Des musiques traditionnelles agropastorales, entre « sacré » et « chamanisme », mythe et réalité…
par J.-L. Schmit – Flûtiste de Pan
Aux origines des peuples et civilisations, tout comme on trouve un mythe fondateur, une référence commune aux «ancêtres du groupe», on pénètre aussi la notion du «sacré», des «rites» de passage et de l’initiation.
Incarnant cette «fonction rituelle» d’intercesseur entre les Dieux et les êtres humains, on y retrouve côte à côte les «héros demi-dieux» de la mythologie, qu’elle soit scandinave, grecque, indienne ou encore extrême asiatique mais aussi les «chamanes guérisseurs», les «bardes-musiciens», les «druides-prêtres».
Instruments rituels autant que de bergers, de villageois, nos flûtes,cornemuses, cordes et percussions ont longtemps conservé dans la mémoire collective le souvenir cette fonction première qui devait permettre aux quelques pratiquants des vieilles corporations de servir à leur tour d’intermédiaires entre divinités et collectivité. La musique, outre le divertissement, revêt alors une fonction symbolique, par ses effets de transe, au même titre que la danse qu’elle accompagnait souvent (la transe étant obtenue par une « suroxygénation » des poumons chez les musiciens « à vent » ainsi qu’une production massive d’adrénaline en plus du vin éventuel à défaut d’autres « drogues »…
Fêtes des moissons, du printemps, des labours, carnavals et autres «sacrements» sympathiques, au-delà de leur dimension de rassemblement populaire et leur bonhomie conviviale ont longtemps présenté une référence précise à une divinité liée au lieu, à l’époque, à un rapport précis aux «gouvernants naturels», voire «surnaturels» qui rythment les saisons. Il fallait bien qu’il y eût explication, irrationnelle ou «magique» à défaut d’autre chose. Et pour ce faire, on eut recours à l’imagination.
L’avancée des sciences ainsi que des techniques bouleversa cette ancienne conception, quoiqu’un vieux fond de croyances venues du fond des âges se manifestât encore bien souvent, par exemple lors des épidémies de peste, de guerres, de tremblements de terre ou d’autres événements liés à des superstitions. Le chaman-sorcier des temps paléolithiques devient dans nos villages le rebouteux du coin. Il conserve donc une fonction précise liée à sa communauté.
Et la musique dans tout çà ? Elle conserve sa double fonction de délassement et aussi de célébration du sacré, mais cette fois non plus seulement à la fête ou au salon des nobles mais aussi via le christianisme, au travers de l’église, de la « musique sacrée », des psaumes chantés à la louange de la divinité. On trouve d’ailleurs dans les ornementations de bien des cathédrales des représentations des instruments agro-pastoraux (lyres, trompes, flûtes, violes … ), symboles de quelques dieux champêtres qui attestent de l’origine du rite.
A la renaissance, ce sont des corporations très «fermées», quelquefois aux rapports assez violents pour cause de concurrence qui exercent le métier de la musique. Un monopole précis est maintenu, grâce au serment, au maintien du «secrêt» et au péril encouru lorsqu’un membre de la confrérie, très hiérarchisée, transgresse les interdits de la révélation des procédés de construction ou d’emploi des instruments (d’où la notion de sacrilège et de punition divine en ces temps fort croyants).
Lors des batailles, des régiments de fifres et tambours galvanisent les soldats, par leur puissance sonore et suggestive, impressionnent l’ennemi, célèbrent la victoire… Dans nos régions tout comme dans les pays de l’est, ce sont souvent des régiments tsiganes de combattants-musiciens qui occupent cette fonction.
Avec le retour actuel et bienvenu de la musique traditionnelle, le regain d’intérêt pour les instruments, le répertoire, la poésie ou la danse et la tendance au régionalisme, nous voyons également réapparaître un nouvel intérêt pour le sacré, le mystique, le druidisme voire la sorcellerie…
En réaction à un excès de matérialisme, à un monde de profit, de désarrois et d’inégalités, c’est tout à fait compréhensible. Mais il faut bien savoir que par le passé et encore aujourd’hui chez certains peuples du globe c’est une fonction précise, que les temps ont changé et que «chamanisme» «bouddhisme» à l’occasion, «magie» pour tout intéressants qu’ils sont dans leur contexte premier, ne riment pas forcément ensemble vus à l’européenne et n’ont alors plus rien à voir avec leur fonction initiale.
Savoir aussi qu’un peuple qui n’a pas été « élévé » dans cette «philosophie» ou cette tradition ne la peut pratiquer telle qu’elle a été conçue. Qu’elle doit certes être adaptée à un besoin réel et qu’au-delà de la nécessité éventuelle, il y a également le risque d’être grugé par des «intercesseurs» imaginaires, «gourous» de pacotille soumis à leur égo, au délire de puissance ou des illuminés… les gens cherchent des réponses en plus des distractions, quelquefois des «guides» et des initiateurs. La musique est un chemin. Le «sacré» éventuellement un autre qui peut l’accompagner, pour qui s’y intéresse mais comme en toute chose il y a une éthique nécessaire, une nécessité aussi de savoir garder pied dans la réalité… un risque de phantasme, de récupération, de monopole par référence suprême au soi-disant «sacré» par de faux-initiés sectaires et manipulateurs… Les artistes de tous temps ont été requis pour exprimer les tendances profondes de leur communauté, pour orienter aussi des courants de pensée… Ca donne à réfléchir car l’excès nuit en tout dans le matérialisme comme dans l’imaginaire et que pour recréer une vraie harmonie, il faut un équilibre … et là-bas comme ici, l’habit ne fait pas forcément le moine ! Le «show» par contre est bien universel…
Bonne musique à tous.
J.-L. Schmit
(article paru dans le Canard Folk en janvier 2001)