CF 13 (janvier 1984)

Dansons Wallon

par Walter Lenders

Parmi les nouvelles formes musicales qui ont vu le jour chez nous ces 20 dernières années, la musique traditionnelle tend à prendre une place de plus en plus importante.

Accessible à tous par sa simplicité, son caractère non savant et peu sophistiqué, elle se prête facilement à la pratique populaire car elle émane en principe d'une culture ressentie, vécue, et non consommée passivement.

C'est de cette idée qu'est né en nos régions le mouvement folk, dès les années 68/70. Cette nouvelle mouture de musiciens et leurs productions ont remis en question la vie et le fonctionnement de groupes de danses traditionnelles tout en laissant espérer un certain renouveau.

Ces groupes traditionnels ou de "revival" allaient pouvoir tendre vers plus d'authenticité et de sincérité. Les musiciens allaient pouvoir accompagner en spectacle ces danseurs en costume d'époque en leur offrant de nouveaux arrangements musicaux et de nouvelles sonorités émanant de leurs instruments tout neufs remis sur chantier par des luthiers chercheurs.

Mais on leur a souvent - à quelques rares exceptions près - fermé la porte au nez comme à des charlatans et autres fauteurs de troubles : rien ne s'est produit en Wallonie.

Ils se sont alors tournés vers d'autres danseurs. Ceux qui, déjà sensibilisés par certains mouvements verts ou écolo, prônaient le retour aux sources et aux richesses culturelles régionales : le bal folk était né.

Durant ces dix dernières années, danseurs et musiciens se balladèrent de festival en rencontre et de bal en stage. Dans ce cadre rassurant, une nouvelle génération de danseurs était née.

Garçons et filles sympa, cheveux lonqs ou bouclés, souvent étudiants ou jeunes couples intellectuels, bien dans leur peau, habillés "petite maison dans la prairie", ayant énormément de copains et se faisant la bise en signe de ralliement.

Et l'on dansait la schottiche avec énergie, la farandole sauvage, la mazurka contre la montre et même des gigues, bourrées et autres rondeaux, tous unis dans un vaste cercle circassien.

Pourtant, aujourd'hui, le folk est mort :

1) les danseurs n'ont jamais voulu faire l'effort de perfectionner leur savoir danser.
2) les musiciens, trop souvent mal informés négligent souvent leur rôle d'animateur et de meneur de bal.

Il est bien décevant de devoir constater lors des rencontres dansantes que le savoir-faire des danseurs ne se soit entichi que de très peu de choses depuis Champs, Bastogne et Floreffe.

Nous constatons souvent que ni le danseur ni le musicien ne sont capables de resituer une danse dans son cadre géographique, son contexte social, son époque et encore moins de respecter les règles de bienséance qui la régissent. Tout passe à la moulinette de l'uniformité sans respect pour l'originalité, la rigueur et la spécificité régionale.

Si nous voulons que survive chez nous en Wallonie cette forme de bal communautaire (dit bal folk), il est temps d'emprunter d'autres voies et de proposer d'autres démarches.

1) Créer des cercles de la danse (club folk) ou même des maisons de la danse comme il en existe en France, en Angleterre, en Hongrie et aux Etats-Unis, où on prend le temps d'apprendre les danses.
2) Mettre à la disposition des danseurs des publications leur permettant d'aller à la rencontre du matériel dansé et de satisfaire leur légitime curiosité.
3) Demander aux musiciens le respect des tempi imposés traditionnellement à chaque type de danse et aux animateurs plus de rigueur dans l'exposé (très bref) des danses. Nous cherchons encore toujours des "danseurs modèles" à imiter.
4) Oser aborder le folklore dansé et chanté de Wallonie et concentrer l'intérêt autour d'un patrimoine qui vaut la peine qu'on l'aborde. (Faut-il parler du Wallon qui tombe en admiration devant l'exotisme importé en cachant honteusement sa propre production?)

Oublions pour une fois le slogan que les danses wallonnes soient trop difficiles à danser, qu'il faut les simplifier; les mettre à portée de tous en supprimant leurs difficultés. Et si les danseurs allaient à la rencontre de ces difficultés en essayant de les vaincre?

Je suis convaincu qu'il n'est pas plus difficile d'aborder une maclote ou une allemande de chez nous qu'un rondeau gascon ou une bourrée berrichonne. Ou serait-il moins traumatisant de s'attaquer gaillardement aux danses anglaises ou françaises qu'aux contredanses de Wallonie?

Le répertoire chorégraphique wallon existe, nous y avons tous accès. Les reconstitutions de danses par Jenny Falize ou les airs extraits des carnets des ménétriers ardennais Houssa, Lambert, Jamin constituent les trois quarts du répertoire de nos groupes de danses traditionnelles.

Pourquoi ces chorégraphies,dansées depuis 25 ans maintenant, ne conviendraient-elles pas aux bals de danses communautaires ?

Je propose que dès à présent nous concrétisions quelques idées dans les faits.

1) Donnons l'information aux danseurs et musiciens en publiant dans les périodiques spécialisés en danses et musiques populaires un répertoire wallon (partitions et chorégraphies habituellement pratiquées)
(NDLR : s'il s'agit de la création d'une rubrique wallonne dans le C.F., la réponse est affirmative.)
2) Intégrons dans les répertoires de bal les danses de chez nous en précisant leur origine et leur pas avec exactitude.
3) Imprégnons nos animations en danses communautaires d'une certaine rigueur dans l'exécution des pas, rythmes et figures.

Si nous voulons jusqu'à l'obstination imposer dents nos bals et animations un répertoire disparate, de provenance souvent incertaine et d'origine parfois douteuse, nous risquons de perdre toute personnalité culturelle.

Je propose que chacun y réfléchisse sérieusement pour que nos danseurs et musiciens des bals folk et des groupes traditionnels puissent s'intégrer dans notre époque et tentent d'harmoniser le passé et le présent tout en utilisant les techniques que leur offre notre fin de 20ème siècle.

Walter LENDERS

animateur de Trivelin.