Les anniversaires se suivent et ne se ressemblent pas. Après les 40 ans de Trivelin et du Canard Folk, après les 30 ans de Marsinne et les 40 ans de Borzée/Massembre, voici le tour de celui qui, à l’instar de Bruno Le Tron en France, a révolutionné l’accordéon diatonique en Belgique. Lors d’innombrables collaborations, Didier s’est frotté à divers genres musicaux mais reste fidèle à son instrument et éternellement reconnaissant envers ceux qui l’ont formé à ses débuts. Il reste sympa, simple et accueillant. Il s’est forgé son propre style, qui n’est certes plus du folk. Sa musique devient pourtant de plus en plus intéressante et se marque par la sortie simultanée de deux albums, l’un en duo avec un contrebassiste français, l’autre avec un orchestre symphonique cubain ! Le Canard Folk l’a interviewé le 21 septembre à 8h du matin, après son jogging quotidien.
Marc Bauduin
Q : Dans les présentations, on parle de « tes connaissances et ton expérience de musiques du monde » : peux-tu expliquer ce que tu entends par là ?
R : Mon écolage plonge ses racines dans les musiques traditionnelles, il s’est fait auprès de Marianne Uylebroeck et puis à Borzée. J’y ai appris des musiques françaises en général, bretonnes, wallonnes, aussi suédoises avec Jean-Pierre Yvert …
Mes racines sont multiples : mon entourage familial n’était pas du tout ancré dans les musiques du monde mais plutôt dans le classique, j’ai découvert ça un peu par hasard avec l’accordéon diatonique et avec le réseau de musiciens qui gravitaient à l’époque autour de Marianne Uylebroeck. Donc si je devais citer quelques régions du monde, je dirais : un peu de Bretagne, de Suède, d’Europe de l’est (surtout de Bulgarie mais je ne serais pas crédible si je jouais leur musique chez eux). Pas d’Afrique ni d’Amérique, car j’ai très très peu eu l’occasion de rencontrer des musiciens de là-bas.
Q : Dans le cas de l’orchestre symphonique, qu’est-ce qui t’a mené à lui ?
R : Comme je l’ai dit, ma famille aimait beaucoup la musique classique. J’ai entendu beaucoup de « tubes » avec grand orchestre et j’ai eu – j’ai encore – cette envie, ce fantasme de jouer dans un tel orchestre alors que j’en suis parfaitement incapable. Je ne suis pas lecteur, et je n’ai eu aucun écolage en musique classique, mais j’avais envie de jouer de l’accordéon avec un orchestre. Cela fait maintenant dix ans que je travaille avec le maison Zig Zag World et son directeur Poney Gross, et quatre ans que j’ai fait la connaissance de l’orchestre cubain de la Havane dans le cadre d’un autre projet. Poney s’est souvenu de mon envie, et les choses se sont mises en place rapidement. C’est vraiment un immense cadeau pour moi de la part de Poney, car c’est bien lui qui a effectué la première démarche, ce n’est pas moi.
Alors, pourquoi cet orchestre-là, c’est parce que ma maison de production travaille beaucoup avec La Havane et que moi j’ai signé un accord avec la maison de disques Colibri qui me donne accès à tout ce répertoire cubain. C’est une expérience incroyable, car tous ces musiciens sont musicalement denses comme les musiciens traditionnels ici.
Ce n’est pas l’image que j’avais d’un orchestre classique : ici, quand ils jouent un morceau avec moi, ils dansent presque sur scène. Il faut dire qu’ils jouent tous des cumbias et d’autres airs traditionnels, ils ont une certaine habitude, et puis il y a l’intelligence des arrangeurs qui ont bien épousé les morceaux. Ce n’est pas moi qui ai fait les arrangements, il y avait deux ou trois personnes qui s’en chargeaient, entre autres deux arrangeurs belges.
Q : Comment s’est donc passée la construction des arrangements, comment as-tu pu mettre ton grain de sel ?
R : Comme il s’agissait de passer à travers tout mon répertoire dans le cadre de mes 30 ans de carrière, j’ai fait une première grosse sélection en partant d’Astridin valssi car c’était un de mes tout premiers airs à l’accordéon, j’y tiens beaucoup, c’était indispensable. Les arrangeurs ont alors choisi les airs les plus orchestrables, ensuite c’est une partie de ping-pong. Les musiciens m’ont aussi envoyé quelques compositions avec ce que j’appelle des « instruments en plastique » (le « general midi »)
J’essaie toujours de faire quelque chose de joli, entre autres parce que ma belle-maman veut que ce soit joli, mais lorsque les arrangeurs me faisaient parvenir des choses que je jugeais trop esthétiques, j’ai eu envie de souligner une ou deux phrases qui apportent un aspect dur et grinçant, car je suis un grand angoissé et je trouve que la vie n’est pas que jolie.
Q : Est-il vraiment envisageable de faire une tournée de concerts avec un orchestre symphonique ?
R : J’ai eu l’occasion de jouer en Italie avec deux orchestres symphoniques, dont un à Castelfidardo en présence de toute la famille Castagnari au premier rang. C’était magnifique, très très émouvant. J’étais super ému de jouer sur leur instrument devant eux. C’était un des plus beaux concerts de ma vie. C’était un très bel hommage que je pouvais leur rendre pour tout ce qu’ils m’ont offert.
