Jacky Raskin, cornemuseux et fondateur du groupe Viridel, est discret et modeste. Homme d’ouverture, il rejette les étiquettes et s’indigne lorsque des portes se ferment sans raison.
MB : Raconte-moi donc tes débuts dans la musique.
JR : J’ai commencé un peu par hasard. Depuis l’âge de 14-15 ans, depuis que j’écoute Malicorne, j’aime la cornemuse. Surtout la française, pas tellement l’écossaise – du moins ce qu’on en connaît généralement, c’est-à-dire surtout l’aspect militaire – que je sens plus agressive.
A un moment, lors d’un déménagement, j’ai dû trouver un logement provisoire pour deux mois, et j’en ai trouvé un chez Lucien Thonon, qui joue de la cornemuse dans les Maktès. J’ai joué sur son instrument pour en découvrir le doigté, et il m’a présenté Remy Dubois qui m’a fourni une cornemuse d’étude à bouche. J’ai ensuite fait quatre ou cinq stages, notamment avec Eric Montbel et Jean Blanchard, organisés par Remy.
MB : Comment penses-tu qu’on peut se forger un style ? Que penses-tu des stages en général ?
JR : A partit du moment où on connaît les bases, on peut se forger un style en jouant tout seul pour se trouver des sons, en passant des heures dessus. Je suis contre les stages où on jette du répertoire. Je préfère qu’on se focalise sur un ou deux morceaux, sur les différentes manières de le jouer, sur les différents types d’ornements. De plus, je fais une nette distinction entre les stages et les écoles. Si chaque semaine à l’école, le prof te dit de travailler tel ornement, j’ai peur que cela conduise à du mimétisme et à l’uniformisation, j’ai peur que les musiciens soient drillés comme en musique classique, qu’ils aient le même son. Mais je n’attaque personne, je ne fais que donner humblement mon avis. Je suis un illustre inconnu en musique traditionnelle …
MB : Quel genre de musique fait Viridel, et où jouez-vous habituellement ?
JR : Viridel ne fait ni de la musique traditionnelle, ni du jazz. C’est un mélange d’influences. La violoncelliste est une classique pure, le guitariste est classique et jazz, le vibraphoniste est jazz. Nous ne faisons pas de grandes envolées, nous ne recherchons pas la performance pure. Au départ le groupe s’appelait « Ensemble Viridel » pour bien marquer que c’est un groupe à quatre voix. La cornemuse ne s’impose pas, elle n’est pas là pour faire des diarrhées de notes mais bien pour chanter un thème.
J’aime la musique très calme, et notre premier cd l’était. Cela nous ferme des portes : les organisateurs de festivals nous trouvent trop soft, pas assez festifs. Pourtant nous avons eu un très bon succès à l’Ancienne Belgique, malgré que le public était debout : on aurait pu penser qu’ils auraient voulu danser, mais ce n’était pas le cas. En fait beaucoup de groupes jouent dix morceaux rapides et un lent. Mais si de temps en temps dans un festival on insère un groupe qui joue dans une proportion inversée, je crois que les gens l’acceptent. Quand nous jouons « Beautiful town » de Theodorakis en concert, on entendrait une mouche voler. C’est un air très lent, à la limite du sacré et du profane, où le violoncelle excelle. « Le lendemain de la fête », de Bensusan, n’est pas lent mais nous le jouons sans basse ni batterie, ce qui donne sans doute une impression de lenteur. Nous avons bien sûr aussi quelques morceaux rapides, comme cette polka « Sans Soucis », inspirée par un club de marche (en fait, ces gens courent quasiment) de la région de Theux. Je l’ai composée plutôt pour rigoler.
Nous jouons principalement en acoustique, souvent dans des églises, et rarement en milieu de musique traditionnelle.
MB : Jouez-vous principalement dans votre région ?
JR : Cette année, nous avons joué un peu plus en province de Liège. Sinon, nous jouons plus souvent en Hainaut et même à Bruxelles, nous avons aussi joué en Hollande et en Allemagne. En Flandre c’est dur d’entrer dans le circuit, d’autant que notre cd n’est pas distribué. Nous avons joué à Gooik durant le stage, et aussi à Belsele récemment … ‘t Eynde avait un peu peur du prix après notre succès à l’Ancienne Belgique, mais ce n’est pas vrai nous ne sommes pas hors de prix. Nous voulons nous faire respecter – donc on ne joue pas pour rien – mais nous ne sommes pas non plus des stars. Les Tournées Art et Vie imposent un certain tarif mais il est adaptable en fonction du lieu, de la durée … Viridel n’est jamais opposé à une discussion. Ainsi, nous avons joué pour Rif’zans l’Fiesse qui avait des problèmes de trésorerie, eh bien on s’est arrangés.
MB : Comment choisissez-vous les nouveaux morceaux, et comment construisez-vous les arrangements ?
