CF 8 (juin 1983)
Léon Lamal est bien connu dans le milieu folk. Il y a quelques années, son café le Mallemolen à Hoeilaart proposait un concert chaque semaine. Les gens y venaient nombreux, même d'assez loin en province, sans nécessairement savoir le nom du groupe qui allait monter sur scène. L'essentiel, c'est qu'on savait qu'il y aurait un concert, chaque vendredi; et ce serait sùrement un concert de qualité, comme d'habitude ...
Plus tard, Lamal s'est trouvé devant une alternative : continuer à vivre derrière son comptoir, là où l'action se passait, ou se consacrer au management de groupes et au travail d'agence. Il a choisi la deuxième voie.
Il connaissait bien le groupe Rum, qui s'était produit lors lors du premier concert dans son café en 1970. Il a donc accompagné le groupe dans tous ses déplacements, s'occupant de la sono, en profitant pour nouer des contacts utiles pour l'agence.
R: En fait le café s'est constitué en asbl vers 78-79. Et toute asbl a des problèmes d'organisation. Il fallait trouver des gens suffisamment nombreux pour s'en occuper. D'autre part, il est difficile de remplacer le patron, surtout lorsque ce n'est plus chaque jour la même tête qu'on voit derrière le comptoir. Un certain nombre de gens viennent pour causer au patron ...
De toute façon, il serait très difficile actuellement de tenir un café semblable. Les artistes se font payer plus cher, leurs déplacements sont aussi plus onéreux. Il faudrait une salle d'au moins 200 personnes pour ne pas être déficitaire. Avant c'était plus facile, il y avait moyen de programmer régulièrement des concerts de qualité à bon marché.
Q: Il y a quand même un certain nombre de clubs en Flandre ...
R: Tu sais, jusqu'en 80 ça marchait assez bien pour les clubs. Je leur proposais une série de concerts à organiser, ils choisissaient des noms de groupes dans ma liste, et ainsi en un mois la saison était déjà bouclée !
Mais maintenant ... C'est vrai que les clubs ont toujours été plus nombreux en Flandre qu'en Wallonie, mais maintenant il n'y en a plus aucun. Les seuls qui restent, c'est à Bruxelles et dans les environs. C'est ainsi qu'il n'y a plus de petits concerts en Flandre.
Q: De quels artistes t'occupes-tu actuellement ? Surtout des anglo-saxons ?
R: Non, non. C'est vrai qu'avant j'avais surtout des anglo-saxons, mais pas uniquement. Au Mallemolen, j'ai fait passer entre autres un groupe allemand, un vietnamien aussi, mais c'est un genre de concert peu accepté par les autres organisateurs.
Actuellement, j'ai droit à un concert de Fairport Convention par an. Ils passeront cet été à Dranouter. Sinon, je m'occupe principalement de Rum, De Snaar, Tango et autres Milongas, le Cirque du Trottoir...
Et aussi comme étrangers : Mosalini, Beitelman et Vizöntö. Les autres groupes, c'est occasionnel. J'ai assez de travail comme ça ! En fait, si ma femme ne travaillait pas avec moi, je me limiterais encore plus.
Q: En pratique, c'est quoi exactement, ton boulot?
R: ll y a deux genres de boulot différents : l'agence et le management. Avec Rum et De Snaar, c'est le management, c'est-àdire que je dirige la carrière du groupe, je propose des lieux et des dates de concerts, je m'occupe des disques, des éditions.
L'agence, c'est organiser des tournées à des époques déterminées, assurer une permanence téléphonique ...
Q: Recherches-tu des groupes débutants valables, dont tu assurerais la promotion?
R: Non. Il y a quelques années,j'ai passé beaucoup de temps à voir des groupes débutants.Souvent, ce sont des copains qui jouent ensemble, et un seul d'rentre eux est valable. Si on considère plusieurs groupes, on devrait prendre dans chacun d'eux le musicien valable, et puis mettre ensemble ces différents musiciens pour former un bon groupe.
L'année 69 a été une année cruciale pour la musique en Flandre. Il y avait un concours d'amateurs à Ostende, où pas mal de gens aujourd'hui connus faisaient partie d'autres groupes que maintenant. L'année suivante, une série de groupes intéressants sont nés, dont Rum ...
D'où l'intérêt de rencontres comme celles de Galmaarden. En musique comme dans la vie, il faut chercher sa place. Certains cherchent toute leur vie ...
