Louis Spagna
Londres 21/11/1949 – Ottignies 8/12/2020
C’est peu dire que le décès de Louis Spagna a créé une onde de choc en Wallonie. Pas seulement dans le petit monde de l’accordéon diatonique et des airs traditionnels wallons, mais aussi de l’accordéon chromatique, du cirque, de la mise en scène …
Musicien, luthier, prof ou clown, Louis séduisait tant par ses compétences que par ses qualités humaines. Les réactions furent si nombreuses qu’il aurait fallu organiser une grande fête d’adieu. Dans les circonstances actuelles dues à ce satané virus qui l’a emporté, cette fête d’adieu ne peut qu’être imaginée, en espérant qu’elle puisse se concrétiser dans un avenir pas trop lointain. Nous avons donc pris l’initiative de créer un groupe Facebook « En souvenir de Louis Spagna » pour rassembler des souvenirs, et pour que des petits mondes entrent en relation et communiquent. Ce groupe est public, donc ouvert à tous. Des membres de la famille en font aussi partie. Créé le 11 décembre à 11h21, le groupe avait déjà 154 membres dix jours plus tard, en bonne partie grâce au travail de Marinette Bonnert (qui vous offre aussi dans la rubrique “A vos boutons” une tablature d’une scottische qu’elle a apprise de Louis il y a 30 ans) et de Marianne Uylebroeck (administratrices en ma compagnie), mais aussi grâce au fait que des membres peuvent inviter d’autres personnes à devenir membres. Une fois n’est pas coutume, on est très heureux que Facebook existe !
Marc Bauduin
Les textes ci-dessous ont été soit reçus directement de leur auteur, soit tirés du groupe public dans Facebook. Nous avons ssayé de noter les crédits photos, mais c’est plus compliqué. Que les auteurs se manifestent s’ils estiment ne pas avoir été reconnus.
Bonjour, Amies et Amis,
Voici l’intervention que j’ai eu l’émotion de proposer pour saluer le départ de Louis pour un autre monde.
Doux bisous respectueux,
Bonjour à Toutes et Tous,
Bonjour, Très Chère Aline, qui a tracé avec lui pendant près de 50 ans.
Bonjour Paolo, Charlotte, Juliette et Bruno, chouettes enfants et bonjour à leurs compagnons et compagnes.
Bonjour à tous les petits- enfants.
J’ai fait la connaissance de Louis en 1974, quand j’ai rejoint l’équipe d ‘animation de la Maison de Jeunes d’Ottignies appelée « le MÉGOT « . C’est vous dire l’imagination que nous avions…
Il m’a été demandé de coordonner cette équipe qui réunissait 25 à 30 personnes tous les jeudis soirs pour élaborer et réaliser la politique de la Maison des Jeunes.
Certains esprits forts, dont Louis, bien évidemment, ont contesté ce rôle et je me suis dit que si je voulais réussir le boulot qui m’avait été demandé, je devais trouver un moyen pour me faire reconnaître par ces personnes influentes.
Le lundi soir, le MEGOT était fermé, jour de repos hebdomadaire…
J’ai donc été chez Louis un lundi et je lui ai proposé de passer la soirée ensemble.
Nous avons écouté de merveilleuses musiques anglaises, flamandes et irlandaises, nous avons beaucoup ri et nous avons décidé de nous revoir le lundi suivant.
Très rapidement, Richard Bossicard, dit BOBO, et puis ALINE, et puis l’une ou l’autre personne nous ont rejoints les lundis soirs.
Et pour justifier de nous rencontrer, nous avons décidé de « jouer aux cartes ».
MERVEILLEUX PRÉTEXTE….
Car en fait, chaque lundi, nous discutons du monde dans lequel nous vivons, de l’imbécillité des personnes naïves, des projets les plus fous que nous pouvions élaborer, de rire à pleins poumons des situations dont nous avons connaissance, et surtout, nous mangeons des tas de bonbons et chocolats absolument déconseillés pour une alimentation saine…
Chaque lundi, depuis 1974, nous nous sommes retrouvés pour passer d’extraordinaires moments. Plus de 20 personnes ont participé à ces rencontres , et encore aujourd’hui, chaque lundi, nous sommes entre 6 à 8 personnes qui nous donnons rendez-vous pour passer la soirée ensemble.
