Le premier cd de son groupe “Tout bout d’chants” commence par « Soyons amants », une poésie avec des rimes de qualité qui s’écoule calmement, qui s’écoute doucement … bien que, dès l’intro – avec une très jolie flûte traversière (Lucas Lejeune) -, un rythme lancé par l’accordéon chromatique (Olivier Cap) se fasse persévérant et nous pousse à danser la scottische, participant ainsi à un mouvement récent qui fait apparaître des groupes combinant chanson et bal. Dès lors, première question :
Q : Votre répertoire est-il formé de chansons que vous avez adaptées, arrangées pour la danse, ou êtes-vous partis de vos mélodies dansantes pour leur coller des poésies ?
R : Notre répertoire de bal est uniquement chanté.
Il est composé de chansons reprises du répertoire trad ou de la chanson française (parfois légèrement adaptées pour la danse) et de compositions personnelles.
Sur ce premier album, nous avons privilégié les titres originaux : onze pour une seule reprise trad.
J’amène la plupart des propositions de chansons dans le groupe et n’étant pas moi-même musicien, je dirais que ma première accroche se situe surtout au niveau du texte. Que ce soit lorsque j’écris ou quand je pars à la découverte de textes existants, je m’attache d’abord à l’histoire racontée. Les mélodies viennent après.
Q : Fred, est-ce la première fois que tu mets tes poésies en musique ? Certaines dormaient dans un tiroir depuis 20 ans, dis-tu …
R : Ce n’est pas la première fois que je chante mes propres chansons, dans mon autre projet (Tribal Folk) une petite partie du répertoire est également sorti de ma plume.
La particularité des chansons de « Tout bout d’chants » est qu’elles sont plus personnelles. Certaines datent de l’époque du groupe « Géna et Magonette » qui sévissait dans la vallée de l’Aisne il y a plus de 20 ans. Elles sont écrites en wallon par Alain Lovenberg ou par mon père Willy Cornet et me tiennent particulièrement à cœur. Les autres compositions du répertoire sont de moi, écrites tout au long de ces 15 dernières années et n’ayant encore jamais trouvé le chemin de la danse avant aujourd’hui.
C’est la rencontre d’Olivier et de Lucas qui a permis de mettre enfin le projet sur les rails.
Ils m’ont tout d’abord fait l’honneur de m’accompagner sur ce chemin et ils ont avec beaucoup de talent, enjolivé, emballé et concrétisé les idées qui dormaient dans un coin de ma tête.
Q : Justement, à ce sujet comment est né le projet « Tout bout d’chants » ? Comment vous êtes-vous rencontrés ?
R : Côté projet, vous aurez compris que l’envie de chanter pour la danse était présente depuis longtemps et que ce projet dormait depuis un moment dans un coin de ma tête.
J’ai tout d’abord entendu Olivier lors d’un de ses passages sur le podium libre du festival de Marsinne. J’en ai ensuite beaucoup entendu parler par des amis, des connaissances du monde folk. Renseignements pris, il était clair qu’un projet de bal chanté pourrait l’intéresser. Premier contact via le net, premier rendez-vous à Namur et hop premières chansons sur les rails !!
Nous avons proposé nos premiers morceaux aux danseurs à l’occasion de petits bals confinés dans des salons et des arrière-cuisines.
J’avais l’envie d’un instrument supplémentaire et j’ai alors pris contact avec Lucas, que je connaissais pour l’avoir croisé quelques fois en festival et notamment à « Bals et Roses ». Je le savais très fort musicalement et techniquement avec sa flûte et très passionné de musique wallonne ou irlandaise. Il fut tout de suite emballé par le projet et nous rejoignit avec non pas un mais deux instruments puisqu’il joue également du violon.
« Tout bout d’chants » pouvait se mettre en chemin.
Q : Le second morceau de l’album, un cercle circassien, parle en wallon des bandits Gena et Magonette et fournit une traduction des paroles. Ils semblent inspirer durablement les musiciens wallons, car des groupes se sont appelés Magonette et Géna, et aussi Gena et Magonette, dans lequel on trouvait notamment Alain Lovenberg et, dans sa seconde version, un certain Frédéric Cornet. Peux-tu nous expliquer tout cela, et aussi nous dire ce qu’on sait des deux bandits : étaient-ils vraiment une sorte de Robin des Bois, comme tu les décris ?
R : En effet, comme je le disais, le groupe « Géna et Magonette » sévissait dans la vallée de l’Aisne et c’est dans la seconde version du groupe que j’ai fait mes premières armes à la demande d’Alain Lovenberg qui cherchait quelqu’un pour chanter, notamment en wallon.
C’est l’époque où sont nées les chansons « Ballade de Géna et Magonette » et « lî passe-pîd dès vî Bribeû ». Le texte « Dj’a stou â Bal » est également écrit par Alain et j’y ai posé une mélodie trad du sud-ouest.
