CF 44-46 (octobre-décembre 1986)

Hubert Boone

Q: Quand le Brabants Volksorkest a-t-il été créé ?

R: J'ai créé le groupe le 8 novembre 78. C'était dix ans après De Vlier. Nous étions un noyau de musiciens qui voulaient avoir un orchestre permanent. Le Brabants Volksorkest comporte neuf musiciens, dont quatre femmes - c'est à signaler.

Qui choisit-on comme musiciens, quand on veut former un groupe ? On prend des gens qu'on connaît, qui n'habitent pas trop loin l'un de l'autre, et qui ont envie de jouer la musique que nous jouons actuellement, qu'on appelle "danskes" en flamand et "arguedenne" en wallon : de la musique de danse des orchestres de l'époque. Ces orchestres n'existaient plus lors de la création du groupe, mais certains de leurs membres étaient encore vivants, et cette musique se jouait encore dans la tradition de fanfare - elle se joue encore actuellement, mais très sporadiquement.

Il me fallait donc un certain nombre de musiciens. J'étais décidé à constituer un grand orchestre qui soit une prolongation des grands ensembles de l'époque, dont j'avais des exemples intéressants. Je sais que cela pose des problèmes à tout point de vue : pratique, financier, car si on vous demande quelque part et que vous êtes 4, ce n'est pas compliqué, mais si vous êtes 9 et que de plus des conjoints des musiciens accompagnent, cela devient une véritable invasion.

Quant au choix des instruments : je n'ai pas dû me limiter aux instruments dont nous disposons actuellement, mais on prend bien sûr les musiciens qu'on a, avec l'espoir d'avoir un ensemble qui puisse jouer tel répertoire.

Malheureusement, à l'époque je jouais d'un cuivre, j'aurais toujours préféré en avoir plus mais on ne peut pas tout avoir ... Nous avons assez bien de violons, et il vaut mieux quelques bons violons que quelques mauvais cuivres. En fait, nous sommes quatre violons si l'on veut. Nous jouons quelques pièces pour violons, mais ces instruments n'ont pas toujours la première place, ils ont même souvent un rôle accomragnateur, comme c'était courant à l'époque.

LE REPERTOIRE

Q: Comment as-tu constitué le répertoire, et comment se fait-il qu'il contienne tant de polkas ?

R: Mon rêve à l'époque, c'était de pouvoir jouer un répertoire dont j'avais déjà une très grande collection : le répertoire de danse. En premier lieu donc, avoir un orchestre qui perpétue une tradition qui a été très forte, et qui existait encore dans des noyaux de fanfares.

Cette musique de danse traditionnelle que j'ai pu recueillir auprès des musiciens soit en partitions, soit en enregistrements, soit en notation sur place, consiste surtout en répertoire de bal composé de polkas, valses, mazurkas, scottisches, parfois redowas (ça dépend des régions), parfois varsoviennes qui vont remplacer un peu les mazurkas (ça dépend des périodes); des quadrilles bien sûr, et aussi certaines danses tout à fait traditionnelles sortant des gildes, comme la Molendans, la Wandeling, la Kegeldans, etc.

Je continue cette recherche avec la clarinettiste de mon groupe : ensemble, nous avons recueilli environ 4800 documents, dont certainement 1200 mélodies différentes. J'espère en publier une première partie d'ici trois ou quatre ans.

Il n'y a pas de doute : les polkas sont musicalement les plus fortes, avec certaines formes de mazurka qui sont plus difficiles à jouer. Dans notre région, les valses sont moins réussies, et les scottisches aussi. Naturellement, j'avance là un goût personnel. Tout le monde aura un avis différent sur ce sujet. Si tu aimes un Brel et quelqu'un d'autre un Will Tura, où est la norme scientifique ? Il existe en tout cas un consensus, que je ne peux pas expliquer.

D'où la priorité accordée aux polkas, mais il faut dire aussi que dans cette tradition, ce sont toujours les polkas qui ont la première place. En tout cas, les mélodies appelées polka, et qui ne sont pas toujours comme on croit qu'une polka doit être faite, mais ce sont des mélodies en forme de polka, avec des possibilités qui vont parfois très loin.

Ainsi, la wandeling que nous jouons est appelée dans certains villages "polka wandeling". Ca n'a rien à voir avec une polka; peut-être la deuxième partie fait-elle penser à une polka, mais on ne danse pas la polka dessus.

Pour moi, à un moment donné, la polka était une dénomination, que l'on pourrait comparer au mot "viool" utilisé pour désigner des épinettes. Les épinettes sont parfois représentées par un mot en deux parties, dont la deuxième est "viool" : blokviool, krapviool, etc. "Viool" veut dire ici: instrument de musique. Alors, polka signifie peut-être: danse en rythme de 2/4.

Mais je remarque, dans les polkas anciennes, des choses qui n'ont rien à voir avec les polkas originales, et qui sont très proches des contredanses. C'est là que ça devient intéressant, parce que dans les scottisches que nous jouons, parmi les toutes premières scottisches, il y en a qui sont proches de la gavotte.

Je crois - ce sera peut-être éclairci plus tard - qu'à une époque la gavotte était à la mode, puis la mode a changé ça ne va plus s'appeler gavotte mais bien scottische, et ce sera la même structure musicale, parfois même la même mélodie, qui va évoluer à petits pas. D'ailleurs nous sommes en train de répéter une scottische qui est tout à fait un quickstep, à la limite du swing, dans le style des orchestres de "jazz" du début, peut-être après la première guerre mondiale.

Ce travail de recherche sur le répertoire me prend énormément de temps : j'y consacre des week-ends et des soirées, car cela n'a rien à voir avec mon travail au Musée instrumental, mais c'est passionnant.