Faisons les comptes : 46 ans fois 52 lundis, cela fait 2.392 soirées partagées avec des personnes qui sont devenues d’extraordinaires amies et amis. Certaines religions ont un jour par semaine pour se réunir, NOUS, C’EST LE LUNDI…
Et si quelqu’un ne sait pas se présenter c’est qu’il est parti très loin, pour des raisons professionnelles, ou qu’il est mort…
Et comme l’a chanté avec AMOUR notre ami Georges Brassens dans « Les Copains d’Abord », quand quelqu’un s’en allait, jamais son trou ne se refermait,…
Il en est de même pour nous…
J’aime profondément Louis.
Je ne suis pas musicien, mais j’ai participé avec lui à des festivals de musique populaire en Angleterre, en France et en Belgique.
Grâce à Léon LAMAL, de Hoeilaart, que Louis connaissait, nous avons fait passer des groupes de musiques populaires de Flandre, d’Angleterre, d’Ecosse, d’Irlande, d’Italie, de France, du Canada ou des Etats-Unis.
Nous avons organisé au MÉGOT des dizaines de concerts de musique « FOLK » qui ont réunis des milliers de spectateurs enthousiastes.
Est-il utile de rappeler que Louis était un accordéoniste hors pair, qu’il entretenait et réparait les accordéons, qu’il en a même imaginé et construit avec un merveilleux complice, qu’il donnait des cours et animait des stages d’apprentissage de ce génial instrument, qu’il a créé et participé à une dizaine de groupes d’animation musicale qui ont eu un succès colossal (Rue du Village, le Cirque du Trottoir, Corvi ,…) et qu’il a créé et élaboré pour plus de dix groupes d’artistes des mises en scène qui avaient un succès extraordinaire.
Nous avons vécu ensemble nos années de jeunes adultes, de jeunes parents, de parents responsables d’adolescents parfois un peu turbulents, de parents voyant nos enfants se lancer dans la vie et de grands-parents qui ont accueilli les compagnes et compagnons de nos progénitures et les enfants qu’ils ont créés…
Nous avons été témoins aux mariages de l’un et l’autre, parrains et marraines de nos enfants, nous avons partagé des vacances ensemble… bref, nous avons réalisé un paquet d’activités passionnantes et enrichissantes qui nous ont permis de vivre une merveilleuse vie.
Je sais que Louis nous regarde tous, pour l’instant. Voilà pourquoi je lui dis « Continue à tracer avec intelligence et sache que nous serons enchantés de te retrouver dans le monde que tu as rejoint !!!
Mon coeur est très triste et je sais que nous devrons intégrer dans nos vies la disparition imprévue et effrayante de notre AMI.
SALUT, LOUIS, tu nous manques déjà à tout péter…
texte ci-dessus de Jean-François de Coster
posté par Richard Bossicart dans le groupe Facebook le 15/12
Le souvenir d’une très belle personne et aussi d’un très beau moment, très particulier lors de la 2ème édition d’Archennes en fête où nous avions réuni une centaine de violonistes, plus quelques autres instrumentistes, avec Raymond Honnay, pour une marche au flambeau dans la nuit. Nous jouions des airs trad. wallons, Louis était tout devant et battait la mesure avec un grand bâton pour aider les musiciens a garder le rythme.
Nous n’étions pas sonorisés, le cortège s’étalant sur plusieurs dizaines de mètres, il fallait bien les coups de bâton bien assurés de Louis pour rester unis! Un moment magique !
texte ci-dessus posté par Benoît Meulemans dans le groupe Facebook le 12/12
Louis qui était d’origine italienne, né en Angleterre et installé à Céroux Mousty depuis belle lurette, avait développé (entre autres) tout un répertoire de musiques & danses wallonnes en s’inspirant du jeu des anciens violoneux comme la mazurka Schmitz Charneux …. Il avait commencé enfant à l’accordéon chromatique avant de passer aussi au diatonique pour jouer avec le groupe de musiques traditionnelles « Rue du Village. » Il y a 40 ans, il m’a appris l’essentiel au diato …. (que j’essaie de retransmettre à mes élèves) : la rigueur, la pêche, le coup de soufflet et la meilleure façon d’accompagner la danse ! Merci Louis ! Je te garde dans mon coeur de musicienne
texte ci-dessus posté par Marianne Uylebroeck dans le groupe Facebook le 12/12
Nous avons perdu un grand musicien et une belle personne.
Louis est venu au monde à Londres le 21 novembre 1949. Fils d’une mère flamande/wallonne et d’un père anglais d’origine piémontaise. À l’âge de 10 ans, il a déménagé avec sa famille en Belgique. Il a obtenu son diplôme de philologie romane à Louvain (le vrai 1968 !), mais toute sa carrière a tourné autour de l’accordéon.