Q: Quelqu'un qu'il serait intéressant de faire venir en Belgique, c'est l'accordéoniste irlandais Jackie Daly ...
R: (Soupir) Il est très bon, mais il n'y a pas de marché pour des gens comme lui. Il n'est pas assez connu. Maintenant, les organisateurs veulent d'abord voir un artiste avant de l'engager.
Prenons l'exemple de Jody Stecher et Krishna Bhatt. Ils présentent un spectacle de très haute qualité. Ils ont sorti un disque, qui peut donc leur servir de moyen de promotion. Pourtant, ils n'ont fait qu'une petite tournée en Belgique, principalement à Bruxelles.
Peu de gens ont voulu les engager, et peu sont venus les voir. C'est décevant. Ce n'est intéressant ni pour l'artiste qui joue devant une dizaine de personnes, ni pour l'organisateur qui y perd de l'argent, ni donc pour l'agence. Par contre, John Renbourn fait le plein sans problème.
Ajoutons à cela qu'à la radio, il n'y a plus de programmes consacrés au folk, et qu'en pratique seuls les concerts les plus importants sont annoncés.
Ce qui serait possible, c'est d'organiser des concerts à 4.000 F par artiste. Et quand je dis "concert", il s'agirait plutôt d'animations dans de soi-disant cafés-théâtres, où on n'arrête pas le bar pendant le concert, c'est à peine si on arrête le tourne-disques !
Ce n'est évidemment pas intéressant, et de plus l'agence n'y gagnerait pas assez. On prend en effet un pourcentage du cachet de l'artiste. Il faut bien en vivre, c'est notre boulot après tout.
Finalement, il n'y a que dans certains festivals que nous parvenons à pousser quelqu'un de peu connu.
Q: Est-ce que la situation est différente en Hollande ?
R: Les Hollandais ont une vision du folk plus limitée que nous. J'ai fait passer Mosalini, le bandonéoniste argentin, à un festival de 2.000 personnes. La moitié des gens se demandaient ce que ça foutait là !
Sinon, il y a encore un certain nombre de clubs, mais dans quelques années ce sera comme en Belgique. Le patron d'un club y travaille seul pendant quatre au cinq ans puis s'en va.
Q: Et en Irlande?
R: Ah, l'Irlande... Si un bon groupe, comme par exemple Vizöntö, donne quelques concerts dans des bistrots, la nouvelle va se répandre et ils auront vite du boulot pour trois mois !
J'ai été en Irlande. J'entre dans un bistrot. On me demande : "D'où tu viens ? Ah, de Belgique ! Chante-nous une chanson !" Et si tu chantes, alors on est content et on t'offre une Guinness. Mais si tu dis que tu ne sais pas chanter, alors on te laisse dans ton coin et on ne te parle plus, c 'est fini.
En Belgique, par contre, le problème c'est l'après-concert. C'est vraiment rare que des gens sortent leurs instruments et se mettent à jouer. Ils viennent pour écouter, pas pour jouer. Peut-être aussi n'osent-ils pas.
Dans mon Café, il y avait régulièrement un podium libre. Et il y avait notamment un gars, un habitué, qui apparemment ne jouait d'aucun instrument. Un jour, après deux ans, il a sorti une guitare et s'est mis à jouer, mais alors vraiment bien. Les gens le regardaient avec des yeux comme ça !
Q: Est-ce que tu n'as pas de problèmes pour organiser des concerts de groupes flamands en Wallonie, ou l'inverse?
R: Ah ça ! La Belgique est vraiment un drôle de pays. Je suis indépendant, je dois donc recevoir du ministère une licence pour bureau artistique. J'ai d'abord reçu une licence du ministère de la communauté flamande, m'autorisant à engager des artistes partout dans le monde ... sauf à Bruxelles et en Wallonie! Plus tard, j'ai reçu une licence de la région bruxelloise. Enfin, il y a trois mois seulement, j'en ai reçu une du ministère de la communauté francophone, pour la Wallonie. Cette dernière licence est rétroactive, car j'ai travaillé dans l'illégalité pendant 7 ans !
Autre genre de problème : il y a un an, la maison de la culture d'Arlon voulait organiser un concert de Rum.Ils n'ont pas pu obtenir le moindre subside de qui que ce soit. Résultat: le concert n'a pas eu lieu.
Triste, hein?