On voit que notre pays possède une très grande tradition. On voit très bien que certaines figures de quadrilles sont complètement dans le style des contredanses 18ème, c'est musicalement tout à fait la même chose, elles vont simplement se différencier ensuite par des modulations et peut-être aussi par la vitesse (le tempo n'est pas toujours facilement déterminable).

Même chose pour les gavottes qui évoluent vers les scottisches. Idem pour les redowas et les mazurkas. Varsovienne, redowa, mazurka, c'est parfois un grand pot dans lequel on ne remarque pas tellement de différences.

Certains vont me dire : la dernière partie d'une redowa est une valse. D'accord, mais il y a des redowas qui n'ont pas de valse à la fin ! Parfois, où est la différence entre une valse et une varsovienne ? Ce n'est pas toujours si clair. Le problème apparaîtra plus nettement dans le recueil que je vais publier, d'après les renseignements fournis par les vieux musiciens que j'ai rencontrés.

Mais il y a des éléments tout à fait typiques. J'ai été voir un musicien qui jouait depuis 69 ans, il avait joué depuis l'âge de 12 ans dans des orchestres de bal, donc il a joué avec des vieux; je lui demande quelle est la différence entre les musiques de valse et de mazurka, il me répond : "dans une valse, tu ne trouveras jamais de triolets comme dans une mazurka". Eh bien en effet, c'est tout à fait de chez nous. Tu ne trouveras pas de gammes ascendantes diatoniques dans les mazurkas, mais bien dans les valses.

Si on veut, à l'avenir, on pourra codifier pas mal de choses; on trouvera certainement des caractéristiques très claires, des formules mélodiques ou rythmiques typiques.

Evidemment, notre musique traditionnelle est très fort influencée - elle ne l'est peut-être pas plus que l'allemande ou l'autrichienne -, on saura tout cela dans trois ou quatre décennies, lorsque dans tous les pays des ordinateurs nous diront les formules typiques de telle ou telle région.

Cependant, il y a des gens qui disent que nous faisons de la musique acculturée, très influencée par la musique de ville. C'est quoi, la musique de ville ? Il est vrai qu'il y a autour de nous la grande France, la grande Allemagne, la grande culture anglo-saxonne, et la Scandinavie qui n'est pas si loin que cela.

Mais je pourrais faire cette même réflexion pour d'autres pays. Il existe bien sûr, en Europe, des choses complètement isolées (en nombre limité), mais nous ne sommes pas isolés en Belgique, au sens où le comprennent certains ethnologues.

Q: N'est-ce pas encore plus difficile du fait que vous avez choisi un répertoire assez récent, d'une époque où les publications, la radio jouaient déjà un rôle important ?

R: Pas la radio. Les publications, oui. Notre répertoire était surtout populaire du 18ème jusqu'au début du 20ème siècle. C'est délicat, ce n'est pas simple. Beaucoup de gens critiquent cela, je peux les comprendre.

Mais je pense à un critique, un Néerlandais grand spécialiste de la musique balkanique qui, en recensant nore deuxième disque écrivait : "c'est incroyable que cette musique se limite à deux ou trois tonalités : les violons jouent toujours en ré, en sol ou en la".

C'est incroyable de dire cela ! Je pourrais dire que toutes les valses de Strauss sont en trois temps ! Il devrait savoir que la musique de violon, partout en Europe occidentale, est en la, en ré ou en sol. Je pourrais dire aussi que toutes les radjenitsa sont à 7 temps en Bulgarie, mais si ce n'était pas le cas ce ne seraient évidemment pas des radjenitsa !

On pourrait dire aussi que le bourdon d'une cornemuse ne produit qu'un son, et pas deux. Je crois que ce sont des préjugés, que les critiques n'aiment pas cette musique que nous jouons et donc qu'ils vont essayer de l'abattre par tous les moyens. Je pourrais aussi abattre leur musique en la ridiculisant.

On peut tout ridiculiser, ce n'est pas compliqué. Je viens du Musée, où il y avait ce midi une discussion. Tu sais que j'ai eu une éducation musicale classique au conservatoire, j'étais violon alto à l'opéra d'Anvers dans l'orchestre de la reine Elisabeth, et j'ai joué tous les concertos brandebourgeois de Bach.

Eh bien, devant le type qui était là, qui plaçait Bach sur un piédestal, j'ai fait l'essai, pour m'amuser, de ridiculiser la musique de Bach. J'ai dit: Bach, c'est très beau, mais il y a pourtant deux concertos dans lequel il y a énormément de mêmes notes qui se répètent: ta ta dam ta ta dam ... on peut dire que c'est une musique de machine. Cela n'empêche que je considère Bach comme le compositeur le plus génial.

Maintenant, que veux-tu entendre ? C'est la vraie question. C'est un danger que je remarque de plus en plus souvent. Fréquemment, les gens de la radio te disent ce qui est bon et ce qui est mauvais. Mais les goûts sont différents !

Il vaudrait mieux dire tout simplement qu'on n'aime pas. Mais dire que c'est acculturé, qu'il y a une trop grande influence de la musique des villes, qu'il n'y a pas une profonde tradition : je peux contester tout cela.

Nous avons des critiques ainsi, de la part de personnes importantes. Je ne demande pas qu'on passe notre musique, ou la musique qu'on aime, toutes les semaines à la radio, ce n'est pas nécessaire, mais on voit par exemple qu'on passe 25 émissions sur la musique de flamenco, c'est vraiment pour des spécialistes; cela ne me dérange pas, mais je constate qu'on ne m'a jamais demandé de parler de ce que j'ai trouvé sur la musique de la communauté flamande, cela ne les intéresse apparemment pas. Or je constate que la BRT est payée par la communauté flamande, et vit pour elle.

