A l’occasion de la sortie du superbe cd “Yoraré”de Griff Trio(voir p.3), nous avons interviewé Rémi Decker. Cela fait longtemps qu’on y pensait, au moins depuis la parution de son cd avec Marc Malempré. Voici donc une forme de portrait de ce jeune et excellent musicien.
Marc Bauduin
Q: Après Codicille 2013(chansons wallonnes avec Marc Malempré), te voici de retour avec un excellent cd de musiques belges – même si elles sont mises à la sauce Griff. Es-tu devenu militant wallon, d’une certaine manière ?
R: Quelle question! Je ne me vois pas me balader en rue avec un drapeau Wallon… Ni aucun autre drapeau nationaliste d’ailleurs… En bon acteur des musiques du monde, j’ai joué de la musique d’un peu partout. Avec Griff, au début, on ne se souciait pas trop des origines des morceaux, pourvu que ça soit exotique! Et puis on a commencé à jouer à l’étranger. Là, on nous a demandé de jouer quelque chose « de chez nous »et on ne savait que faire…
Q: On se souvient de ‘k Voel me Belg, un de tes groupes présent en 2005 sur une compilation flamande «Jong Folk». Tu habites maintenant dans le Brabant Flamand. D’où provient cette volonté très nette (qu’on apprécie bien sûr) d’être à cheval sur la frontière linguistique ? Quelles sont tes motivations ?
R: A 18 ans, je voulais étudier la cornemuse. Le seul endroit en Belgique où on peut faire ça, c’est à Louvain/Leuven. Voilà la cause première de mon exil:-)Je suis resté exactement 4 jours au conservatoire avant de comprendre que ce n’était pas l’endroit où j’allais m’épanouir artistiquement. Mais je suis resté à Leuven et j’ai commencé à monter Griff avec des musiciens flamands … Et puis les raisons du cœur m’ont fait définitivement jeter l’ancre en Flandres. J’ai en quelque sorte acquis la « double nationalité »…Mais il est vrai que les premiers concerts de ‘k Voel me Bel gont été en Flandres. On nous a toujours bien accueillis là-bas, où le folk était aussi une affaire de jeunes. Et puis, avec Griff et ce nouveau projet, on profite à 100% de cette étiquette « belge » qui permet de puiser dans la culture latine (Wallonie) et la culture germanique (Flandres) … C’est un luxe ! On s’en voudrait de ne pas utiliser cette étiquette !Ona joué cet été à l’AKDT à Neufchâteau et des gens sont venus nous dire qu’ils étaient tombés amoureux de la chanson flamande grâce à nous ! Je dis : génial !
Q: Un certain nombre de musiciens folk wallons déclarent (en privé) ne pas être enthousiasmés par la musique traditionnelle wallonne. Que leur répondrais-tu ?
R : Facile de ne pas être enthousiasmé parce qu’on ne connaît pas… J’avais le même discours il ya quelques années !
Chaque tradition a ses perles et ses gnangnans, que ce soit la musique de chez nous, ou celle d’ailleurs. Il est certain que ce qu’on connaît des musiques scandinaves,celtiques ou autres, c’est en grande partie les perles …Alors, oui, c’est de la musique super, mais quand même fortement distillée … L’herbe est toujours plus verte dans le pré d’à côté !
Je pense que la musique wallonne a besoin d’un courant d’air créatif: il faut en faire quelque chose, en commençant parle tri gnangnan/perle. C’est ce que nous essayons de faire avec Griff Trio dans un contexte plus intimiste et dans des polyphonies flûtistiques , cornemusesques et vocales, et ce qu’on fait avec Marc Malempré dans un contexte de chanson que nous voulons garder populaire, accessible, mais pas de comptoir ou de musée.
« Nul arbre ne s’épanouit loin de ses racines »(ce n’est pas de moi), mais il faut donner la chance aux nouvelles branches et autres « repousses »de grandir… Et c’est ce qui manque chez nous … Après chaque concert que je fais (peu importe le groupe), des gens viennent me dire : je n’aime pas la cornemuse, mais ce que vous faites j’adore … La même chose avec Marc et la chanson wallonne … Ce sont ces brins de lauriers qui comptent pour moi.
Q: Ce cd,avec ses intros parfois intimistes, semble promis à une belle mise en scène, dans le droit fil du spectacle de chansons avec Marc Malempré. Peux-tu donner quelques commentaires à ce sujet ?Peut-on imaginer que les deux spectacles soient en partie combinés ?
