Le Canard Folk a lancé sur Facebook un appel à la rédaction de textes en hommage à André et en soutien à sa famille. Outre les nombreux signes et commentaires qui ont surgi sur Facebook, nous avons reçu plusieurs beaux textes (de Jean-Christophe Van Dam, Jacques Leininger, Marc Maréchal, Jean-Paul Chemin) que nous reproduisons ci-dessous. Surtout, sa compagne Joëlle Massin a accepté de nous parler plutôt de sa personnalité. Elle ajoute cette phrase dans son mail :
Les filles et moi sommes ravies de voir qu’il aura sa place dans le Canard, journal dont il a toujours été un ardent amateur et dont la fin de la version papier l’avait tant attristé.
Par Joëlle Massin :
Né à Verviers le 12 aout 1953.
Il a habité rue du Canal à Ensival jusqu’à ses 18 ans. Après son service militaire il a pris son envol vers Gembloux pour le boulot et le Brabant wallon comme habitant où il a rencontré Joëlle, son épouse depuis plus de 40 ans. Papa de 3 filles dont il était plus que fier et grand papa de 5 petits enfants.
Ancien scout, il a toujours gardé les valeurs de cet engagement jusqu’à la fin de sa vie : service, engagement, amour, respect de la nature et intégrité dans ses engagements. Fidèle en amitié, il a gardé des contacts avec Verviers et son équipe de clan qui s’est transformée au fil des années en équipe de foyer. Il allait encore toutes les 5 à 6 semaines en réunion avec Joëlle.
La musique fut pour lui toute sa vie. D’épinette en épinettes, il a évolué avec celles-ci tout en restant fidèle aux traditions qu’il chérissait. Il a joué beaucoup d’airs traditionnels en respectant leur structure, mais le fait que beaucoup d’entre elles se transmettaient de manière orale lui a permis des interprétations réalisées avec toute sa sensibilité. Il a marqué des générations de joueurs de tous les âges.
Il a aussi composé des airs à lui comme la « polka Chakra » et d’autres qu’il n’a jamais publiés.
André s’est aussi investi dans la vie de son village, il a été conseillé communal, conseillé actif au CPAS, secrétaire et trésorier de biodiversité, responsable de l’AOP de la paroisse et membre actif dans le conseil paroissial.
Il était aussi collectionneur de plein de choses autres que les épinettes dont il possède une fameuse série, mais aussi les instruments de tous genres, les timbres, les capsules de champagne, les pièces de monnaie, les jouets mécaniques, les sous-bocs, les livres sur la musique, le scoutisme, certains auteurs belges, les cartes postales et…
Epicurien, il aimait la bonne chère, les fêtes et les réunions conviviales.
Voilà ce que je peux dire de lui, de sa vie et de ses passions
Par Marc Bauduin :
Né à Verviers le 12/8/1953, décédé à St-Géry le 9/1/25, André Deru laissera probablement une image de folkeux du Brabant wallon spécialiste de l’épinette, attaché à la musique wallonne. Souriant, jovial, toujours prêt à rendre service aux amis et pour les bonnes causes, avec une coiffure qui inspira le choix d’un nom pour un de ses groupes (« Epi Net Quartet »), on retiendra quand même aussi que ce natif de Verviers a fait partie d’un groupe de la région, quasi mythique dans le monde folk : les Zûnants Plankets, fondé par le vielleux Jacques Fettweis en 1971. A cette époque, il fallait quasiment tout inventer, se débrouiller en matière d’instruments de musique (réparation et même construction) , de répertoire, d’arrangements … André a rassemblé toute une série de documents dans le but de publier un bouquin sur Jacques Fettweis, mais ce projet n’a pas abouti.
Les Macloteus furent créés en 1976, initialement pour accompagner un groupe de danseurs et devinrent vite une quasi institution de par leur présence régulière à certains événements comme la fête médiévale de Braine-le-Château.
En 1987, c’est la création du duo d’épinettes Salon Ambroisine avec Thierry Legros. Au menu : musique traditionnelle wallonne et compositions sous forme de concert ou d’accompagnement de stages, mais aussi une exposition « L’épinette en Wallonie et alentours ».
En 2015, André fonde Epi Net Quartet avec Thérèse Gras, Dominique Namur et Virginie Mélotte, quatre épinettes réunies sous un nom qui est un jeu de mots sur la chevelure rebelle d’André.