Je dois mener une lutte quasi continuelle pour l'orchestre, il faut toujours se défendre. Certains n'aiment pas ce qu'on fait, d'autres trouvent que ce n'est pas assez anglo-saxon, parfois ça fait un peu trop allemand ou autrichien; d'autres encore disent que ce n'est pas moderne, que ce n'est plus actuel (alors que la tradition existe encore, mais à échelle réduite).

Qu'est-ce que la musique moderne ? Un professeur de Gand répond : Boulez, Schönberg, Alban Berg. Mais Schönberg est mort depuis longtemps, ça date d'avant la seconde guerre mondiale. Pour moi la musique moderne c'est le rock, c'est Madonna. On l'aime ou on ne l'aime pas, mais c'est actuel. Dans ce sens, aucun compositeur de musique savante n'est actuel.

Tout cela pour montrer que je dois me défendre contre un tas de trucs. Avec mon groupe, je ne veux pas faire uniquement cette musique, mais c'est la grande partie de notre répertoire.

Il se peut que demain nous constations, dans le groupe, que ce n'est pas la bonne voie; ce n'est pas la première fois que nous aurions une discussion à ce propos, c'est normal, il y a toujours des pressions de tous côtés pour jouer dans un orchestre de rock, dans une symphonie, dans une fanfare, parce que les bons musiciens sont demandés partout, c'est un problème dans les orchestres ...

Mais si le groupe est invité au Québec par exemple, c'est bien parce que nous jouons cette musique, les gens le savent, c'est original, typique, c'est notre spécialité, c'est cela qui nous permet de voyager, de faire des disques ...

C'est une grande bataille. On croit souvent que dans le milieu folk les gens sont pacifiques, mais c'est comme dans tous les milieux artistiques, du point de vue de la compétition. Je compare cela avec le milieu de la musique baroque, où tout le monde se dispute, où les musiciens clament que beaucoup de choses sont mauvaises, excepté ce qu'eux-mêmes font.

La situation s'est cependant améliorée dans les groupes flamands, sans doute parce qu'il y a peu de groupes, que le marché est marginal.

LES DISQUES

Q: On dit que le BVO prépare la sortie d'un nouveau disque ?

R: Oui, nous prérarons un quatrième 33 tours, qui sera enregistré entre novembre et mars. Le répertoire est assez difficile, un peu plus diversifié. On y trouvera quelques contredanses : c'est à la mode, et c'est intéressant pour la forme mélodique en 6/8, qui s'est un peu éteinte dans notre tradition, c'est le moment de reprendre ça.

Nous n'allons certainement pas chanter : nous sommes un bon groupe instrumental et il est difficile d'avoir un bon chant. Certains nous demandent de chanter, surtout des étrangers. Mais nous pourrions ajouter des chants, et puis aussi des mélodies wallonnes, et c'est une chaîne sans fin.

Je veux de toute façon rester dans ma spécialité : je n'ai pas fait des recherches auprès de vieux musiciens pour faire ensuite tout à fait autre chose, ce serait une perte de temps.

Mais je suis ouvert à d'autres choses : le rock m'intéresse beaucoup - et le baroque aussi - mais je ne me vois pas facilement le faire avec le même orchestre, je crois d'ailleurs que la plupart des membres ne voudraient pas sortir de notre spécialité pour l'instant, pour toutes sortes de raisons, entre autres de capacités musicales, et pratiques : je ne vois pas facilement un musicien avec un accordéon diatonique se lancer dans le rock.

Le niveau musical du disque sera en tout cas au moins aussi élevé, je ne peux pas me permettre de faire autrement, c'est une question de standing d'orchestre. Nous le voyons bien quand un de nos concerts est moins bon, les gens nous disent : qu'est-ce que vous faites, c'est moins bien que l'année passée ! Un élément très important pour moi, est également de diffuser de nouvelles mélodies, de collectage ou de composition.

Q: Si vous faites tellement de disques, peut-on en conclure que c'est rentable ?

R: On a fait le premier disque avec Alpha ... je ne sais pas combien ils en ont vendu. Idem pour Philips, ils n'ont jamais fait d'effort pour le vendre. Ils l'ont peut-être fait pour la galerie, pour dire : on s'occupe de Urbanus, mais on fait aussi des disques culturels ... Je crois que toutes ces maisons de disques nous arrangent.

Le troisième, nous l'avons édité nous-mêmes; nous en avons beaucoup donné, nous avons fait beaucoup de promotion - le but n'est pas de rentrer de l'argent. C'est difficile de s'occuper de la diffusion, c'est tout un travail administratif; pourtant le disque est bon. De plus, avec ces problèmes de fisc, on a été tellement bouleversés et découragés qu'on s'est dit : si c'est pour cela qu'on fait tellement de travail !

FISC ET FOLK

Q: Pourrais-tu résumer ce qui s'est passé avec les contributions ?

R: Il est certainement vrai que nous avons été négligents. Nous "travaillons" en amateurs, nous avons des revenus mais aussi des frais, et le conseil nous avait été donné de ne pas faire de travail administratif pour cela car cela n'en valait pas la peine.

Or, si on n'a pas les justificatifs officiels de ces frais, c'est le drame, on est vus. Il est certain que nous avons été dénoncés par plusieurs personnes, des personnes très bien informées ou qui ont cru être bien informées, et sans aucun doute aussi très jalouses.

Le fisc s'est basé sur ce que nous sommes supposés gagner. Exemple : si le ministère nous demande nos activités et nos prix eh bien nous n'allons pas faire l'aumône au ministère, nous demandons 20.000 F. A neuf personnes, ce n'est d'ailleurs pas trop.