Pendant la période folk des années 70, il était omniprésent avec le groupe Rue du village. D’innombrables concerts, festivals et fêtes de village en Flandre et en Wallonie se sont clôturés par un « bal folk » avec Rue du village. C’est là que j’ai rencontré Louis quand je jouais avec le groupe Violon dingue.
Dans le « bal folk », on dansait jig, scottish, le Bonjour, le Vlegerd…. L’approche était innovatrice. Enfin la musique retrouvait son rôle logique : faire danser et faire la fête ! Le concept était contagieux et inspirant.
Et comme Rue du village ne dédaignait un coup de main du côté flamand, les groupes Garde Sus et Kadril sont venus enrichir le paysage « bal folk ». Avant Rue du village, Louis Spagna était l’accompagnateur régulier d’Alfred den Ouden, et il était donc tout à fait logique que Rue du village nous fit danser lors des premiers festivals folks de Dranouter !
Lorsque le premier membre de la famille Spagna est né en 1977, on m’a demandé de remplacer momentanément Aline, la femme de Louis, au violon… Et je l’ai fait, avec grand plaisir, …pendant 43 ans !
Louis Spagna n’était pas seulement un musicien exceptionnel mais aussi un professeur inspirant. Quiconque a eu la chance d’avoir suivi des cours avec Louis le confirmera certainement. L’aspect dansant et la précision de l’accordéon sont clairement reconnaissables chez la plupart de ses élèves.
Avec la troupe du Cirque du trottoir, Louis a également joué le rôle principal en tant que musicien.
Merveilleux de découvrir comment la musique soutient la prestation de l’artiste de cirque. Le groupe se promène, apparemment négligemment, dans la fête de rue, pour s’arrêter à un endroit et attirer l’attention, d’abord avec un clown avec quelques tours de ballons, mais progressivement avec des numéros qui deviennent de plus en plus costauds.
Une contorsionniste sort soudain d’un panier, un mime apparait, l’Argentin « Lacho » nous surprend avec les « bola s», d’incroyables tours de magie, Joséphine, le cochon dressé… et en attendant, il y a environ 100 personnes qui apprécient le spectacle !
En 1984, le Cirque du Trottoir participe à la toute première tournée du Cirque du Soleil au Canada.
Malgré l’horaire chargé, la Rue du village n’a arrêté ni les bals à l’ancienne, ni les concerts… même à l’étranger.
Qui n’a pas eu l’occasion de voir le spectacle Corvi ? Les artistes musiciens portant chapeau melon et costume noir donnaient un spectacle inoubliable. La musique en était une partie essentielle et Louis s’y taillait un peu la part du lion.
Jusqu’à aujourd’hui, Louis travaillait encore comme metteur en scène, à la Roseraie à Bruxelles, avec des artistes de cirque pour parfaire leur numéro. Beaucoup de ces spectacles ont parcouru le monde.
De 1975 à 1980, Louis participa au groupe Lès Scafoteus d’ Notes. Il y fut amené à jouer de l’accordéon diatonique. Par la suite il est devenu un pionnier de la renaissance de l’accordéon diatonique en Wallonie. C’est aussi dans ce contexte qu’il a été amené à adhérer à l’idée qu’il fallait trouver une alternative aux « boites noires » de Hohner.
En 1981, Bernard Vanderheyden et Louis Spagna se sont lancés dans l’élaboration d’un accordéon diatonique de qualité. L’idée était de mettre au point un instrument dont le timbre se marie bien avec le son du violon, un instrument qui joue un rôle important dans la musique traditionnelle wallonne.
Guido Houben, un ami ébéniste (avec une fibre musicale en plus) s’occupa de la construction, Bernard Vanderheyden, des soufflets et des motifs des galeries et Louis pour le montage et l’accordage des anches. La production fut arrêtée en 1990, avec le départ de Guido Houben.
Quelques années plus tard, l’absence d’un instrument approprié se faisait sentir. Un élève de Louis, Phillippe Laporte, proposa de se lancer, avec l’aide de Louis, dans la fabrication à plus grande échelle et à un prix abordable : le « Libouton ». Après la mort subite en 2005 de Phillippe Laporte ce projet s’est également arrêté.