Le texte de la « ballade de Géna et Magonette » est de mon père et la musique est d’Alain. Cette chanson présente effectivement nos deux brigands comme des Robin des Bois ardennais. Je ne pense pas pouvoir en faire une vérité historique mais je dirais plutôt que ce texte reflète bien la vision que mon papa aimait porter sur les aventures de nos deux plus célèbres bandits de grand chemin.
Q : Alain Lovenberg était quelqu’un qui a joué un rôle important pour toi ?
R : Un rôle très important, pour moi et pour de nombreux jeunes du village d’Aisne.
À l’époque, nous ne savions pas vraiment l’artiste qu’il était (il est aujourd’hui reconnu à l’international pour ses talents de graveur sur armes), en revanche, lui et Michelle (sa compagne de l’époque) étaient le centre d’animation du village et de la jeunesse.
Ils animaient un atelier de danses traditionnelles avec les jeunes. Cet atelier était attaché au groupe de danse des Outleux de Barvaux sur Ourthe.
Ils rythmaient également la vie du village en proposant à la jeunesse de garder vivantes des activités telles que « la galette des rois », « le cramignon du mardi de la Kermesse », « Saint-Nicolas » etc…. À ces occasions, déguisés, grimés et harnachés, nous passions de maison en maison pour rameuter les villageois pour le grand feu ou ramasser les fagots, récolter de l’argent pour mettre les enfants sur les manèges, demander des vivres contre une chanson pour préparer la galette des rois, vider la goutte au cramignon, toujours accompagnés d’Alain et Michelle au violon, à la flûte, au chant ou percussions diverses.
Ils nous ont donné le goût des traditions, de la musique, de la fête et des échanges simples et généreux entre villageois. C’était bien avant les smartphones et les tablettes.
Q : Joues-tu aussi d’un instrument ? Danses-tu ? Composes-tu directement en chantant, en écrivant les notes sur une partition ?
R : Je joue uniquement du bodhran et de la voix bien-entendu. La danse fut la porte d’entrée dans la musique traditionnelle. Je danse depuis de nombreuses années, d’abord dans le groupe des jeunes Outleux, plus tard aux week-ends à Borzée, ensuite en bal. Je me charge de temps à autre, lorsque c’est nécessaire, de l’animation des danses durant nos prestations publiques.
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Le côté danseur est important pour moi au moment de créer les morceaux car je pars des textes et je cherche, en chantant, des mélodies et des types de danses qui peuvent coller à la musique naturelle des mots et mettre en valeur l’histoire. Je ne dirais pas que les mots sont plus importants que les notes mais en tout cas je les maîtrise mieux .t au final, lorsque j’ai une trame ou une idée qui me semble cohérente, je la soumets à Olivier et Lucas qui mettent le tout en musique parfois très proche de l’idée de départ parfois ils partent totalement ailleurs. Quoi qu’il en soit, c’est toujours le moment le plus sympa du processus de création.
Q : Parles-tu couramment wallon ? Chanter et écrire en wallon, est-ce pour toi avant tout un acte de militantisme ? Vois-tu une évolution dans l’utilisation du wallon, notamment chez les jeunes ?
R : Je chante effectivement en wallon, je le lis sans difficultés particulières et je l’écris également, mais pas de manière parfaite. Malheureusement, je ne suis plus vraiment en mesure de tenir une conversation soutenue en patois (les occasions se font beaucoup trop rares).
Je n’y mets pas vraiment de militantisme. Je prends plutôt beaucoup de plaisir à cultiver cette particularité et à utiliser cette langue wallonne qui est tout de même extraordinairement savoureuse et chantante. Je crois également que pour la garder un minimum vivante, il est plus intéressant de la pratiquer plutôt que vouloir l’enseigner, l’imposer ou la revendiquer.
D’ailleurs, depuis le début du projet, mes garçons tendent régulièrement l’oreille pour écouter nos répétitions ou les maquettes et s’essaient parfois à un bon mot wallon.
Q : Quels sont tes projets actuels ? Faire connaître le cd sans doute, mais aussi en dehors de la Wallonie ?
R : C’est clair que l’objectif aujourd’hui est de faire vivre cet album et d’essayer, pourquoi pas, de le faire sortir des frontières. Pouvoir, grâce à ce travail, fouler de belles scènes et faire danser de gros parquets serait un vrai plaisir.
En même temps, après cette première expérience, l’envie est aussi de se remettre à l’écriture pour élaborer de nouveaux morceaux !!! Qui sait ? Rendez-vous dans 15 ans.
Le cd : D’ja stou à bal
– 4 morceaux en wallon (avec traduction) et 8 en français
– 12 danses différentes
– de belles rimes à écouter, sur de belles mélodies à danser
– paru chez « Tout bout d’chants » (autoproduction)
Contact : Cornet Frédéric 0474/649 909 fredcelt@gmail.com
(article paru dans le Canard Folk de mars 2025)