Mais le fisc voit qu'on a été jouer ailleurs à tel endroit, et qu'on déclare là 8.000 F : ce n'est pas possible pour eux, donc nous sommes supposés avoir reçu 12.000 F en noir.

Tu sais très bien que ce n'est pas le cas. Pour un tas d'activités nous sommes en-dessous du tarif ministère, il y en a même un tas que nous faisons gratuitement. Le fisc calcule d'après ces 20.000 F.

Tu vas être étonné, mais ils ont une liste complète de toutes nos activités. De tout ! Quelqu'un avait dit par hasard à un journaliste que nous avions une activité chaque semaine. Oui, mais quelle activité : un concert, ou une répétition ? Finalement, ils ont bien vu que ce n'était pas ce qu'ils croyaient, que ce n'était pas chez nous qu'il fallait venir prendre de l'argent.

On a même discuté des heures entières à propos des avantages en nature. Le groupe a été au Québec, avec entre autres la Communauté flamande, l'ambassade du Québec, la communauté québécoise, tous ces gens trouvent le moyen, par des accords culturels, de nous rembourser les tickets de voyage.

Tu peux donc calculer et dire par exemple que le groupe a reçu 180.000 F d'avantages en nature. Donc, on va nous taxer sur ces 180.000 F. On pourrait dire aussi qu'on a mangé au Québec, et nous taxer là-dessus. Où va-t-on ?

J'ai été jusqu'au cabinet des finances pour demander si c'était normal de faire ça : ces gens étaient bouleversés, et ont dit que ce n'était pas normal. J'ai même donné l'exemple suivant : supposons que nous ayons reçu 180.000 F d'avantages en nature; nous avons fait sept concerts là-bas, donc la Communauté flamande et le ministère des affaires étrangères qui nous ont envoyés là-bas ont reçu 7 X 20.000 F = 140.000 F d'avantages en nature, et doivent donc être taxés là-dessus.

Donc, le fisc a vu que ça n'allait pas. Bien sûr, il y a des avantages en nature, mais quoi, si demain tu viens manger chez moi, c'est aussi un avantage en nature, il faut le déclarer au fisc ?! C'est une histoire sans fin. Il y a peut-être des abus dans certains milieux, mais pas chez nous.

Le résultat, c'est que pour 82 et 83, j'ai payé presque le triple de ce que j'ai gagné. Après 83, c'est différent, car il y a l'asbl, et le disque nous a coûté beaucoup d'argent.

En tout cas, c'est une bonne leçon. En sortant d'ici, je vais noter mes kilomètres pour interview avec Marc Bauduin ! C'est ce que le fisc veut. Et quand nous jouons en dessous du tarif ministère, il nous faut une preuve que nous avons gagné moins.

S'ils continuent avec ces avantages en nature, il n'y aura plus de fanfares en Belgique. Lorsqu'une fanfare part en Autriche pour trois jours, on va calculer le prix du voyage, et ensuite envoyer des formulaires de contribution ? De plus, certaines fanfares achètent des instruments pour des millions. Heureusement, le fisc a reculé sur ce point, c'est une bonne chose pour les autres groupes.

On a aussi très vite remarqué quels sont les gens, du monde du folk, qui sont solidaires. Certains groupes ont très vite proposé de faire une soirée de soutien, mais nous aurions dû payer des contributions sur ces dons, et cela n'a donc pas été réalisé.

MOYENS DE DIFFUSION

Q: Revenons à la musique : que penses-tu de la place de la musique et des danses traditionnelles dans la société, as-tu des idées à exprimer à ce sujet ?

R: Ce qui m'attriste, c'est qu'il y a en Belgique très peu d'initiatives en matière de musique traditionnelle. C'est très étonnant. Je crois que si tu allais en Auvergne, tu serais ravi de trouver un restaurant auvergnat avec de la musique auvergnate, il n'y a là rien de chauviniste ni de nationaliste.

En Belgique, cela ne se fait pas. J'ai parlé à un patron d'un restaurant de spécialités flamandes, je lui ai demandé pourquoi il n'organisait pas régulièrement, ne fût-ce qu'une ou deux fois par an, une soirée avec des menus locaux et de la musique traditionnelle. Cela donne une ambiance, non seulement pour nous, mais pour les touristes aussi.

"Ah oui, je n'y ai jamais pensé", me répond-il. Je trouve ça incroyable. Tu vas dans un resto grec à Bruxelles, tu y vois des musiciens grecs. Dans notre pays, on ne pense pas à ce genre de choses.

Q: Tu ne penses pas qu'il y a quand même assez souvent des marchés artisanaux ?

R: Ah oui, mais c'est toujours la même chose : on y voit des artisans fabriquer des paniers, mais ça ne va jamais au-delà, ce sont des curiosités de l'époque. Nous y sommes les bienvenus, bien sûr, ce qui rend cette musique un peu ridicule, parce qu'on dit : c'est fini, c'était le bon temps cela. Cela ne m'enchante pas du tout. C'est une musique qui n'est pas morte, qui vit ... mais les gens veulent-ils vraiment que ça continue ?

Nous avons déjà joué pour quelques colloques, notamment à Louvain, où il y avait beaucoup d'étrangers ravis d'entendre de la musique belge. Un Russe a eu cette réaction : "Le mois dernier j'ai été en Ukraine, c'était tout à fait la même chose, dans un restaurant ukrainien avec de la musique ukrainienne". Le monde gastronomique et le monde touristique en Belgique ne profitent pas assez de cette possibilité.

Une autre possibilité, ce sont des manifestations comme l'Ommegang à Bruxelles : quand l'Ommegang se termine, ce serait le moment de commencer des bals ! A partir de cette année, le Brabants Volksorkest va participer à certaines choses comme la kermesse de Louvain, pour remettre cette musique dans son contexte.

