Francis Molkau
22 ans de fêtes médiévales
Interview le 2/8/18 par Marc Bauduin
– Bonjour, Francis
– Marc, je suis à toi comme l’huile est à la sardine.
L’entrée en matière est joyeuse, cela promet des détails savoureux.
Francis Molkau organise des fêtes médiévales depuis 22 ans, notamment celle de Forest. Nous avons voulu savoir comment tout ça fonctionnait, et comment cela a germé.
Q : Raconte quand, comment et pourquoi tu as commencé. Où, avec quels groupes …
R : Vers 1993-94, trois copains boivent un verre : un qui deviendra échevin à Etterbeek, un délégué syndical, et moi qui suis déjà à la Stib. Nous voulions créer un nouvel événement qui existait beaucoup en France mais très peu en Belgique : un marché médiéval.
Dans un premier temps, nous avions comme idée d’inclure des confréries car elles font un rassemblement chaque année : c’est du folklore, et on montre beaucoup de produits différents. Le lieu choisi était le parc Fontenay à la Chasse à Etterbeek, en mai. Mais nous nous sommes vite rendu compte que les confréries n’étaient pas intéressées : elles jugeaient n’avoir aucun lien historique avec le médiéval.
Nous avons alors contacté beaucoup de gens dans le médiéval en France et donc nous avons fait ce marché à Etterbeek jusqu’à ce qu’on se pose cette question : pourrait-on faire un marché ailleurs aussi ? En 1996 nous avons contacté la commune de Forest, en proposant le site de l’abbaye. Donc nous étions avec deux marchés. Vers 2001-2002 Etterbeek a créé un service d’animation qui a repris le marché ; notre asbl Régal a continué à organiser celui de Forest le troisième week-end de septembre, et c’est la 22ème édition cette année.
Nous en avons fait aussi à Remouchamps, à Namur, et 2-3 petits autres. Nous en avons créé un nouveau cette année en juin à Uccle. Officiellement nous organisons trois marchés : à Kelen (Luxembourg), à Uccle, et à Forest (c’est le plus grand, avec 150 stands, et 50000 visiteurs sur 3 jours). Nous participons aussi au parc de Bruxelles pendant l’Ommegang.
Q : Parle-nous des différents types de stands, ainsi que du nerf de la guerre : la bouffe !
R : Nous avons trois tarifs pour les stands. L’artisan a le tarif le plus bas car il passe des heures à travailler pour fabriquer son produit ; il est vrai que pour être rentable, il achète aussi à l’étranger pour qu’un prix de vente bas provoque un achat impulsif. Le tarif intermédiaire est pour l’horeca : faire s‘asseoir les gens, boire, manger car ce sont de longues journées, c’est ce que j’appelle le petit alimentaire. Et puis il y a la gastronomie où le prix pour des stands de 10-15 m de long peut dépasser les 1000 euros. On voit différentes marques de produits, il y a un peu de concurrence entre les crêpes par exemple.
Nous exploitons aussi depuis le début un débit de boissons avec la brasserie Caulier, la Barbar et toujours un thème bruxellois comme la Blanche de Bruxelles, ou le musée de la gueuze mais là c’est une bière qui ne mousse pas, c’est un très bon produit. Dans le temps, on lançait jadis un morceau de sucre dedans qu’on cassait-mélangeait avec un stoemper pour la faire mousser; les goûts changent, donc on a dû l’abandonner. Régal vend des boissons et de la nourriture, et depuis quelques années le « pavé médiéval », un hamburger de 180 gr de pur boeuf qui vient d’une “ferme boucherie”, on fait la file pour en manger. Aussi des boudins artisanaux, mais on constate qu’on vend de moins en moins de noir; des crêpes sucrées ou salées fabriquées devant le client sur de grandes crêpières, et les gens sont prêts à attendre.
Régal participe aussi à des marchés où il vend des “gafrum”, un dessert médiéval en forme de galette très plate, jadis le dessert du pauvre. On a reconstitué sa recette, on a trouvé des moules en Suisse. Ils étaient cuits dans des fers en métal, ronds avec des logos médiévaux celtiques sur le pourtour. On en vend notamment à la fête de la bière à Mons. A côté de ça, nous fabriquons et vendons des galettes plus épaisses, petites, en différentes variétés dont une chocolat-orange : nous pelons les oranges, nous cuisons dans du jus d’orange, et c’est mélangé avec des pépites de chocolat à la pâte, au prix de 5 pour 3 euros. C’est pur beurre, sans lait, en fait la même recette que le gafrum sauf que c’est 100% beurre.
Sais-tu que j’ai créé un resto au musée du tram, et que j’y ai habité ? J’ai aussi beaucoup voyagé, j’ai eu un parcours peu commun en 40 ans de Stib.
Q : Et financièrement, sans entrer dans les détails ?
R : La commune de Forest donne un subside, mais je leur reverse un bon pourcentage sur la location des emplacements. C’est vrai que nous fournissons beaucoup de services : des groupes électrogènes, des toilettes, de la publicité, tout ça sont des frais pour lesquels on peut récupérer la tva. Nous avons donc intérêt à être soumis à la tva.
A Uccle je prends tout en charge, je ne demande rien à la commune sauf le podium et le service de nettoyage, et je ne lui donne rien.
Q : Et les animations, combats et musique ?
