Cette première chronique relative aux collections est présentée sous forme d’interview. Libre à chaque collectionneur qui nous décrira sa passion d’adopter la forme et le style qui lui plaît.
Le Caneton au virus (mai 2000).
Le Canard a rencontré Erika De Vries. Cette dame coule des jours heureux comme dentellière-amateur à Bruxelles.
Mais en plus de la pratique de cet artisanat, elle collectionne les fuseaux de toutes formes et de toutes origines.
Dès l’abord Erika précise: Le fuseau de la Dentellière qui s’appelle en russe « koklioschka », en néerlandais « klos », en allemand « Klöppel », est à identifier clairement : on l’a déjà qualifié de bout de bois, on l’a déjà confondu avec la navette du tisserand, et pire, avec le flotteur du pêcheur !
Observons donc par le dessin ci-contre le fuseau type.
Le fil destiné à la dentelle est enroulé sur le corps ou bobine. Sous la tête, la dentellière fait un noeud qui permet le déroulement du fil au fur et à mesure mais qui empêche pourtant que le fuseau ne se déroule complètement pendant que elle travaille son fil et ses épingles sur son coussin.
Les fuseaux sont généralement de fabrication artisanale. Les plus appréciés chez nous sont en buis. Mais, comme ils sont tournés dans le bois de la racine, leur fabrication n’est plus possible, faute de matière première.
Le Canard: Combien as-tu de fuseaux dans ta collection?
Erika: Il faut distinguer les fuseaux que j’utilise moi-même pour confectionner la dentelle et qui sont des objets d’usage courant. Ils sont environ au nombre de six cents. Et ceux que j’expose chez moi dans ma collection. Là, je n’en compte que 250 disposés par paires.
Certains sont en buis, bien sûr, mais d’autres en teck, en hêtre, en noyer, en érable, en cerisier… En fait, le tourneur utilise les essences de bois locales ou traditionnelles.
Je ne peux dater la pièce la plus ancienne de ma collection avec exactitude, mais la plus récente a été fabriquée l’an passé à Brioude en Auvergne.
Le Canard: Que peut-on dire des différentes formes des fuseaux?
Erika: Plus le fil de la dentelle est fin, plus le fuseau est fin et léger. C’est ainsi que les fuseaux du Puy sont lourds et ceux de Malines et de Bruxelles plus légers. Mais il y a d’autres variantes que tu peux voir. Voici un fuseau dont le manche est lesté de perles de verre. Il provient du Danemark et l’Angleterre en a de semblables. Ces lourds fuseaux viennent de Tchéquie et de Silésie. Voici des fuseaux dont le fil est recouvert d’une gaine de bois qui évite que le fil ne se salisse ou ne s’abîme pendant la confection de la dentelle. Et enfin, les fuseaux à gorge telle que le dessin de gauche le présente. Ce modèle n’est pas utilisé en Belgique, sauf à Grammont, un des seuls endroits où l’on fait de la dentelle avec de la soie noire. C’est plutôt en France et en Espagne que l’on retrouve ces fuseaux à gorge. Je ne vois pas bien l’intérêt de cette variante. Il paraîtrait que c’est plus facile au déroulement du fil. Peut être y a-t-il une autre raison…
Le Canard: Appel est donc fait à nos lecteurs.
Erika: Citons enfin, pour la petite histoire, le fuseau dont la bobine est entourée d’un anneau en bois tourné en même temps que le fuseau et qui coulisse librement. Ce fuseau, appelé « fuseau de mariage » était offert par le mari quand il se sentait délaissé par sa femme au profit de la dentelle. Laissons courir notre imagination vers une signification érotique de cet objet…
Le Canard. As-tu de la documentation relative aux fuseaux à travers le monde et les siècles?
Erika: En plus des manuels modernes de dentelle, je collectionne les vieilles cartes postales qui montrent des dentellières au travail, et donc leurs fuseaux. Certains livres d’histoire de la dentelle montrent, en plus du « produit fini », les outils, à savoir les fuseaux, coussins et autres épingles. Mais je ne connais aucun livre qui soit vraiment consacré au fuseau.
Le Canard: Voilà donc le second appel qu’Erika fait à nos lecteurs: connaissez-vous un livre exclusivement consacré aux fuseaux de la dentellière. Je crois qu’Erika serait prête à traverser plusieurs « fuseaux horaires » pour trouver pareil livre de référence. Mais Erika, que signifie vraiment pour toi ta collection?
Erika: Lorsque je voyage, j’essaie de rencontrer des dentellières pour parler technique. Les fuseaux rapportés de ces entretiens sont les souvenirs des contacts que j’ai eus, par exemple à Malte. Cette collection est donc pour moi le symbole du rapprochement entre les peuples à travers un artisanat traditionnel.
Erika De Vries, rue du Pacifique 8, 1180 Bruxelles, tél: 02.345.53.94
(Article paru en mai 2000 dans le Canard Folk)