Cet Anglais d’un tempérament de leader, très généreux et au coffre impressionnant – s’il était chanteur de rue, il se ferait entendre dans une moitié de la rue Neuve à Bruxelles – n’est pas seulement musicien, chanteur et compositeur. Il peint aussi de jolies aquarelles souvent évocatrices de paysages ou de personnes. Une dame dans son compartiment de train regarde par la fenêtre ? Il dégaine ses stylos remplis d’eau et sa boîte de cartouches de peinture, et hop ! dix minutes plus tard c’est terminé. Il les expose et en fait des cartes postales. C’est aussi une histoire de famille : sa fille a réalisé la couverture de son dernier cd. Par ailleurs, c’est lui qui a gagné les concours d’interprétation et de composition l’an dernier à Namur.
Marc Bauduin
Q : Oliver, d’où viens-tu et depuis quand es-tu en Belgique ?
R : Je suis originaire du sud de l’Angleterre, de la campagne du Dorset Je suis venu avec ma famille en 1973, reparti à l’université et revenu en 1988. J’ai travaillé comme lobbyiste, puis dans le domaine de la déontologie de la publicité où je suis devenu directeur général d’une organisation internationale. Je voyageais beaucoup, ce qui me laissait du temps pour composer un peu de musique. Actuellement, à 60 ans je suis consultant en déontologie des sociétés.
Q : Comment as-tu commencé la musique ? Est-ce que tes parents t’ont obligé ?
R : Mes parents étaient tous les deux chanteurs classiques, ils se sont connus en chantant et étaient impliqués dans beaucoup de groupes de musiques et de théâtre. Ils m’ont initié au chant. Nous allions de porte à porte chanter les carols (noëls). J’ai commencé à 8 ans à jouer du violon avec mon grand-père aveugle mais c’était du classique. Je ne connaissais pas le solfège. Le folk, je l’ai découvert beaucoup plus tard, vers 26 ans, avant de revenir en Belgique. J’ai entendu chanter Geordie et écouter jouer au violon «Lagan Love». Pour moi, cela a été un déclic.
Q : Comment as-tu commencé à jouer avec Crossroads et Fusion ?
R : C’est en venant en Belgique, que j’ai vraiment découvert le folk. Par Brosella, Dranouter, le Canard Folk. La scène folk en Belgique était plus ouverte et vivante qu’en Angleterre. Je suis allé au Preservation Hall, l’ancien folk club de la rue de Londres J’étais accompagné de Rudi Velghe, membre d’Orion. J’y ai rencontré Johan Demeyer. Johan était avec deux autres musiciens flamands. Ils cherchaient un violoneux. Je me suis dit « pourquoi pas ? » C’est ainsi que je suis entré dans l’histoire de Crossroads. Nous étions fort demandés, on jouait de la musique traditionnelle irlandaise et anglaise. C’était une belle histoire. Nous avons découvert les différentes parties de la Belgique et joué entre autres, aux Gentse Feesten, Midis Minimes, Borzée, Marsinne, la pyramide à Bruxelles pour le quart de finale de rugby.
Le répertoire initial de Crossroads était de la musique traditionnelle et des compositions d’artistes. Par exemple «le port d’Amsterdam » ou « From Clare to here ». Après le départ de deux de ses membres, Crossroads s’est transformé. Johan et moi avons commencé à deux. Ensuite nous avons écrit nos propres chansons en style folk et blues. Le premier CD date de la seconde période du groupe. J’ai joué également dans le groupe trad Roue Libre avec Gustave Bruyndonckx, Sophie et Marie-Françoise Wagner, Marianne Uylenbroek, Robert Kohlman et Alain Vanden Bemden.
J’ai proposé à Alain de jouer de la cornemuse et de la flûte dans Crossroads avec un copain de l’unif Obhi Chatterjee aux tablas et Kathleen Janssens de Green Jacket, ensuite Obhi et Kathleen sont partis, on a eu un joueur de djembé, contrebassiste à un moment c’était Olivier Dursin aux percussions, il fallait chaque fois réapprendre le répertoire. J’ai voulu qu’on fasse plus de notre musique mais c’était plus difficile à caser. A la fin on était un trio, avec Alain.
Q : Tu as joué avec Fusion aussi ?
R : Quand Roue Libre s’est arrêté, Gustave a refait un groupe sous le nom de Fusion composé de musiciens d’autres groupes, qui au début faisait des concerts de Noël dans des églises et des prisons. J’y étais le directeur musical. A un concert, on était 27 musiciens, entre autres Michel Massinon, Ruprecht Niepold le père d’Anne, Walter et Jacqueline Lenders, Christine Lurquin et Marc Vrebos qui vient de décéder. On a fait plusieurs disques, entre autres de noël « Christmas Blessings », qu’on a enregistré à l’école de mes enfants.