R : Ce que j’aime faire comme musique, c’est une musique qui parle aux gens … Soyons encore une fois honnête en disant que la musique « traditionnelle »n’estpas concertante par définition :c’est une musique accompagnant surtout les gestes quotidiens, dont la danse. Séduire un public à l’écoute demande de la mise en scène. On doit « charger »cette musique d’un message qui puisse aller chatouiller les tympans. Sur ce plan, Griff et le duo avec Marc sont sur le même fil rouge. Mais l’inceste est déjà commis : nous avons invité Marc surle cd. Et nous y avons pris goût …
Q: Parlons un peu de toi, de ta guitare et de ta cornemuse. Depuis quand joues-tu de ces instruments,comment as-tu appris ?L’un des deux est-il ton préféré ?Dans quelles circonstances joues-tu plutôt de la guitare, ou plutôt de la cornemuse ?
R: Je suis né dans une famille où la musique et la danse étaient pain quotidien. J’ai découvert la cornemuse grâce à Walter Lenders et le groupe Trivelin(qui a en quelque sorte marié mes parents;-)). A 10 ans, j’ai fait mon premier stage de cornemuse à Borzée auprès de Bernard Laffineur… La suite est très autodidacte avec par-ci par-là un stage.
En 1999, j’ai participé à mon premier »Flanders Ethno ».En tant que petit gaumais jouant de la cornemuse, je me sentais un peu comme un habitant de mars sur la lune … Et tout d’un coup, je me retrouve avec une centaine de jeunes musiciens « folk » venant des 4 coins du monde, mais aussi de Belgique ! J’y rencontrerai les partenaires des mes premiers projets : Maarten Decombel (Griff, Decker-Decombel), Birgit Bornauw (Griff, BBGE…), Pierre-Yves Berhin (‘kVoel me Belg), Pieter Lenaerts (Griff, R.DeckerTrio) et plein d’autres !
Pour la guitare, c’est une autre affaire … Mon père est guitariste. J’ai toujours entendu de la guitare à la maison. Et pas seulement celle de mon père, mais aussi des guitaristes de premier rang comme Jacques Stotzem ou Beppe Gambetta. J’ai toujours chipoté à la 6 cordes … Mais si j’en joue aujourd’hui sur scène c’est à cause (ou grâce – biffer la mention inutile…) à Marc Malempré et l’amour de la chanson.
En fait, tout commence quand nous avons décidé avec Griff Trio de nous « attaquer » au répertoire de chez nous.Françoise Lempereur m’a permis de mettre mon nez dans les archives sonores de la RTBFà Liège. J’y ai découvert un répertoire chanté dont j’ignorais l’existence. Lu Gaw (dont faisait partie Marc Malempré)m’a beaucoup séduit avec des chants comme « Je suis Soule de mon Homme », « J’a m’tabeur », « Dè pan dè bourre et dè stofè »… (que nous avons repris en duo…). En voulant féliciter Marc Malempré pour ces perles, il m’a proposé de se voir… Ce jour-là, d’instinct,j’ai pris ma guitare … Pour être honnête, je n’ai jamais appris à jouer de cet instrument, mais j’en tire beaucoupde plaisir!
Q: Quels sont les projets de Griff: une tournée en Belgique, probablement ? Également à l’étranger?
R: Il faut relancer la machine, mais un premier concert à la chapelle Monty (Herve) le 7 octobre. C’est la chapelle où nous avons enregistré le disque. Et puis j’espère quand même que la Belgique aura du répondant pour une fois qu’on fait quelque chose de chez nous … Mais nul n’est prophète dans son pays …et nous irons « prophéter »en Croatie fin septembre.Nous aimerions (re)faire le tour des festivals de cornemuse en Europe et espérons que l’intérêt montré par l’Asie se concrétise !
Q: Toi-même, as-tu d’autres projets en cours, à côté de Griff ?
R: A côté de Griff Trio, il y a en préparation un projet de « chansons pour oreilles averties »avec Marc et Tania Malempré. Aussi avec un peu de chance une pièce de théâtre autour de la chanson. Autrement, je joue beaucoup en solo(un condensé de traditions et modernité folle, de cornemuse, de chant, et d’histoires …) à l’étranger, mais aussi cette année en Flandres pour les Jeunesses Musicales.
(paru dans le Canard Folk de septembre 2014)