Je peux te dire une chose : on a été avec le groupe en Hongrie. Si notre groupe était hongrois, je suis convaincu que nous serions attachés deruis longtemps à un ou plusieurs centres culturels.

Les centres culturels en pays flamand nous ont rarement demandé de participer à des activités. Ou bien ces gens pensent que cette musique est dépassée, ou bien c'est un problème d'information, car ces gens ont tellement de choix, de possibilités ...

C'est une évolution de mentalité. Un étudiant devrait un jour entreprendre une étude sur ce sujet. Il n'y a pas longtemps, pendant quatre jours de maladie, j'ai décidé d'écouter toute la journée la radio flamande (première et deuxième chaînes) : je voulais savoir tout ce qui passait comme musique.

Il se fait qu'il existe, à la BRT, des émissions spéciales de musique ethnique, et d'autres pour immigrés : au total, il passe peut-être 20 ou 30 fois plus de musique traditionnelle de pays immigrés tels que la Turquie ou le Portugal, que de musique traditionnelle flamande.

Plus généralement, j'ai été stupéfié du choix des programmes. On entend beaucoup de choses qui n'ont aucune raison d'exister, culturellement ou musicalement. Je crois que ce n'est pas toujours une question commerciale, c'est de la paresse et surtout de l'incompétence.

J'ai gardé pendant six mois, toutes les coupures de journaux flamands concernant la musique (je ne parle pas de la musique savante). En musique populaire naturellement, rien d'important ne s'est passé dans le journal.

Il faut savoir que le Standaard est c onsidéré comme étant le journal culturel flamand. J'ai appris que le journaliste du Standaard a été voir les Chieftains à l'Ancienne Belgique, pour la première fois de sa vie : c'est donc qu'il n'a jamais éprouvé d'intérêt pour eux ou pour ce genre de musique.

C'est plein de trucs sur le rock. Je suis tout à fait d'accord : on écoute du rock, ma fille a quinze ans, elle écoute Madonna, on a des disques, ça m'intéresse. Mais j'ai été stupéfié de voir toutes les bêtises qu'on écrit, dans le Standaard ou dans les autres journaux. Une star de rock a perdu un bouton à l'aéroport de Londres, c'était dans le journal.

Ca signifie que le niveau culturel est vraiment bas. Si demain une autre musique devient à la mode, ces types sauteront dans le train, ils se laissent aller sans aucune critique. Aucun journal, même pas le Standaard, n'a présenté notre dernier disque, depuis un an et demi qu'il est sorti.

D'autre part, on peut entendre tous les samedis sur BRT2, une critique de disques, folk et autres; les producteurs ont le toupet de dire : tel disque est bon, tel autre est mauvais. C'est incroyable ! Ce n'est pas ça leur devoir. Ils doivent informer les gens, mais pas imposer leurs goûts de cette manière-là.

Ca me rappelle une discussion qu'on a eue avec des clarinettistes. En Belgique, on joue en si bémol; il existe aussi des clarinettes en ut, mais elles sont considérées comme mauvaises. Or, il faut savoir que de grands compositeurs comme Richard Strauss et Mahler ont composé pour clarinette en ut. Etaient-ce de mauvais musiciens ? Ils voulaient entendre, une fois, une clarinette avec un autre timbre, c'est tout.

... Depuis le temps que je travaille au Musée instrumental, jamais on ne m'a demandé de discuter avec ceux qui s'occupent de la musique dans l'enseignement normal, ou même dans les écoles de musique. En France, par contre, il y a quelques conservatoires où on fait un effort, il y a de l'idée.

On peut tout mettre en cause, rapport au chauvinisme : cela sert-il à quelque chose, par exemple, de parler flamand dans le monde ? Apprenons tous l'anglais, et devenons unilingues.

Les Jeunesses Musicales, que font-ils ? J'ai vu un concert de Muzsikas,organisé par les JM à l'hôtel de ville de Bruxelles, avec explication de leur musique. C'était très intéressant. Mais on ne nous a jamais demandé une chose pareille en Belgique. En Hongrie, par contre, les écoles ont toute une éducation musicale.

Il y a peut-être un esprit d'antichauvinisme en Belgique. Bien sûr, il ne faut pas surestimer le niveau de cette musique traditionnelle, il faut relativiser.

Mais elle a des caractéristiques propres, elle est structurée, je la trouve donc intéressante; d'autre part, j'ai peut-être un lien émotionnel avec les vieux musiciens chez qui j'ai collecté des airs. C'est souvent le cas, dans différents pays : les musiciens sont fiers de pouvoir dire qu'ils ont appris tel air de tel musicien.

Tous ces éléments jouent dans ce que je veux faire, dans ce que le groupe veut faire.

Un facteur de progrès dans ce domaine serait une beaucoup plus grande collaboration entre toutes les organisations, qu'elles soient wallonnes ou flamandes, sans qu'elles doivent pour autant abandonner leur propre identité.

Je regrette que dans beaucoup d'organisations, du nord ou du sud du pays, la politique, le côté communautaire, interviennent de plus en plus, et ce par le biais des subventions. Cela me rend plutôt pessimiste, surtout quand on voit que les fêtes des communautés, les 11 juillet et 27 septembre, sont là surtout pour insulter l'autre communauté.

J'ajouterai une chose, en pensant aux stages : les milieux flamands ne doivent pas s'identifier à la Hollande. La Flandre n'est pas la Hollande, et, de même, la Wallonie n'est pas une annexe de la France.

