CF 91 (janvier 1991)
Duo concertante e deconcertante con trombula, chitarra et cetera...
Un poco burlesco, un poco virtuoso, ma sotto voce... Evidamente !
LA GUIMBARDE !... Que ce simple bout de feraille qui semble sorti tout droit de chez un quincaillier puisse donner du fil à retordre aux ethnomusicologueset même aux acousticiens qui tentent d'en percer les secrets, quoi de plus normal ? Mais qu'il soit possible de tirer de cet instrument de musique - car c'en est un - des sons mélodieux et même de lui trouver des répertoires très variés et dans des combinaisons sonores inattendues, voilà qui surprendra plus d'un auditeur. Il est certain, en tout cas, que la découverte est de nature à ne laisser personne indifférent :on est séduit ou irrité.
TOUT LE MONDE connaît, sans doute, la guimbarde en tant que jouet d'enfant ou épice typique pour bande sonore de Western. L'instrument est formé d'une tige de fer de section rhombique, cintrée et pliée, dans laquelle est sertie une languette d'acier trempé qui vibre sous 1'action du doigt. Le son ainsi produit étant très faible, l'instrument est placé contre la bouche qui sert de résonateur. La hauteur du son le plus grave (la fondamentale) dépend des dimensions de la languette et de la qualité de la trempe. Les différentes notes (harmoniques de la fondamentale) sont produites en modifiant la cavité buccale, comme pour former les voyelles o-a-è-é-e-u-i. L'utilisation des sons harmoniques rapproche la guimbarde du cor de chasse et de la trompette naturelle. Toutefois, sur la guimbarde, la fondamentale grave reste toujours audible, comme un bourdon.
CETTE DERNIÈRE particularité ne pose aucun problème pour les airs anciens, que du contraire, car ils sont issus de la musique modale. En revanche, lorsque cet instrument populaire, l'un des plus anciens sans doute, fut confronté à la musique tonale (à partir du 17e siècle, mais surtout au 18e et plus tard), il lui fallut s'adapter ou disparaître. L'utilisation simultanée de
plusieurs guimbardes - généralement accordées en tonique, quarte et quinte - fut la solution adoptée un peu partout en Europe. Même Bruxelles connut son virtuose : le maître à danser Joseph Mattau (1788 - 1867) qui défraya la chronique vers 1835 et fut immortalisé en portrait par J.B. Malou.
AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE, les compositeurs avaient un certain goût pour les recherches de sonorités. C'est probablement cela qui motiva Johann Georg Albrechtsberger, un des professeurs de théorie musicale de Beethoven, à écrire dix concertos pour guimbarde, luth de mandore (ou clavecin) et cordes. Ces oeuvres, dont quatre sont parvenues jusqu'à nous, exigent l'emploi de plusieurs guimbardes, comme décrit plus haut.
AUTREFOIS, lorsqu'il s'agissait d'aller donner la « sérénade » à l'une ou l'autre jolie fille, les jeunes gens avaient une prédilection pour la guimbarde. On prêtait en effet des pouvoirs magiques aux sons qu'elle produisait. Cette pratique était tellement répandue dans certaines contrées et les accents si doux et envoûtants que les virginales vertus s'en trouvaient menacées. Ceci amenait régulièrement les autorités à interdire l'instrument. Tromba d'amore : trompe d'amour!...
EN CETTE ÉPOQUE où chanteurs professionnels et médias bourrent de complexes plus d'une âme musicienne, lui enlevantjusqu'au plaisir de chanter, surtout « devant d'autres », la guimbarde, cet instrument insignifiant, pourra peut-être agir sinon comme une incitation, du moins comme une invitation à la pratique musicale. Très simplement et pourtant avec un horizon quasi illimité... Fût-ce pour passer le temps ou pour chasser les pensées, comme le suggère du reste un des noms de la guimbarde en Italie : spassa pensiere ou scaccia pensieri !
Bernard Vanderheijden