JR : Comme la base est la musique traditionnelle, j’amène peut-être un peu plus de morceaux, mais tous en apportent. Le choix se fait par adhésion commune, par coups de coeur. Il y a aussi environ 50% de compositions : surtout de moi-même et aussi de Roger dans le premier cd, et également d’Eric dans le futur second cd. Quant aux arrangements : souvent celui qui amène la mélodie a une idée d’arrangement et donne des pistes; chacun prend sa partie et travaille à la maison, et cela évolue encore … On met donc du temps, mais le procédé est riche en échanges. En fait, ce n’est pas facile d’arranger. Le vibraphone est accordé à 443 Hz et a une sonorité très particulière.
MB : Où te situes-tu par rapport à la musique traditionnelle wallonne, qu’en penses-tu ?
JR : Je ne connais pas bien la musique traditionnelle wallonne. Pour moi, Verviers Central reste le must. Je ne suis pas fervent des musiques « folkloriques » qui sont jouées de manière figée. Toutes ces musiques traditionnelles (wallonnes, berrichonnes, auvergnates, etc) se déformaient nécessairement par la transmission orale. Et tout d’un coup au 20e siècle, on décide : c’est comme ça qu’il faut jouer… C’est un retour en arrière ! Moi, je range mes compositions dans la musique traditionnelle wallonne. Et ce qui m’étonne, c’est que j’entends souvent dire que Viridel n’est pas de la musique traditionnelle, alors que ces mêmes personnes trouvent génial qu’on ajoute une basse et une batterie en s’orientant vers le rock. Pourquoi montrer du doigt une certaine forme d’interprétation, et encenser une autre parce qu’elle est festive ? Dans ce sens, les Flamands sont beaucoup plus loin, plus ouverts que les Wallons. De plus la basse et la batterie peuvent être un moyen de se vendre (voir la mode des fêtes sur les places de villages avec sono et bar), il y a un danger d’uniformisation.
Ceci dit j’ai fait aussi du rock à la cornemuse, entre autres pour les Slip’s avec Jean-Luc Fonck aux Francofolies de Spa et en studio. C’est marrant et pas gênant, même si ce n’est pas ce que je préfère. En fait, que ce soit clair : je ne suis contre rien, sauf contre le passéisme. La musique traditionnelle ne doit pas être un objet de musée. Pourquoi classifier, étiqueter ? L’homme est un voyageur …
Sur notre cd on trouve « Bonjou Wezenne », un air verviétois que nous jouons de manière un peu slave. Lors d’une répétition, quelqu’un s’est exclamé : vous n’allez pas le jouer comme ça, quand même ! Mais est-ce grave ? L’important est de continuer à jouer la mélodie, qui évolue.
MB : Tu as cependant fait de la musique wallonne dans le passé.
JR : J’en ai fait deux fois avec Roger Hourant pour un festival d’enfants. La deuxième fois, c’était en duo avec un accordéon. L’accordéon et la cornemuse ne sont pourtant pas des instruments de la culture wallonne (à part un peu en Hainaut pour la cornemuse). Il est très clair que la musique wallonne est souvent faite pour le violon, qui est quasi le seul à pouvoir l’alléger. Certaines mélodies conviennent bien à la cornemuse, mais elles ne sont pas légion. Depuis je ne fais plus de musique wallonne, mais ce n’est pas un choix délibéré.
Et avant, j’ai fait le bal avec Asparagus pendant dix ans. C’était très gai, je me suis bien amusé, on a eu des galères et des trucs fantastiques comme tout le monde. Après ces dix ans, j’ai eu un peu l’impression d’avoir fait le tour, j’avais envie de faire autre chose. Mais de temps en temps quand je vais à un bal, ça me gratouille … cela me tenterait de refaire du bal avec des arrangements musicaux.
MB : Finalement, d’où vient le nom Viridel et quels sont vos projets ?
JR : Viridel est le nom d’un ruisseau qui coule en Suède. Notre premier cd est d’ailleurs très aquatique. Un ami avait ramené des photos de Suède, la nature y est superbe. Quant aux projets, on en a tout plein. On a le matériau pour un second cd, mais on n’a plus trop envie de l’autoproduire, pour des raisons de distribution. Nous sommes en pourparlers avec des petits labels. Et nous voulons tourner le plus possible !
Viridel s’est rencontré en 1995 et a commencé à jouer en 1996, avec comme musiciens Patrick Dourcy, Roger Huppermans, Jacky Raskin et Fabienne Venien. Son premier cd « Viridel » date de 1997. Actuellement, le groupe est formé de :
Roger Huppermans : vibraphone, percussions
Eric Kisteman : guitares
Jacky Raskin : cornemuse, flûtes
Fabienne Venien : violoncelle.
C’est dans cette composition qu’ils sont passés en janvier 2000 à l’émission « Le monde est un village » de Didier Melon, qui les avait vus au Winterfolk à l’Ancienne Belgique. Didier Melon a accepté de leur enregistrer un cd de démo qui contient cinq morceaux. C’est vrai que le remplacement de la harpe par les guitares produit un autre son et une autre rythmique.
Contact : Jacky Raskin, rue d’Oultremont 11, 4630 Soumagne, tél 04/377 29 81 04/377 29 81 , fax 04/221 12 83,
e-mail viridel@citeweb.net, site Web viridel.citeweb.net.
(Interview paru dans le Canard Folk en janvier 2001)