Norvège
Sudan Dudan au Jørn Hilme Stemnet
Notre collaborateur Jacques Leininger, spécialiste des musiques traditionnelles scandinaves, a passé des vacances en Norvège.
Il en revient la tête pleine de notes et nous présente le groupe Sudan Dudan qui l’a particulièrement frappé.
Marc Bauduin
« Den store, intime festivalen … le grand festival intime », précise la présentation de cette manifestation. « C’est l’un des plus anciens et plus importants festivals de musique traditionnelle en Norvège ».
Il se déroule à Fagernes, dans le Valdres au centre du pays, pendant la semaine précédant le troisième week-end de juillet.
Le Jørn Hilme Stemnet était à l’origine un concours de musiciens et danseurs traditionnels. Jørn Hilme (1778-1854) fut un joueur de Hardingfele, musicien mythique dans l’histoire des traditions musicales du Valdres.
Concentré, à ses débuts, sur un week-end ne programmant que les compétitions de musique et danse, ce festival dure à présent du lundi au dimanche, et propose des concerts, des animations en ville et des bals multiples dans les anciennes maisons du musée de plein air, le Valdres Folkemuseum.
Le Strunkeveko, un stage à destination des plus jeunes, et qui connait un succès grandissant, débute le premier lundi. Ainsi, c’est un public très familial que l’on retrouve en fin de semaine.
Le Valdres Folkemuseum accueille des cours pour adultes à partir du mercredi.
Certains concerts sont aussi « décentralisés » sur un site ou une localité de la région. Ainsi, le Solefallskonserten à Jaslangen. Imaginez un espace de concert à flanc de montagne, dont la pente constituerait les gradins. La scène est installée là, et dans le fond un paysage magnifique de lac, d’îles et de montagnes sur lequel le soleil décline tout au long de la soirée.
À partir de la soirée du jeudi, les festivités se concentrent au musée. Avec un tel programme varié, chacun peut y trouver son compte, entre concert sur podium sonorisé, ou prestation en solo ou petite formation acoustique, bals sur parquet avec des groupes réputés, ou moments de danses régionales animés par des solistes.
Cette année, ce fut le concert du duo Sudan Dudan qui a retenu mon attention. Vingt ans d’existence, quatre albums et un cinquième en préparation,
Le duo est constitué de Marit Karlberg (Mattisgard) de Valdres qui chante et joue de la Langeleik, cousine norvégienne de l’épinette. Son style et répertoire sont issus de la tradition, qu’elle maitrise à la perfection. Son comparse, Anders E. Røine, de Bø dans le Telemark, chante et joue de la guitare et de la guimbarde. De temps en temps, il utilise aussi violon, banjo ou mandole. S’il est imprégné des musiques traditionnelles depuis son plus jeune âge – il est un joueur de munnharpa de premier plan – c’est lui qui apporte cette touche « folk-blues », par son jeu de guitare, et sa voix bluesy. Le répertoire est essentiellement composé de chansons, puisant dans le corpus traditionnel, ou mêlant compositions sur des textes anciens, ou textes nouveaux sur mélodies ancestrales. Quelques instrumentaux font des intermèdes, ou servent de transitions. Leur interprétation est sobre, originale et envoûtante, à tel point que l’on en vient à oublier que c’est en norvégien ! La musicalité et la délicatesse suffisent à notre plaisir, tant les voix se complètent, supportées avec habileté par la guitare et la Langeleik. Cette dernière trouve ici un rôle peu exploité jusqu’à présent, avec parfois l’utilisation d’échelles non tempérées parfaitement adaptées au chant.
En 2023, pour leur vingtième anniversaire, le duo Sudan Dudan s’étoffe en formant un quatuor, avec Sondre Meisfjord à la basse et Kåre Opheim aux percussions.
C’est cette formule qui jouait en concert, ce vendredi un peu maussade au Valdres Folkemuseum. Le public était bien sûr totalement acquis, parents et amis de longue date occupaient les premiers rangs. Ce fut un moment rare, les musiciens développaient les airs anciens et quelques nouveaux, avec bonheur et simplicité. Les deux nouveaux accompagnateurs tenaient parfaitement leur rôle, toujours de mise en valeur des deux solistes. Un concert bien sûr trop court, ponctués de plusieurs rappels, malgré les danseurs qui patientaient en attendant la libération du parquet.
On a hâte de découvrir le cinquième disque. Pour patienter, vous pourrez écouter les précédents, présentés ci-dessous.
Sudan Dudan : Mattisgard & Røine (Ta:lik TA21)
Le premier album du duo Sudan Dudan, sorti en 2005. Ce fut celui de la découverte, celui dont on se dit : « Pourquoi n’y avait-on pas pensé avant ? ». Mon coup de cœur : c’est la dernière plage, « Raklekjølkin », un springar du Valdres qui portait véritablement le couple qu’il faisait danser lorsque je l’ai vu interprété sur scène !
Sudan Dudan : Kari og Ola (Ta:lik TA72)
Un second album, en 2010, dans la veine du premier, avec cette omni présence de l’alliance Langeleik-guitare.
Exclusivement composé de mélodies traditionnelles, avec quelques textes des artistes, et plus dépouillé, cet album persiste et signe un style bien ancré. J’ai un petit penchant pour « Gullkalvan », transmis par Invar Hegge, un chanteur communicatif et généreux qui a beaucoup transmis à Marit.
Sudan Dudan : Inntil i dag (Ta:lik TA100)
« Jusqu’à ce jour » est publié en 2013. Il marque un léger changement de style, par l’apport de musiciens accompagnateurs sur une petite moitié des plages. Cela permet plus de variété dans les atmosphères musicales, avec néanmoins la base du duo de chanteur accompagnés de leurs cordes frottées (Langeleik & guitare). Mon tiercé : « Susann », avec son côté un peu mélancolique, « Utta De », une belle chanson d’amour, et « Salme » plus instrumental avec une superbe intro de munnharpa.
Sudan Dudan : Heimen der ute (Ta:lik TA178)
Nouveau changement de ton pour ce quatrième opus, sorti en 2018. L’enregistrement fut réalisé, « comme à la maison » dans une ancienne écurie, et une petite église de montagne. Retour à une formule en duo, avec un instrumentarium des plus basiques, mais le matériel apporté par les artistes eux-mêmes est plus conséquent : sur une total de onze plages, seules deux chansons sont entièrement traditionnelles, et les textes de trois autres ont été créés par eux-mêmes.
Le style est encore le même, avec de profondes racines dans la musique traditionnelle de Norvège, et des influences country-blues très marquées. Et toujours cette belle présence vocale de Marit Karlberg, l’une des plus remarquables de la scène trad norvégienne. Personnellement, j’ai un petit faible pour les plages 3 et 11, sur un rythme de Valdres-Springar. On ne s’en lasse pas !
Depuis ses débuts, le duo Sudan Dudan est publié par le label Ta:lik, www.talik.no. On peut aussi les retrouver sur leur page Facebook. En espérant qu’un organisateur avisé saura se montrer persuasif pour les programmer très prochainement par chez nous.
Jacques Leininger
(article paru dans le Canard Folk de septembre 2023)