Après 2006, Rue du village a cessé ses prestations en public. Néanmoins, nous nous retrouvions toujours tous les mois chez Louis et Aline à Céroux-Mousty pour déguster ensemble un thermos de café et un biscuit tout en jouant la musique de danse des musiciens wallons et des vieux recueils de danse des fanfares de 1900 environ.
Bernard Vanderheyden, notre bassiste, a récemment troqué son instrument contre le « piffero » un petit hautbois populaire des Quattro Province une région du nord de l’Italie. Avec Louis ils se sont lancés dans la pratique de ce répertoire de cette tradition encore bien vivante, ce qui, bien sûr, plaisait beaucoup à Louis étant donné ses origines piémontaises !
Pour trouver des enregistrements de Rue du village ! Louis n’était pas fan des technologies d’enregistrement. L’une de ses formules était : « je joue pour les gens, pas pour les machines ». Il faut donc se contenter de quelques plages sur des cd réunissant divers artistes ou groupes, entre autres, d’Hubert Boone, une rétrospective des Feestival à Gooik, la bande sonore de l’accordéon diatonique au MIM de Bruxelles, et un certain nombre d’enregistrements que j’ai réalisés au fil des ans.
Avec Michel Vandermeiren (décédé inopinément en mars 2020), Robin Seifert (talentueux accordéoniste diatonique et flûte à bec) et Jos Debraekeleer, qui a récemment rejoint le groupe, j’ai eu la chance de pouvoir profiter chaque mois des mélodies qui me sont si chères.
Jusqu’à l’issue fatale. Le détestable virus du Covid a trouvé son chemin jusqu’à Louis et les siens. Aucun salut n’était possible pour Louis. Après un mois dans le coma, il est parti tranquillement …
Merci Louis pour tous ces merveilleux souvenirs
!
texte ci-dessus d’Ivo Lemahieu, traduction : Bernard Vanderheyden 10/1
La nouvelle du décès de Louis Spagna m’a remplie d’une énorme tristesse hier soir. Louis était une présence si constante et chaleureuse dans la maison de mes parents depuis aussi longtemps que je me souvienne. Jusqu’à l’une de mes dernières visites en Belgique, Louis nous rendait visite et jouait de la musique avec mon père. Quand je pense à de beaux souvenirs d’enfance, s’endormir sur fond d’une répétition de « Rue Du Village » en fait certainement partie. Les vibrations chaleureuses de la musique et du rire qui montaient vers ma chambre étaient si confortables, si familières !
Les autres souvenirs étaient très différents. Rue du Village nous a fait entrer dans la scène musicale traditionnelle wallonne, qui, dans ma mémoire, était très différente de la flamande à l’époque. Tout était exotique à mes yeux ! Les gens parlaient français, il y avait toujours une énorme quantité de nourriture, souvent aussi exotique que possible dans les années 80 … (les gens avaient l’habitude d’apporter quelque chose de fait maison aux bals et aux autres événements, ce qui a entraîné d’énormes buffets !) Même les villages et les endroits où ils jouaient semblaient exotiques en Wallonie comparés aux Flandres. Les liens de Louis avec le théâtre de rue (Cirque du Trottoir et Corvi) complétaient le tableau. Les souvenirs des clowns musicaux, des serpents qui sortent des boîtes en carton et un cochon-acteur qui s’appelait Joséphine en sont juste quelques-uns. Je me souviens que je voulais absolument un cochon comme animal de compagnie après avoir vu le show du cochon et que j’allais construire une étable pour lui sous mon lit ! Louis a également motivé beaucoup de ses étudiants à participer à l’Ethno que mon père organisait, ainsi de nouveaux ponts entre ces deux cultures ont été créés.
Étant attristée par la nouvelle du décès de Louis et revivant ces souvenirs chaleureux, je réalise maintenant qu’ils étaient magiques. Alors merci Louis ! Quel privilège de s’endormir enfant avec la musique d’un si grand musicien ! Tu vas énormément nous manquer dans la maison de mes parents et dans notre famille. Les vibrations chaleureuses de votre musique et encore plus de votre gentillesse et de votre caractère continueront à être chéries !
Nous étions si impatients de vous accueillir, vous et Aline ici en Irlande en avril dernier, malheureusement le monde a changé, les vols ont été annulés et le voyage a été reporté. Ce n’était pas censé l’être… bon voyage Louis !
