londres, qui faisaient la manche avec une guitare acoustique et une contrebasse, des instruments qu'ils n'auraient peut-être pas arpris à connaître s'il n'y avait eu la crise, qui rend les instruments si chers.

Au Sleutelgat, jai convaincu un jeune de venir voir les Alfonso, nour qu'il voie de près quelqu'un qui joue bien de la guitare. Il a été tellement impressionné qu'il a revendu sa guitare électrique pour une acoustique. C'est une question d'information.

Autre preuve, selon moi, qu'il y a une demande pour ce genre de musique : l'apparition d'une émission folk sur BRT2 le mardi à 18 heures. Il y a aussi Folk op Donderdag le jeudi sur BRT1, ainsi que quelques disques folk dans des émissions non spécialisées après 22 heures.

Q: Pas mal de musiciens se plaignent de ne pas trouver à Bruxelles un endroit où jouer librement. Qu'en penses-tu ?

R: Je crois que ce qu'ils cherchent c'est un bistrot avec podium libre. Il y avait cela au Laboureur, dans le temps. Le problème au Sleutelgat, était que nous étions ouverts seulement lorsqu'une activité était programmée.

Pour répondre à ce souhait, il aurait fallu que les bénévoles jouent le rôle de patron de café spécialement pour ces musiciens. De plus, les concerts étaient arrêtés de mai à septembre; avril-mai, c'est le moment où on commence à vouloir respirer un peu après un an d'activités.

Nous avons proposé à des musiciens de gérer eux-mêmes le local certains jours, sans succès. Ce n'est évidemment pas facile de jouer de l'accordéon en servant de la bière ... Finalement, ce n'est qu'après les concerts que les amateurs se manifestaient.

Dans les grands moments - les festivals Ogen-Blik et Brosella -, la grande famille de 40 - 50 personnes se retrouvait pour collaborer. Mais quotidiennement, il n'y avait que quelques personnes. C'est normal, les gens se marient, ont d'autres activités ...

Q: La danse n'a guère eu de succès au Sleutelgat ...

R: Le premier jeudi du mois, il y avait atelier de danse dans la salle de l'école, une fois avec l'aide de Jabadao, d'autres fois avec l'aide de Garde Sus, etc. Mais il y avait peu de monde. Cela demandait beaucoup d'énergie, de plus le prix de location de l'école a grimpé.

Mais à chaque festival Ogen-Blik, au mois de mai, il y a eu un grand bal. Au départ, Garde Sus cherchait un local pour répéter. Nous leur avons proposé notre salle gratuitement, et en échange ils ont proposé d'animer un bal. C'est ainsi que ça a commencé. Depuis, c'est une sorte de big band folk, très chouette, qui s'est formé, avec Garde Sus, Faro, Zakdoek et d'autres.

Q: Que penses-tu de la présence de plusieurs organisateurs de tournées folk dans notre petit pays ?

R: C'est un bien. Il n'y a pas de rivalité. C'est Léon Lamal qui a tout lancé. Il avait un grand circuit à l'époque, maintenant il a bifurqué vers les grands noms, les grandes salles et les tournées à l'étranger. Il ne s'occupe plus tellement des petits clubs, d'ailleurs il n'y en a plus assez pour que ce soit vraiment rentable.

Les autres organisateurs sont donc complémentaires : s'il n'y a plus de petits clubs, il n'y aura plus de grande salle.

Léon est un organisateur professionnel dans tous les sens du mot. Moi, ce n'est que mon hobby. Rien ne me rend plus heureux que de dénicher un bon groupe peu connu et de pouvoir le présenter à tout le monde. Je ne suis pas collectionneur de timbres, je ne m'occupe pas de trains miniatures ni de voitures téléguidées, mais au niveau temps et dépense pour les loisirs, cela revient au même.

Q: Finalement, qu'est-ce que le Tommemolen, où se dérouleront les concerts organisés par Goevolk ? Et pourquoi avoir choisi ce nom pour l'asbl ?

P: Le Tommemolen est un ancien moulin qui appartient à la commune et est gérée par une asbl. Il est régulièrement loué par des groupements culturels ou sociaux pour des conférences, des soupers, etc. Nous allons le louer une fois par mois, d'octobre 87 à avril 88, pour y organiser des concerts folk.

Avec deux autres locaux, le Liermolen et le domaine de Guldendal, il constitue le Museum van de Oudere Technieken. Il contient donc une partie musée, une écurie remise en état par les gens du musée de Bokrijk, et un bistrot.

Le gérant de ce bistrot est un bassiste free-jazz, qui adore le folk et les musiques ethniques : il dit que c'est là une grande source d'inspiration pour le free-jazz.

Le week-end, quand il fait beau, les gens se promènent et viennent boire une bière de l'abbaye de Grimbergen au Tommemolen, avec une tartine de fromage.

Cela fait dix ans que j'habite Grimbergen. C'est une chouette commune, j'avais envie d'y faire quelque chose. Jadis, le café Grimlach avait une très bonne renommée cour ses concerts folk. Le centre culturel de Strombeek organise de très belles choses, mais je crois que des concerts folk - petite formule style café-théâtre - ne feront que compléter l'éventail. Cela manquait peut-être : on verra.

Des amis (anciens du Sleutelgat) m'aident bien sûr. Tous y mettent de leur poche, car au départ notre caisse est vide : c'est un risque. Nous comptons sur un soutien financier des amateurs de folk pour nous aider à démarrer. Ils y mettront aussi de leur temps, car mine de rien cela prend beaucoup de temps pour bien préparer tout cela.

Quant au nom de Goevolk, c'est le titre d'une ancienne et excellente émission de BRT-Brabant, que son producteur m'a autorisé à utiliser.

Sur le moment, je n'avais pas pensé à Goevollek, le périodique de Galmaarden. J'en ai parlé avec Herman Dewit, cela ne pose pas de problème !

Bon succès donc à GOEVOLK !