Mais il n’y a pas que les groupes, bien sûr. En 2007, il participe à un débat sur les boombals organisé par le Canard Folk en compagnie de Wim Claeys, Luk Indesteege et Christian D’Huyvetter. On ne compte plus les stages d’épinette qu’il a animés, notamment en Flandre à Galmaarden (qui déménagera plus tard à Gooik).
En 2006-2008, en compagnie notamment de Sabine Jaucot, Jacqueline Servais, Walter Lenders, Albert Rochus, Thierry Legros et moi-même, il participe à la définition d’un catalogue de documentation folk. L’idée est de pouvoir répondre aux demandes de ceux qui voudraient consulter un bouquin (ou un manuscrit, une affiche …) sur les musiques, chants et danses folk, voire sur le folklore, sans que ce bouquin quitte son propriétaire. La structure du catalogue a été définie dans Excel, ensuite chacun a rempli le fichier avec le contenu de sa bibliothèque, et on a tout rassemblé. L’étape suivante consistait à rendre tout cela accessible via internet. Cela a été fait … et a suscité de l’intérêt au début, avant de tomber dans l’oubli, comme tant de centres de documentation. Aujourd’hui l’application internet n’existe plus, mais les fichiers Excel sont en principe toujours là. Le mien a continué à évoluer, et on y trouve toujours les quelques centaines de lignes qu’André y avait introduites pour refléter le contenu de sa bibliothèque …
Lorsque le fabricant d’accordéons Li Bouton est décédé, André, touché par son histoire et voulant préserver l’existence d’accordéons wallons, a décidé de s’impliquer dans ce métier.
Terminons par une anecdote. Au festival de Marsinne en 2023, André tenait un stand de troc et de vente d’objets divers qui pouvaient être déposés par le public. Le stand, qui n’avait pas été annoncé par les organisateurs, était peu fourni. André avait donc le temps de papoter avec l’un ou l’autre. Je me trouvais au stand de la Boîte à Musique, juste en face de lui. Il s’aidait d’une canne pour marcher. Moi aussi ! Nous avons joyeusement improvisé quelques passes d’escrime avec nos cannes. Pourquoi faudrait-il toujours se prendre au sérieux ?
Hommage à André Deru : Le vol du Bourdon par Jean-Christophe Van Dam
On a essayé de nous le voler, ton bourdon, André. Pourtant, on n’oubliera de sitôt le jeu de tes mains qui dansent sur le manche, avec la même vivacité du sillet au chevalet. D’entendre ton médiator taquiner les cordes. Ton coup de main qui fait vibrer ta table et craquer les éclisses.
A Toi, le musicien, le collectionneur, le pédagogue, l’animateur, l’historien des cordes pincées, l’ami de longue date, le papa à filles, le grand-père et – sans doute ton titre préféré – le macloteu tant aimé, nous sommes obligés de te regarder partir.
Avec ton épinette, tu étais bien connu des stagiaires des week-end Folk à Borzée et à Massembre. Lors de la fête des 40 ans des « weekend Folk » (Borzée, Massembre), Luc Larue avait rappelé que tu étais présent au tout premier de cette longue série de stages. En qualité d’animateur, déjà.
Impossible de me souvenir de toutes les prestations que nous avons partagées… Au moins une ou deux scènes au Festival de Marsinne (il y a bien longtemps), un … très long voyage dans ton éternel Break Renault foncé pour une tournée vers Saint-Luc en Suisse en 1999, des prestations à Nivelles, Louvain-la-Neuve, Rixensart, Marchin, et tant d’autres…
Peu de gens savent que tes tout premiers pas en musique, c’est à la contrebasse que tu les as faits. Tu m’avais parlé des cours avec une jeune contrebassiste décédée accidentellement bien trop tôt, événement qui t’avait profondément marqué. Après un temps d’arrêt, si je me souviens, tu as repris la musique et adopté l’épinette. Tu as gagné en facilité de transport, et en originalité. Ce qui est sûr, c’est que vous vous êtes bien trouvés, l’épinette et toi.
Si tu ne cherches pas particulièrement à t’exposer sous les projecteurs, on trouve des traces de ton travail sur à peu près toutes les pages « historiques » du Canard folk. Dès 1975 avec les Macloteus, dans les années ’80 avec Salon Ambroisine (duo d’épinette avec Thierry Legros). A partir de 1995, avec le chanteur « Jeune public » Jean-Paul Chemin Plus récemment des traces de concerts avec Epinette Quartet. Tu es certainement un des seuls à avoir pu ouvrir une classe d’épinette dans une académie de musique.