Actuellement, je suis en train de recopier, avec Kristel, la clarinettiste de mon groupe, des mélodies recueillies auprès de vieux musiciens. C'est un travail de bénédictin ! Nous sommes en train de préparer un volume de 250 mélodies. Nous allons essayer de terminer les transcriptions pour la fin de l'année prochaine, ensuite nous devrons comparer les différentes versions, ce qui ne veut pas dire que ce sera publié l'année d'après, car il faudra trouver les moyens de le publier. On verra alors où seront toutes ces grandes institutions flamandes : cela les intéresse-t-il d'avoir une grande collection de musique instrumentale flamande ?

Voici un exemple : la polka de Hever. Or, il existe une mélodie finnoise qui est une deuxième voix de cette polka. C'est un exemple frappant mais rare. Je crois que les Finnois n'ont jamais imaginé qu'il y avait une mélodie "audessus" de la leur. J'ai d'autres exemples où la deuxième voix d'une mélodie est devenue première voix, et a englouti la première voix originale.

Un autre exemple : tu connais l'air des gilles. Voici la polka de Wezembeek-Oppem, qui en est une variante. Un vieux dictionnaire hollandais, édité à Amsterdam en 1795, en parlant de l'orgue de Barbarie, publie aussi cet air. J'ai d'autre part un recueil de danses de Peter Kennedy, où l'on retrouve le même air : il existe donc aussi une variante anglaise intitulée Davie Nic Nac.

Déjà, 70 mélodies sont transcrites. En général, toutes les semaines, Kristel ou moi allons visiter un musicien, très souvent en Brabant ou en Campine. On l'interroge, on essaie de recueillir des partitions, parfois pour orchestres complets, pour 4 ou 5 instruments et même jusqu'à 11.

C'est là-dessus, dans les grandes lignes, que je me base pour écrire les arrangements d'orchestre. Il y a bien sûr aussi des idées personnelles, et le choix des instruments joue également.

Voici une mélodie, avec arrangement complet pour bugle, cornet, trombone en ut et tuba. C'est un travail de fou : il faut d'abord déchiffrer cela, puis le retranscrire; de plus, il y a des fautes je ne sais pas s'ils jouaient les fautes, ces partitions n'étaient peut-être qu'un aide-mémoire. Il y a beaucoup de telles partitions que les gens conservent, mais ils ne les donnent pas facilement.

Il ne faut pourtant pas croire que les arrangements du BVO sont complètement de style traditionnel : disons que la base est là, il ne faut pas exagérer. Je ne suis pas si traditionnaliste en cette matière qu'on ne le croit, pour la bonne raison que je n'y vois pas encore assez clair, et que J'ai d'autres instruments. En règle générale, nous jouons plus de seconde voix qu'à l'époque, mais moins de contrechant, pour la simple raison que je n'ai pas de trombone ou de violoncelle qui fasse un contrechant. Il faut donc combler cette lacune d'une autre manière.

Voici un exemple de très beau trio à deux voix, c'est en tierces. C'est ce qu'on fait. Quand nous faisons des duos de violons, en général c'est l'idée que nous suivons, nous ne dépassons pas l'idée d'arrangement traditionnel. C'est une vieille tradition, très riche et très importante, de chez nous - qui existe bien sûr ailleurs aussi, en Autriche par exemple, et c'est fait cependant par des musiciens qui ne sont que de petits amateurs.

On m'a demandé, en Angleterre, quels étaient les éléments caractéristiques de notre musique. C'est difficile à dire, mais voici un exemple : il y a tout d'abord une introduction, "forte" : à ma connaissance, dans la tradition qui m'est parvenue, on a toujours joué des nuances, les musiciens le confirment. L'idée en tout cas est toujours présente, même si elle s'oublie très vite quand on joue pour le bal. Cette musique, kleindanske, est souvent jouée aussi comme musique de sérénade : si tu as par exemple 50 ans de mariage et que tu fais partie d'une fanfare ou d'une autre communauté de village, on joue pour toi. J'ai fait cela aussi, car j'ai joué de 12 à 16 ans comme second piston dans la fanfare de ma localité, on allait jouer devant la porte, et les gens donnaient à manger ou à boire. D'ailleurs, les musiciens appellent cette musique musique de sérénade, car le bal, naturellement, c'est une époque qu'ils considèrent comme révolue. Ces nuances, ils les faisaient. Ca m'a toujours passionné, car ces nuances ne sont même pas écrites, on les joue comme ça, par habitude.

2 THEMES + 1 TRIO

Donc, une intro à l'unisson en forte. Vient la première mélodie, dans le ton général, nuance piano : c'est la mélodie qui prime, très peu de seconde voix. Le thème B est souvent à la quinte supérieure, ou en mineur, c'est une autre possibilité, et toujours forte. A revient une fois; ensuite, le trio pianissimo à la quarte inférieure du premier thème, très doux, souvent en deux voix. Actuellement, très souvent, quand la tradition a survécu, le trio est tombé, on ne le joue plus, peut-être parce que c'est un peu long à retenir.

Je crois que les trois quarts des 70 mélodies déjà transcrites : polkas, mazurkas, valses, sont construites sur ce modèle. C'est fantastique ! C'est très bien structuré; je ne dis pas que c'est toujours bien réussi. Certains diront que cette structure a été empruntée à la musique savante. Tout à fait d'accord, mais il faudra me dire de quelle musique savante il s'agit. Personne ne peut répondre à cette question. En effet, cela existait à l'époque de Haydn, mais ce n'est pas Haydn qui l'a inventé, ça vient de plus loin, peut-être des milieux bohêmes ou d'Autriche. Je ne veux pas dire que c'est la musique populaire qui a influencé la musique savante, je ne le crois pas, c'est probablement l'inverse : des formes de musique savante interviennent dans la musique rurale 20 ou 30 ans en retard, et s'y développent ensuite. C'est ça la tradition, pour moi. Ce n'est pas toujours réussi : dans ces 70 mélodies, il y en a peut-être la moitié que nous aurons envie de jouer avec l'orchestre. L'autre moitié sera peut-être jouée par des accordéonistes qui préfèrent ne jouer qu'en deux tons, car il y en a aussi qui sont en deux tons. Il y a toutes sortes de mélodies là-dedans. Il y a très peu de musique pour épinette, car il y a presque toujours des modulations, ce qui pose des problèmes. Il faut mettre l'épinette dans son vrai contexte : c'est un instrument à bourdons, et non pour jouer des modulations à trois ou quatre tons.