Ci-dessous un lien vers le dernier bref concert de Rue du Village (en janvier 2019 à Herent) dans sa formation la plus récente … à la fois en mémoire de Louis Spagna à l’accordéon et de Michel Vandermeiren à la contrebasse. 2020 n’a pas été doux pour le groupe… youtu.be/FYCDki-INoE
texte ci-dessus d’Els Lemahieu posté dans le groupe Facebook le 9/12. Traduction : Google et Marc Bauduin
l
Note de Marianne Uylebroeck relative à la photo ci-contre : Cette photo, avant recadrage sur Louis, a été publiée par le Centre Culturel de Marchin en août 2016 pour présenter un atelier accordéon animé par Louis avec ce très beau commentaire :
» Chromatique, diatonique, d’oreille, sur partition, de la musique traditionnelle des pays lointains à la musette locale… un univers sans frontière.
L’accordéon, c’est de l’air, du grand air du large.
Louis Spagna guide les doigts, les oreilles et les coeurs depuis 15 ans, à Marchin.
Si les moyens ont une fin, la passion n’en a pas ! L’accordéon à Marchin c’est aujourd’hui un collectif autonome qui s’organise autour du « Maestro » avec, au bout des doigts, la quête de l’accord ! »
Chers amis, je suis défaite. Je perds mon maître, dans le sens noble du terme, je perds un père, dans le sens de tout ce qu’il m’a transmis. Le monde de l’accordéon en Belgique est orphelin d’une Figure, d’un Personnage qui aura compté énormément. Quand quelqu’un vous donne ce qui dans votre vie vous apporte le plus, ce qui dans votre vie vous donne le bonheur, le travail, la reconnaissance…. …de cette manière dont Louis donnait l’essentiel de ce qu’est la musique…
Je me souviens des mercredis après midis, quand à quatorze heures il venait à la maison pour la leçon d’accordéon. Je devais avoir 13, 14 ans. Le cours commençait par un quart d’heure de solfège, puis un quart d’heure d’exercices techniques de Czerny au métronome. Louis m’avait prêté son métronome pyramidal en bois. Le répertoire était classique, musette, folk. Il m’a initiée à une large palette de styles. Il portait toujours une chemise à carreaux et sentait le parfum d’un savon poivré. Pendant la leçon, il fumait des cigarillos, c’était l’époque où l’on fumait encore dans les maisons. Parfois, il ne fumait pas, il tenait un cure-dents entre les lèvres. Parfois il se levait et chantait le morceau en exagérant les crescendos, les accents pour m’expliquer les secrets de l’interprétation. Car la technique importait, elle tenait une grande place, mais son message principal, c’était : comment transmettre l’émotion avec un accordéon, comment utiliser le soufflet pour marquer la rythmique, les accents, comment faire vivre un morceau, le porter à sa plus belle expression…Bref, le bonheur de jouer. Vraiment, jouer, pas exécuter…
Louis est peut-être un des derniers témoins d’un monde de l’accordéon qui fait partie du passé. Ce monde de l’accordéon ringard entre guillemets, celui de Homer Lambilotte… Ce Monsieur tenait un café à Wavre. Il jouait de l’accordéon dans son café et donnait cours dans une arrière salle. Je pense que c’est chez Homer Lambilotte que Louis a appris à jouer de l’accordéon. Cet accordéoniste enseignait dans tout le Brabant Wallon. Mon père était aussi allé chez lui. Mais n’a pu continuer car son père ne lui a pas acheté d’instrument. C’était la guerre et mon grand-père était seul avec 5 enfants…
C’était l’époque de l’accordéon des « virtuoses », des « champions », des « as », des bals musette, des accordéons à paillettes… Le monde des dizaines de maisons d’éditions en Belgique dont on trouve encore les partitions dans les marchés aux puces, chez Pêle-Mêle et autres magasins qui sentent le vieux papier. Ces maisons où l’on rentre pour trouver le trésor qui nous remplit de joie quand on revient à la maison et que l’on les déchiffre. Ces partitions qui ont déjà trôné sur le pupitre de nos ancêtres accordéonistes… Ce monde que j’aime le plus, qui est le mien, et qui est aussi celui de Louis.