Ce que j’aurai appris à tes côtés, toi qui jouais un instrument qui susurre, qui murmure, qui chuchote, c’est d’ exploiter pleinement le registre le plus grave, le plus sensible et le plus discret de ma clarinette… et en mode pianissimo pour laisser la place à tes glissandos, tremolos et toutes les manières subtiles que tu utilisais pour chatouiller tes cordes. Des instruments qui viennent d’horizons si éloignés, et qui pourtant s’entendent si bien.
Tu es un passionné. Tu partages tout ce que tu adores. Tu le fais savoir et nous emportes dans l’élan de ton enthousiasme. Ta passion pour la musique traditionnelle, bien sûr, dont tu peux sortir pour apprécier d’autres couleurs, d’autres timbres, d’autres harmonies.
Tu exclames aussi – avec un style qui t’appartient à toi seul – ce que tu n’aimes pas, tes amis le savent bien. Notamment, tu n’aimes pas qu’on dénature trop brusquement la musique traditionnelle. Tu l’aimes « telle quelle », dans son jus. Et à ceux qui osent faire remarquer cette fine pellicule de poussière qui reposerait sur la « musique trad » parfois , tu réponds que c’est comme ça que tu l’aimes. Fidèle à tes racines.
Ronchon, bougon, râleur parfois? Non. C’est toi. C’est André… et c’est comme ça qu’on t’aime, André.
Bon vent André… Un énorme merci d’avoir fait notre vie musicale plus belle. Nous te souhaitons un beau voyage vers un « Wonderful World ». Un monde où l’on danse des maclottes. »
Par Jacques Leininger :
Le monde de l’Épinette est un petit village. Qu’elle soit de Flandre, du Nord, des Vosges ou de Wallonie, la petite boite a su rassembler autour d’elle ses amoureux. André Deru était un fidèle, déjà là lors de mes premiers pas dans cet univers. Encore là, lorsque je passais à d’autres mes convictions chromatiques et iconoclastes. Nous nous retrouvions à Borzée, Gentinnes, Zuydcoote, Fougerolles, lorsque l’instrument connaissait ses heures de gloires. J’ai tenté plus tard d’entrainer André dans mes infidélités nordiques, et, en musicien curieux et ouvert, il a franchi le pas avec témérité. Mais il est toujours resté l’un de ceux qui a porté haut et fort, avec constance et obstination, les musiques d’Épinette en Wallonie, et bien ailleurs ! Merci André !
Par Jean-Paul Chemin (et les Pierrots lunaires)
Épinette, te voilà veuve
Celui qui t’aimait tendrement
Est parti vers des scènes neuves
Où l’on t’écoute en dansant
En prenant tout son temps
Par Marc Maréchal :
En 2014, suite à un don de plusieurs instruments de Claudine Buffet (Accordance, Namur,) l’académie d’Eghezée eut l’opportunité de mettre sur pied un cours d’épinette. Il ne fallut guère de temps pour apprendre que, depuis quelques décennies, un musicien de la sphère « trad » consacrait à cet instrument une bonne partie de son temps : André Deru. `
Ce fut le début d’une fructueuse collaboration de quatre années, l’âge de la retraite y mettant un terme qui attrista bien notre ami… Mais c’était mal connaître André que d’imaginer qu’il allait laisser cette belle histoire se terminer ainsi. Pendant ses deux dernières années chez nous, il forma au jeu de l’épinette Pieterjan Van Kerckhoven, multi-instrumentiste (Wör) et professeur de cornemuse et d’ensemble folk à l’académie.
L’aventure continue. Le bourdon de l’épinette a encore de beaux jours devant lui….
Merci André, pour ta passion et ta générosité !
Micheline Vanden Bemden – Casier
Micheline Vanden Bemden-Casier nous rappelle que c’est avec André Deru qu’elle a fait ses premiers stages d’épinette, épinette construite avec Michel Heijblom.
Elle nous rappelle également l’article paru dans le Canard Folk de mai 1993 au sujet de l’exposition » « L’Epinette en Wallonie et alentours » (Rubrique Aubépinette). www.canardfolk.be/aubepinette-n16-exposition-lepinette-en-wallonie-et-alentours/
Vous trouverez également un hommage à André Deru sur le site de Melchior :
projet-melchior.be/pages/grand-specialiste-de-lepinette-a-bourdon-andre-deru-est-decede.52