Q : Après Crossroads et Fusion, qu’as-tu fait ?
R : Quand Crossroads et Fusion se sont arrêtés, c’était un peu difficile. Je suis allé jouer dans les podiums libres des cafés, folk clubs et meetups en ville. J’ai joué en duo avec un cornemuseux, guitariste ou chanteur. J’ai ainsi rencontré Juju Vagabond, qui joue sur le cd, une chanteuse franco-britannique, une vraie musicienne de rue. Je l’ai connue en guitariste électrique. Je me suis dit : pourquoi pas, on peut expérimenter en folk et mes morceaux. Et par après, je l’ai entendue dans un resto donner toute seule un concert de trois heures, dans le style americana très proche de l’anglicana que je joue.
Pendant le covid nous avons fait des livestreams ensemble. Elle chante et joue de beaucoup d’instruments ; guitare acoustique, lap steel, harmonica, piano, saxophone, basse électrique et elle siffle … Sa voix fragile est extraordinaire et complète la mienne. Nous avons une complicité en musique et en plus elle aime le thé et mon crumble! En été 2022 je l’ai rejointe sur scène au violon et le public était ravi. A la fin un homme nous a proposé de monter un projet, de s’enfermer chez lui pendant quatre jours puis un concert. Il avait un contrebassiste/accordéoniste sous la main. On l’a fait. Ce fut très réussi. Du coup est né Juju and the Vagabonds (voir Youtube). On cherche à nous produire plus en Belgique.
Q : Le covid t’a poussé à faire ce disque…
R : Au premier lockdown, j’avais joué chaque jour au violon et à la guitare à 20h sur mon toit pendant deux mois et demi. J’ai eu le covid long depuis octobre 2020 et dû arrêter de travailler presque 2 ans. J’avais de grands problèmes musculaires, de la fatigue, des maux de tête, et des pertes de mémoire. Je n’ai toujours pas d’odorat ni de goût, jamais faim ni sommeil. Mes amis m’ont dit qu’il fallait que je fasse quelque chose que j’aime pour me remettre sur mes pieds. J’ai noté 30 idées sur mon téléphone. C’est de là qu’est venue l’idée de faire ce disque.
Q : Ce disque présente beaucoup de diversité…
R : Certains m’ont soutenu pendant ma maladie et j’ai essayé de les associer à mon CD en lisant des textes ou en jouant de la musique bien qu’ils représentent toutes sortes de styles qui m’ont influencé (folk blues, folk rock, classique), d’où la diversité musicale de ce double album. Il y a même une ancienne rappeuse américaine Sonya Henderson qui chante là-dessus. C’est un concept album – que j’ai voulu clôturer par un morceau orchestral qui va vers la lumière. J’ai voulu montrer mes diverses influences musicales. J’ai enregistré lentement chez moi selon mes capacités journalières. Juju m’a envoyé ses pistes et je les ai intégrées y compris les chants d’oiseaux, les bruits des ruisseaux ou le vent. Harry DeWind a masterisé. C’est lui qui a fait le CD de Noël de Fusion. Le disque parle des différents moments et émotions dans ce voyage de réflexion, panique, respiration, inspiration, naufrage, blocage, motivation et illumination. Il y a beaucoup de musique mais je me suis dit pourquoi pas il y en a pour tout le monde ici. Je suis content du résultat et j’ai joué beaucoup de morceaux live en solo y compris une petite tournée en Angleterre avec un looper ou avec le guitariste britannique Paul Meller. En faisant le disque, en parcourant ce chemin, je me suis transformé, et j’ai vu que les gens touchés par la pandémie se transformaient aussi. On est arrivés à une « different destination ». C’est ma façon de partager mon inspiration et de dire me
Si vous tapez « bandcamp.com oliver gray a different destination » vous arriverez sur le cd. Les anciens albums de Crossroads sont là aussi : Back to Our Roots et Expecting. Oliver a un channel YouTube. Une incantation, des oiseaux, un bruit de téléphone et 30 morceaux de sa plume pour avancer ensemble dans ses émotions et ses difficultés, surmontant les différences de styles, avec une étape « Feed the light » à la fin du premier cd et le but final « Into the light, dans la lumière », le bout d’un tunnel dans le trentième morceau. Il y a un peu de folk par-ci, par-là, mais vous aurez compris que ce n’est pas l’essentiel … Oliver a désormais retrouvé son énergie, sa puissance vocale et instrumentale. Il continue à collaborer avec Juju sur certains morceaux d’elle et sur un autre futur cd qu’il compte faire avec ces compositions. Il a d’autres idées pour un cd de morceaux plus folk avec d’autres du genre (il y a des intéressés ?) et d’une ballade en Belgique pour réunir et composer des airs et faire des concerts d’étapes.
Marc Bauduin
(article paru dans le Canard Folk d’avril 2023)