« La Chapardeuse » de Willy Staquet, « Sa Préférée » de Jo Privat, «Indifférence », mais aussi la Czardas de Monti… , « La Valse aimée » de Homer Lambilotte lui-même…
Dans les années 70-80, il fallait vraiment aimer l’accordéon pour en jouer. Il n’était pas à la mode, sauf un certain répertoire dans les milieux populaires. L’accordéon n’était pas reconnu dans les académies, et encore moins dans les conservatoires. Et pourtant…
Puis l’ère des « diatonneux » est arrivée, malgré la richesse de l’accordéon chromatique qui est l’aboutissement de l’évolution du diatonique… Et Louis m’a fait acheter le fameux petit diatonique Hohner doré et noir. Il m’avait dit : « demande la réduction ! ». Je suis partie à Bruxelles avec des copines, quelque part rue du Midi et j’ai demandé « la réduction ». Je l’ai eue. On pouvait acheter un petit diatonique sol/do pour pas beaucoup d’argent. Je me vois encore essayer l’instrument sur les marches de la Bourse de Bruxelles. Je devais avoir quatorze ans. La découverte du poussé-tiré, un bonheur !
Le monde du folk s’est ouvert. Dernièrement lors d’une procession en musique à Bruxelles, quelqu’un proposait de jouer une mazurka dont j’oublie le nom. Notre amie, Marianne Uylebroeck a fait un non de la tête car c’était vraiment le premier morceau que l’on apprend au diatonique, que Louis nous a à tous appris. Trop simple pour jouer en public. Elle avait raison, quand même ! Et bien, on l’a joué ! On le connaissait tous, car nous sommes des « enfants » de Louis. Je suis sure que nous l’avons joué en pensant à lui. C’était beau, c’était gai. Mi fa sol sol do si la la, ré mi fa fa si la sol sol… Et au deuxième tour, les variations. C’était la Mazurka « Schmitz Charneux » du nom de deux grands violoneux wallons, m’a communiqué Marianne. Ce répertoire wallon qui m’anime plus que jamais dans mes projets musicaux, et que Louis a fortement contribué à diffuser dans notre petit monde folk wallon…
Dans toute la Belgique, et bien au-delà, le groupe de Louis, Rue Du Village avec Etienne, Bernard et bien sur Aline a laissé des traces. C’était l’époque du renouveau du folk. Ils jouaient tous les week-ends dans toutes les maisons de jeunes. Je sais que des cassettes avec leur musique circulent. Si quelqu’un en a, j’aimerais bien une copie. Car Rue du Village n’a pas fait de cd. Marinette Bonnert, lorsqu’elle a été invitée à l’émission Le Monde est Un Village pour en faire la programmation d’un soir, a passé un morceau de Rue du Village. J’ai beaucoup aimé que Marinette ait expliqué à Didier Mellon, le présentateur, que certains musiciens n’enregistrent pas leur musique en studio. La musique est jouée en direct, elle s’envole avec le vent et entre dans les oreilles et le coeur de ceux qui ont pris la peine de venir jusqu’aux musiciens. Je ne sais pas si Louis a été invité à l’émission, car il en avait livré lui aussi des beaux programmes.
J’écoutais tous les mardis soirs l’émission « Attachez vos bretelles » qu’il présentait à la radio. Est-ce que c’était sur la RTB ?
Je le pense… C’était intéressant, riche, varié, beau, une mine d’or pour les musiciens.. Cela devait être fin des années 70 ? Début 80 ? Un jour où Joe Burke et Anne Conroy étaient à la maison, j’ai appelé Louis, et il est venu. C’était un dimanche matin. Joe et Anne ont envoyé quelques réels irlandais. Puis Louis a sorti un accordéon de sa fabrication et a joué des morceaux wallons. Joe Burke n’avait probablement jamais entendu de musique wallonne ! Car si la musique irlandaise est jouée et connue partout dans le monde, que dire de notre musique que le grand public de Wallonie ne connait même pas, ou si peu… C’était amusant d’avoir un dimanche matin autour d’une tasse de thé deux personnages semblables musicalement et physiquement ! Deux Pères Noëls qui se sont tout de suite entendus. Ils étaient sur la même longueur d’onde pour causer de musique trad. Un souvenir très beau…
Le dernier bal où je suis allée pour écouter Louis et pour danser sur sa musique, c’était à la Maison du Peuple à St Gilles. C’était organisé par MuziekPublique. Il s’y produisait en duo, le “ duo Lala “ avec Raymond Honnay. Pas de tricherie, juste de l’authenticité. Puis Louis se levait, descendait de scène et venait parmi les danseurs pour expliquer les pas, les figures d’une danse plus compliquée. Il remontait alors sur scène, et cela repartait. C’était dansant, c’était cadencé, c’était coloré, et ses doigts tricotaient…
Bernard Gillain, journaliste, présentateur de Radio Namur m’avait invitée à une séance d’enregistrement de musique wallonne, et après le travail, il m’a sorti des extraits d’un concert donné par Louis. Je pense que cela avait été enregistré à Charleroi. Quand Bernard Gillain m’a fait écouter ça, j’ai retrouvé ce répertoire de Homer Lambilotte. Cela a dû être enregistré avant le renouveau du folk. J’aimerais tant réécouter ce concert…
Puis il y a eu l’aventure de fabrication d’accordéons diatoniques.