J’ai pu aussi jouer avec l’orchestre cubain à La Havane. Et maintenant nous entamons une tournée de concerts en Belgique le 3 octobre. Ce sont chaque fois des orchestres différents : je m’amène devant eux, je leur donne le paquet de partitions. C’est moi qui tourne, pas l’orchestre. En Italie, on a droit à trois services de trois heures de répétitions et on y va. C’est très très peu, c’est très frustrant de ne pas avoir de contact humain. Même avec le chef d’orchestre, je n’ai qu’un contact téléphonique. Il est arrivé une fois en Italie qu’un orchestre n’ait pas eu le temps de répéter, alors qu’ils découvraient en concert les mesures asymétriques …
En Belgique, nous avons la chance de pouvoir travailler les cordes avec l’orchestre de la Nethen, qui répète souvent ; pour les vents c’est l’ensemble Quartz et nous avons deux percussionnistes de l’OPL (Liège). En Belgique, il était impossible de faire une tournée complète avec un seul orchestre, nous avons donc dû le construire par morceaux.
Q : Parmi ton répertoire se sont glissées quelques compositions cubaines …
R : Oui, cela faisait partie de l’accord. Trois compositeurs sont intervenus, mais le problème était qu’ils ne connaissaient pas l’instrument. Ils ont donc composé en se basant sur le schéma du clavier, aboutissant parfois à des phrases injouables, des sauts d’octave, du chromatisme dans tous les sens … que je leur faisais modifier.
Q : Pourquoi deux projets d’un tel niveau musical en même temps?
R : C’est un peu le hasard du calendrier, et aussi du covid. J’avais rencontré le contrebassiste il y a six ans, nous avions joué ensemble et avec Quentin Dujardin, et on s’était dit qu’on rejouerait ensemble. Le covid nous avait permis d’y travailler, et l’album était prêt pour sortir cette année …
Q : Que penses-tu de l’évolution de l’accordéon diatonique, qui offre de plus en plus de possibilités ? N’est-ce pas une nouvelle course vers le chromatisme ?
R : J’ai un peu de mal à en parler car j’ai commencé avec un Sol/Do 2 rangées 8 basses comme tout le monde ici et je m’y suis toujours tenu sauf que je suis passé assez vite au 3 rangées 18 basses. Je vois bien maintenant que beaucoup passent au système Darwin pour la main gauche, on s’approche de plus en plus du chromatique. Moi j’aime bien le côté dissonant de l’instrument, hyper dynamique, et ses limitations qui m’ont obligé à chercher des chemins de traverse et à me forger un style. Alors je me demande si on n’est pas en train de refaire l’évolution et que le chromatique va renaître une deuxième fois dans pas longtemps …
Q : Un dernier mot pour les amateurs de folk/trad : que représente encore pour toi cette musique ? Te verra-t-on un jour jouer la Vieille Matelote en version spatiale, par exemple ?
R : J’ai une immense nostalgie de Borzée, Neufchâteau et toutes ces personnes, et des amateurs en général car dans amateur il y a « aimer » et j’ai aimé et j’aime toujours, j’adore cette musique, j’adore cette partie de ma vie où on jouait au bar avec toutes ces personnes qui m’ont construit, en jouant de manière candide, sans obligations.
Maintenant comme professionnel, je dois penser à des projets, je dois les vendre. Le côté amateur me manque, de jouer pour le plaisir. Rejouer des maclotes : oui, parce que je pense que toutes les musiques sont belles et méritent des échanges. Alors de manière spatiale je ne sais pas, car le silence me manque dans les musiques que je joue actuellement. Je joue dans beaucoup de projets chargés !
Site web : didierlaloy.be.
Dyad :Komorebi
Dyad est le nom du duo formé par Didier Laloy et le contrebassiste français Adrien Tyberghein. Trad, rock, classique et électronique sont au rendez-vous avec ce complice qui est passé par de multiples expériences en jazz, en rock, avec ou sans pédales. Voici une sorte de tango moderne au rythme haché. Un peu plud loin, c’est une nonchalance vaguement latino. Puis un long morceau avec des passages mélancoliques, des bouillonnements soudains, des choeurs … Le dialog!e est intense, chaoe morceau est différent. A suivre passionnément ou pas du tout.
Didier Laloy : Symphonic
Un orchestre symphonique, c’est vite envahissant. Sa puissance de feu est extraordinaire, et ses passages doux sont d’autant plus prenants. Mais … nous sommes à La Havane ici,, avec des musiciens déjà sensibilisés à des musiques traditionnelles, et avec deux arrangeurs belges doués (Jean-Luc Fafchamps et Gwenaël-Mario Grisi) qui mettent le compositeur nettement en valeur. Cela nous vaut une suite de valses d’un quart d’heure; un passage délicat et tendu, beau à pleurer, où les notes de l’accordéon bien seul le maintiennent en équilibre au bord d’un gouffre; ainsi que, pour clôturer une valse Astrid très lente. Voici une extraordinaire et superbe réalisaition, d’un abord évidemment plus facile que Dyad.
Marc Bauduin
(article paru dans le Canard Folk d’octobre 2023)