Pour dire combien cette musique me paraît aussi valable que n'importe quelle autre musique populaire : nous avons été jouer en Irlande. Les musiciens irlandais, avouons-le, sont en moyenne beaucoup meilleurs que les belges. Ce qui m'a amusé, et qui les a surpris, c'est lorsqu'on joue une mélodie : d'abord le premier thème, qui est répété, eux ont compris et vont commencer à le jouer, mais le thème B démarre. Que se passe-t-il ? Une modulation, qu'eux ne connaissent pas. Après 8 mesures, les bons musiciens ont compris, ils vont s'y mettre, mais non c'est fini, le premier thème recommence. Ces gens qui ne connaissent pas cette structure de musique, étaient surpris, et n'ont jamais, mais jamais, pu jouer avec nous.

Cette mazurka, par exemple, pourrait être autrichienne ou allemande, mais en tout cas pas anglaise, ni française. Mais si un jour quelqu'un en fait l'analyse complète, il y trouvera peut-être des éléments qui n'existent que chez nous. C'est le travail qu'il faut poursuivre. C'est un bâtiment qu'il ne faut pas abattre. Je ne dis pas qu'il ne faut faire que cela, ça peut vivre à côté de tout autre chose. Ce qui me passionne le plus, c'est cette structure. Elle n'est pas exclusivement belge, et elle n'est même pas exclusivement flamande, car les mêmes structures existent en Wallonie. Les Wallons ne seront pas toujours d'accord, je sais, mais voilà. J'ai quelques exemples c'est tout à fait la même chose. Naturellement, il y a peut-être un cachet différent à Charleroi par rapport au Brabant : oui, d'accord, mais cela varie aussi de Charleroi par rapport à Liège, et de chez moi jusqu'à l'autre bout de la Flandre. Donc ce n'est pas nécessairement une frontière linguistique. Cette musique a eu une grande vogue après la révolution belge et jusqu'à la seconde guerre mondiale; les meilleurs musiciens étaient musiciens à l'armée, et là flamands et francophones se rencontrent. Le cas de Wezembeek-Oppem est très clair : je ne vais pas dire qu'il y avait là des Binchois, mais il y a des choses qui sonnent très fort du Centre, il y a quelqu'un là qui a exercé une influence.

LES VIOLONS

Quid des violons ? Les exemples traditionnels sont moins courants. Je vais te montrer un cahier de bal d'un musicien d'orchestre : polkas, scottisches, valses, redowas. Il y a 98 airs, où il joue second violon - je n'ai pas le premier violon, malheureusement.

Or, j'ai des exemples de Heist-op-den-Berg, de Wattou, et de ce monsieur à Waismes que j'ai été voir avec

Françoise Lempereur à l'époque : il m'expliquait qu'il faisait tout à fait la même chose quand il accompagnait au violon. Il ne faisait pas les mêmes notes, ni tout à fait les mêmes rythmes, mais il y a des idées communes. J'ai donc fait l'analyse complète de ce manuscrit : toutes les secondes voix sont en tierces et en sixtes, le musicien veut compléter l'accord (c'est la basse qui joue la note fondamentale, et la quinte est souvent dans la mélodie). Les tons employés sont do, fa, sol, la, mi, ré. La différence par rapport à nous, c'est que nous jouons aussi dans quelques autres tons, comme mi bémol, mais nous adoptons le même principe. J'avais déjà entendu évoquer ce principe il y a dix ou quinze ans, et cela fait plaisir de le retrouver maintenant.

Ce n'est pas tout : à la fin de ce manuscrit, on trouve : quadrille, varsovienne, le streep, klepperwals et Mieke Stout. Donc, ce violoniste a joué dans les milieux campinois de gildes comme la gilde de St-Sebastien ou de fanfares qui ont imité par après ces fêtes de gildes, donc dans des milieux de bals populaires. Et les mélodies du streep, de la klepperwals et de Mieke Stout sont connues - à quelques notes près -, je vois donc très bien ce qu'il fait.

Je ne veux pas dire que partout en Belgique il y a un second violon qui joue l'accompagnement. Mais on rencontre souvent dans cette musique traditionnelle une nette structure. Je voudrais qu'on donne accès, dans les stages, à de tels renseignements, que ceux qui veulent s'intéresser à un style traditionnel puissent en acquérir ainsi une connaissance de base; après, ils feront ce qu'ils voudront, bien sûr. J'imagine que peu de gens vont continuer à jouer d'une manière tout à fait traditionnelle, mais si la base n'est pas fournie, personne ne saura le faire. On pourrait comparer cela à l'apprentissage de la musique irlandaise, où l'on explique aux joueurs de uilleann pipe toutes les ornementations : le musicien ne doit pas les exécuter toutes, mais c'est quand même cela qui rend le style local.

Et je crois qu'il n'existe aucun orchestre en Europe occidentale, en dehors de chez nous, qui utilise un second violon pour l'accompagnement, sauf peut-être en Autriche.

STAGES

- Vous comptez donc organiser ou animer des stages pour diffuser ces connaissances ?