Un jour Louis me téléphone car ils vont lancer un modèle d’accordéon « irlandais ». Il me demande de lui donner les détails techniques de mon accordéon idéal. Les mesures, le poids, la rainure sur le côté, le clavier, ouvert ou fermé etc. Il me dit qu’il va l’appeler « le Raquel » et que j’en recevrai un. J’étais très gênée et en même temps trop honorée. Louis m’appelait régulièrement pour l’élaboration de cet instrument, pour les mesures etc. Un passionné, un perfectionniste… Il m’a invitée dans l’atelier de fabrication à Soumagne. Puis un bon repas était prêt. J’en ai toujours la recette dans mon livre de cuisine sous le nom de «la tajine Libouton ». Malheureusement cette belle aventure s’est brisée dramatiquement avec le départ de notre ami Libouton, le nom aussi de la marque des magnifiques instruments fabriqués avec André Deru aussi.
On n’oubliera non plus jamais les spectacles plein de finesse et d’humour dans lequel Louis jouait. Il y avait le Cirque du Trottoir, Corvi, … le Petit Putsch que j’ai bien été voir 4 ou 5 fois.
J’entends encore le tango joué par le monsieur accordéoniste en chaise roulante, incarné par Louis, une couverture à carreaux sur les genoux qui avait le pouvoir sur ses deux comparses acrobates de l’école du cirque…
Je reçois un jour un coup de fil de Louis qui me dit qu’un nouveau spectacle est créé, qu’il y joue normalement, mais que pour la première, il voudrait en profiter avec Aline et donc il me demande de prendre sa place pour un soir. C’était « Le Souper Fou » de la Compagnie extrêmement Prétentieuse. Ils étaient un peu prétentieux, c’est vrai. Mais ils pouvaient bien, le spectacle était incroyable ! C’était vraiment un souper fou ! Avec des jongleurs, des acrobates, des comédiens et un de ces décors ! J’ai compris de l’intérieur ce qu’était ce milieu dans lequel Louis avait tant de plaisir à travailler.
Pendant que Louis et Aline, ainsi que les nombreux convives mangeaient, je jouais. J’ai joué non-stop pendant toute la soirée. Des salières et poivriers descendaient du plafond. Le sommelier arrivait, saoul, bien entendu, en jonglant avec son plateau. Les bouteilles menaçaient de tomber à chacun de ses pas et je m’amusais à jouer avec lui, selon ses mouvements, ses tourbillons, ses acrobaties, en ralentissant mon jeu, en l’accélérant, en le saccadant comme Louis je pense l’aurait fait. Le dessert était un gâteau à l’orange servi par un Gille de Binche qui se trouvait dedans. C’était un énorme gâteau qui faisait tout le tour du Gille au niveau de la taille. C’était loufoque ! Louis faisait partie de ce monde un peu fou de la création, de l’humour en finesse, de la générosité…
La dernière pièce que j’ai été voir au théâtre de la Montagne Magique il y a quelques années déjà, c’était avec les Argonautes. Louis en avait fait la mise en scène. Il n’y jouait pas lui-même. Dans cette mise en scène, on pouvait presque entendre sa voix. Son humour était très présent, toutes les scènes, le jeu, incarnaient Louis. Il y était autant présent que si il y avait joué en personne. Incroyable. Fort.
C’est mon petit témoignage. J’avais besoin de l’écrire, de vous le raconter car j’ai beaucoup de peine.
Louis est parti là-bas, en laissant par ici des amis tristes. Louis est encore ici aussi, tout plein. Quand les morceaux qu’il nous a appris sont joués, c’est Louis qui continue d’exister ici. C’est la transmission, l’amour de la musique, la passion de la musique qui continue au-delà des générations. Les morceaux enseignés sont éternels, comme ceux qui les ont enseignés. La manière dont nous jouons les morceaux, le style de jeu, l’expression, … Louis est passé par là. Sa « patte » a bien marqué, rempli, donné du bonheur à toute une génération d’accordéonistes.
Merci Maître Spagna, tu m’as transmis une des choses les plus merveilleuses de ma vie.