R : L’animation doit être en rapport avec le médiéval mais est souvent très chère. Un campement coûte de 3 à 5.000 euros avec une démonstration de vie médiévale, de la couture, des combats donc un spectacle. A Forest, il y a une chambre à coucher en paille, la fabrication de pièces de monnaie, … des combats en armure, le tournoi de la fédération belge d’escrime médiévale (ils vont d’un marché à l’autre) toute la jounée car beaucoup veulent voir des combats; ils font aussi participer des enfants. Il y a aussi des combats équestres et comme on ne peut pas se payer des box pour la nuit, on met les chevaux dans un enclos en prairie pour respecter la nouvelle législation.
Les groupes de musique à Forest sont trois : Rondinella (de Lou Flagel) qui se balade dans le marché, la Maisnie et La Horde car ce sont les groupes médiévaux jeunes que je connais. Il y a quelques années, on faisait venir le groupe allemand Cradem, de solides gaillards tatoués en jupe de cuir qui demandent assez cher plus l’hôtel, la bouffe et le déplacement. Je connaissais alors Serge Schulz, directeur du Métropole qui les a logés gratuitement et qui réagit plus tard : « pour moi ça ne me dérange pas, mais la clientèle se demandait quoi ! »
Lors des affaires de terrorisme, les contrôles de police ont fortement retardé l’arrivée du public, donc ça râlait ferme dans les stands. Rondinella, très flexible avec ses quelque 35 danseurs et musiciens, a alors joué devant les stands. C’est une attitude que j’apprécie beaucoup.
Zinta, c’est 4 chanteuses. Elles ont chanté dans le marché d’Uccle.
On a quelquefois des soucis : l’association Gaia est venue faire interdire les faucons. Nous avons aussi dû supprimer les balades à cheval dans le parc.
Chaque année nous avons 10 exposants en moins et autant en plus, comme le coulage d’étain ou l’aiguisage de couteaux.
Ce qui a été folklorique pendant deux ans, c’est les combats : il fallait identifier chaque arme et chaque porteur d’arme sinon il fallait laisser les objets pointus, même en bois et des jouets dans la camionnette de la police !
Le feu d’artifice (coût : 5000 euros) a été supprimé depuis le terrorisme. Cette année, il y en aura un de 20 minutes tiré par Van Cleemput (un Bruxellois en qui j’ai confiance) après le concert de la Horde. Mais il faut des tas d’attestations, payer les pompiers 1000 euros (mais ces pompiers sont gratuits pour faire le tour des stands chaque jour avec moi, ce qui n’est pas une mauvaise chose)
Les nouveaux Belges restent en pratique à l’extérieur, évidemment pas intéressés par le boire et le manger; j’ai accepté des stands de thé, de poulet etc juste devant l’entrée donc ils ne se sentent pas exclus (Forest a une population un peu difficile).
Q : As-tu essayé des banquets médiévaux ?
R : L’asbl des Compagnons Aventuriers le fait une fois par an, c’est dantesque. Une autre association l’a fait chaque week-end pendant quelques années, puis l’intérêt a diminué. Je l’ai fait une fois pour les 10 ans d’Etterbeek, et une fois en Brabant Wallon dans la propriété d’un vétérinaire qui n’a pas souhaité continuer.
Q : Quelle évolution vois-tu depuis 22 ans ?
R : Le public est toujours là mais avec une autre facon de dépenser : globalement son budget est plus élevé car il préfère les mini trips, mais il dépense moins pour s’amuser sur place. Les gens mangent et boivent moins, il n’y a plus de ces grandes tables avec x tournées. Bien sûr les campagnes contre l’alcool au volant jouent un rôle aussi.
La qualité des artisans a beaucoup diminué : ils ont difficile à se faire payer les heures qu’ils ont passées. Le côté véridique des artisans disparaît. La Guilde de St Louis en France essaie de promouvoir les artisans, mais c’est difficile.
On constate aussi une multiplication des marchés : envieon 40 en Belgique, 150 à 200 en France. Il suffit de regarder le calendrier Adagio pour la Belgique, la France et la Suisse, on va finir par se casser la figure. A l’Ommegang en juillet j’avais un stand de fabrication de bougies, ce qui est très rare en Belgique (contrairement à l’Allemagne), il serait intéressant d’en avoir à Noel (bien que cela prenne 3-4 h pour fabriquer une bougie).
Q : Qu’est-ce que tu aimes dans le côté médiéval ? Peut-être en mets-tu certains aspects toi-même en pratique ?
R : Ce n’est pas tant le médiéval qui m’intéresse, c’est plutôt l’organisation d’un événement. La devise de l’asbl Régal est « faire plaisir et se faire plaisir ». Ma femme et mes enfants sont aussi dans l’asbl. Je ne suis pas médiéviste. J’ai fait aussi un salon du bijou et un salon 1900.
Q : Quels sont tes projets ?
R : L’année prochaine, j’aimerais commencer un marché en Espagne. J’y connais une structure, j’ai vu le bourgmestre de Playa di Aro, ils ont du budget et sont très demandeurs. De plus, la France n’est pas loin (c’est très bien pour les artisans du sud de la France), si j’ai des subsides je rêve d’un Cradem sur la plage ! L’Espagne connaît bien le médiéval : il y a beaucoup d’événements, des reconstitutions de châteaux avec soirée et banquet médiévaux. Ce serait en avril ou en octobre, car le prix des hôtels chute à ce moment de l’année.
Autre chose : l’an prochain en juin à Uccle, je devrais inclure un tournoi européen d’arbalétriers de 300 personnes. Ils sont venus voir le lieu, et trouvent que la configuration du parc s’y prête à merveille.
Contact : asbl Régal mail francism.regal@gmail.com Facebook : asbl Régal