- On voudrait bien, mais on n'a pas le temps. On nous le demande souvent. J'ai un peu peur des stages aussi : en Belgique la recherche est 20 ans en retard sur ce qui se passe actuellement. Un exemple : Galmaarden organise des stages, où les gens apprennent à construire des arrangements pour orchestre. Tout à fait d'accord; mais que veulent-ils comme arrangements ? Je connais bien Herman Dewit, c'est un ami, je crois qu'il pense à cet égard plus ou moins comme moi, qu'il espère que cela fournira une base traditionnelle à ceux qui veulent faire un arrangement. Maintenant, j'imagine bien que celui qui donne le stage - je ne sais pas qui c'est - n'est absolument pas documenté sur l'arrangement traditionnel en Belgique. Je ne vois pas comment il aurait de tels documents ! Il va donc présenter un arrangement inventé, à sa manière, ce qui ne me gêne pas, mais dépasse peut-être le but voulu et qui peut être dangereux. Peut-être vaudrait-il mieux ne pas donner un tel stage actuellement, ou alors le faire à petits pas. Ca ne voudrait évidemment pas dire que les gens suivraient l'idée proposée : est-ce que les gens jouent de l'épinette comme je l'ai écrit dans mon livre ? Wim Bosmans dit que cela représente des années de travail inutile, il a peut-être raison ...

- Pour l'épinette, le problème est aussi qu'il y a peu de gens qui font l'effort de vraiment bien jouer ...

- Oui, je le crois aussi, l'épinette c'est un peu marginal, c'est encore un autre problème, qu'il est possible de résoudre. Il y a par contre un problème de mentalité très belge : je crains que les groupes ne suivent pas, qu'ils soient très individualistes, qu'ils veuillent avoir une exclusivité. J'ai un peu l'impression qu'on ne veut pas avoir un style traditionnel en Belgique ... Je trouve cela dommage. Naturellement, chacun a ses idées sur ce sujet. Mais ce serait bien que chacun de ces groupes qui font de la musique populaire sache ce que c'est que cette base traditionnelle, et que ce soit un de leurs volets. Ainsi, quand on est ensemble, ce qui est rare, on pourrait le jouer, et les étrangers verraient ce qu'est le style traditionnel belge. Je ne dis pas qu'on est très loin actuellement de cette situation, car en écoutant un certain nombre d'ensembles, on peut dire avec certitude qu'ils sont de chez nous; mais cela devrait aller beaucoup plus loin, il faudrait exploiter beaucoup plus de choses originales, et, bien sûr, là où il y a des manquements ou des défauts dans la musique traditionnelle y suppléer personnellement. Si un trio est mauvais, on le remplace ! C'est ce qu'on faisait à l'époque, et ce qu'on fait encore maintenant dans les fanfares.

J'écris la plus grande partie des arrangements dans l'orchestre, mais d'autres en écrivent aussi, ils sont en train par exemple de construire des duos de violons sur une mélodie traditionnelle, si possible dans le style traditionnel. Même si on ne fait que ça, il faut pouvoir jouer dans le style traditionnel. Je veux rester original avec mon groupe, je veux rester de chez nous. Je ne veux certainement pas imiter Malicorne ou des groupes celtiques.

Si un jour les gens trouvent que tout ça c'est dépassé, et bien nous jouerons autre chose. Je ne vais pas me suicider parce que les gens ne s'intéressent pas à cela, dans ce cas je prends une guitare électrique, je fais du rock, ou alors du classique, ou bien je vais jouer au football, on verra !

Petit détail : j'ai commencé le collectage il y a plus de 25 ans, on l'a recommencé avec Kristel il y a 3 ans. Actuellement, comme je l'ai déjà dit, nous possédons 4800 documents, dont environ 1500 mélodies différentes dont la moitié ne seront sans doute plus jamais jouées, pour des raisons esthétiques. Le travail que je fais, je voudrais bien le faire en Wallonie aussi, mais ce n'est pas possible à cause des distances et du temps que ça prend : déjà certains coins de Flandre sont très éloignés. Qu'on ne vienne pas me dire que les vieux musiciens n'existent pas en Wallonie ! Pour les chansons, par contre, c'est le cas, comme en Flandre d'ailleurs presque personne ne chante encore.

Cependant, on assiste à un revival important de la musique instrumentale, et je trouve qu'on ne s'en sort pas mal par rapport à d'autres pays. Mais ça me fait un peu mal au coeur de voir qu'en Wallonie on se base si vite sur ce qui se fait en France, il ne faut pas trop gonfler la tradition française, il faut la mettre à son vrai niveau ... Une remarque à ce propos : on croit par exemple à une grande continuité de la tradition de cornemuse en France. Je n'en suis pas tellement convaincu, car si on entend les derniers joueurs traditionnels, les Gars du Berry, Gaston Rivière et d'autres, c'est de la musique que les Français ne veulent plus jouer actuellement. Je trouve qu'ils ont raison, c'est une musique qui n'est pas de très grande valeur - c'est encore une fois personnel, bien sûr -, actuellement les Français jouent une musique plus riche, mais sort-elle d'une tradition ? Ce n'est pas une critique. Mais je remarque bien que les cornemuseux berrichons, du Centre, subissent une très grande influence de la part des cabrettaires.

LE MOT DE LA FIN

Je me passionne pour de petites choses telles que l'esthétique des accordéons. Nous possédons ainsi une fraise pour moulure à gorge, sur toupie droite, qu'on peut utiliser pour construire des caisses d'accordéon de style traditionnel belge. Celui qui souhaite l'utiliser dans ce but peut nous l'emprunter. Nous avons été à des festivals en Irlande et en Finlande : ces gens cherchaient des accordéonistes belges jouant de l'accordéon belge à cuillers, éventuellement avec basse au pied ...