Aline, Charlotte, Paolo, Juliette, Bruno, et vos enfants, recevez toute mon amitié.
texte ci-dessus de Raquel Gigot, transmis par Marinette Bonnert le 10/12
Beaucoup de compliments me sont parvenus pour cette lettre écrite le jour de son départ, une parution dans le journal « L’Asymptomatique » de Claude Semal. Ces compliments, je ne les prends pas pour ma plume, pas pour moi. Celui de Tom Goldschmidt est si vrai : « Ce monsieur a eu une immense chance : celle d’avoir mené une vie aussi riche et aussi généreuse. Et une chance posthume, qui découle de la première : celle d’avoir inspiré un si beau témoignage“.
texte ci-dessus de Raquel Gigot posté dans le groupe Facebook le 15/12
Quand le compère de toujours lève l’ancre …
Louis faisait partie de ma vie depuis 1975, époque à laquelle, dans la mouvance post-68, il est venu rejoindre notre groupe Lès Scafoteux d’ Notes. La connivence s’est installée entre nous très rapidement. Et depuis, que d’aventures passionnantes et, surtout, enrichissantes dans lesquelles nous nous sommes lancés !
Je me limiterai à n’en citer que quelques unes.
— Le développement du répertoire de danses de bal traditionnelles ;
— L’accordéon diatonique que nous lui avions mis entre les mains et qu’il a commencé à apprivoiser ;
— Le spectacle de Noël en 1978 et 1979 (ombres chinoises, marionnettes…) ;
— Les spectacles de rue et de salle ;
— Les stages avec Almanach populaire (de 1979 à 1982) ;
— Les Ateliers de Louvain-la-Neuve (de 1982 à 1986) ;
— Les ateliers et stages d’accordéon diatonique ;
— Le trio musette avec Guy Raiff…
Sans oublier, bien évidemment, Rue du Village dans lequel il m’embarqua en 1977 et qui fut le creuset de nos projets :
— Le bal à l’ancienne (comme nous aimions l’appeler) qui s’étoffa à partir du répertoire wallon, les cahiers de bal champêtre du Bourgeois et de Glabais, l’élaboration de danses d’après les modèles anciens (anglaises, matelotes, walces, Marie trempe ton pain…) ;
— La rencontre et la collaboration avec les Autrichiens (Die Steyrische Tanzgeiger) pour explorer une bonne part du répertoire dans le Manuscrit Jamin ;
— Le concert mis au point pour les tournées des Jeunesses Musicales et Jeugd en Muziek etc. ;
— Les répétitions mensuelles avec danseurs et les mini stages de danse pour dégrossir le travail des bals à l’ancienne ;
— Les Petits Bals du Samedi Soir (de 2000 à 2006)…
Et puis l’aventure de l’accordéon diatonique, dans laquelle j’ai embarqué Louis, inspiré que j’étais par ce que Rémy Dubois avait fait en fabriquant pour Claude Flagel un splendide boitier en fruitier pour remplacer le boitier noir et doré d’un Hohner. Partant de là, l’idée avait grandi, et il était devenu évident qu’il fallait aussi intervenir au niveau des anches. Avec Louis nous nous sommes mis à repenser l’instrument de fond en comble, mais il est vite devenu évident qu’il fallait un homme de métier pour la fabrication proprement dite. Guido Houben, ébéniste et musicien dont j’avais fait la connaissance en 1977 s’est déclaré prêt à se lancer dans l’aventure avec nous. Le premier instrument est sorti de l’atelier en automne 1985. Malgré le fait que l’expérience se termina début 1990 avec le départ de Guido, le mouvement était lancé. C’est
Philippe Laporte qui reprit le flambeau (vers 1996) bien qu’avec une philosophie quelque peu différente. Le dernier projet entrepris avec Louis est le duo piffero* et accordéon (chromatique) dans la tradition des Quattro Province, cette région du Nord de l’Italie, si proche de son Piémont natal. Nous nous y étions lancés il y a six ans. D’abord un peu en dilettante, puis progressivement avec de plus en plus d’intensité. Une histoire qui finit en point d’orgue, ajoutant encore — comme si cela ne suffisait pas ! — à l’ampleur du vide que Louis a laissé en prenant discrètement un chemin de traverse vers l’éternité…
Forza Louis, facciamoli ballare !…
* Petit hautbois italien.
texte ci-dessus de Bernard Vanderheyden reçu le 15/1
(Tous ces textes d’hommage ont paru dans le Canard Folk de février 2021 )