Tout le monde connait les cahiers consacrés aux danses populaires en Wallonie, publiés par la Commission Royale de Folklore et réalisés par Mmes Thisse-Derouette et Jenny Falize. C’est de là que la plupart des danseurs et des musiciens tirent l’essentiel de leur répertoire wallon.
Il fallait donc qu’un jour ou l’autre nous rencontrions Jenny Falize, si souvent critiquée à ce sujet. C’est maintenant chose faite.
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Son métier, c’est prof d’éducation physique et de math. Elle s’est essayée à diverses formes de danse, y compris les claquettes. En 39, elle suivait des cours de danse expressive chez Fanny Thibout, laquelle allait assez rapidement se mettre à la danse folklorique.
En effet, Suzanne Goffin éditait en 47 un fascicule « Danses ardennaises » contenant six danses wallonnes recueillies auprès de M.Depas.(on allait plus tard se rendre compte qu’il s’agissait de la juxtaposition d’airs retrouvés dans la revue Wallonia), qui passèrent ainsi dans le répertoire de Thibout.
Claude Flagel a connu ces danses chez Mme Thibout, à son arrivée en Belgique et en a fait un disque pour « Unidisc » (Danses de Wallonie – Belgique n°2).
Mme Thibaut fit jurer à ses élèves de ne pas transmettre ces danses …
Jenny Falize enseigna alors des danses israéliennes, roumaines, etc., puisqu’on ne disposait en matière wallonne ni de musiques convenables, ni de musiciens pour les jouer.
Cependant, elle allait sortir plus tard pour la Dapo trois disques en dix ans, avec Marcel Hicter. Celui-ci avait proposé à Fanny Thibout d’enseigner des danses puis, devant son refus, l’avait demandé à Jenny Falize. Celle-ci accepta.
En effet, à ce moment Mme Thisse avait fait des études sur le manuscrit du ménétrier wallon Houssa qu’elle avait reçu et qu’elle allait publier dès 1952; elle accepta que Jenny Falize enseigne ces danses.
Surprise désagréable: Fanny Thibout intervint alors auprès du ministère pour que cessent les publications de Mme Thisse. Ses arguments: inexactitudes et difficulté du déchiffrage des danses.
Mmes Thisse et Falize répondirent que c’étaient les seules danses wallonnes dont elles pouvaient disposer et qu’elles faisaient de leur mieux.
Finalement, les publications reprirent avec l’aide de Jenny Falize pour les fiches chorégraphiques. En effet, Mme Thisse a bien connu les vieux et a beaucoup de souvenirs, mais n’est pas danseuse.
C’est Mme Thisse qui a fait l’orchestration des disques. Elle s’est mise au piano pour le premier d’entre eux. Quoi de plus normal : dans les villages, on jouait du piano.
Les musiciens recrutés pour les enregistrements étaient des musiciens classiques, les seuls bons musiciens disponibles. En effet, les reprises dans les danses wallonnes peuvent être difficiles à exécuter, et de plus ce n’est pas folk de jouer faux !
Qu’en est-il de ces publications de danses wallonnes reconstituées ou composées ?
D’après les textes, les souvenirs, les archives de la danse, ses connaissances de danse classique, Jenny Falize a reconstitué d’une manière vraisemblable une série de danses.
Les contredanses rurales, par exemple, sont issues des contredanses de salon, connues pour la rigueur de leurs pas ; mais il faut avoir déjà dansé pour pouvoir interpréter correctement les explications chorégraphiques de ces danses de salon: on les apprenait jadis avec un maître â danser.
Jenny Falize a appris la mazurka de sa mère. Dans certaines régions, elle a réappris aux gens des danses locales. Elle a peu de documents sur le Hainaut et le Brabant, car elle a évidemment travaillé là où elle connaissait des gens.
Elle trouve normal d’introduire des variations dans les danses. L’essentiel est de rester conforme â l’esprit local de la danse (mais ce n’est pas toujours facile, surtout pour les danses compliquées).
Ainsi, à Malmedy un groupe danse en soulevant les jupes et en levant une jambe en l’air: ça fait plus spectaculaire, mais ce n’est pas conforme à l’esprit wallon! La vérité, c’est qu’il faut garder une certaine retenue. Même les bons groupes se laissent aller à dépasser la vérité.
On danse la bourrée et la mazurka n’importe comment. La varsovienne, jouée trop rapidement, perd son caractère. On joue des quadrilles à la cornemuse : ça ne se fait pas! Si on veut faire du traditionnel, il faut se mettre dans la peau, dans la sensibilité des danseurs de l’époque.
Jadis, on dansait sans sabots. On enlevait ses sabots pour entrer dans la maison, et on portait des « stotchès », sorte de petites pantoufles en corde tressée.
Pour aller à la salle de bal, on se faisait tout beau. Les garçons plaçaient un mouchoir entre leur main et le dos des filles, pour éviter de tacher les tissus qui n’étaient pas lavables.
Ce sont là des souvenirs, ainsi que des renseignements trouvés dans des pièces d’époque (poésies chants, comptes-rendus).
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Jenny Falize a répertorié 302 danses wallonnes. Tout le monde danse celles qu’elle a publiées avec Mme Thisse. Mais elle regrette presque de les avoir publiées. Les trois quarts des gens qui les enseignent ne lisent pas la préface des livres, ne savent pas d’où elles viennent.
Au stage de Neufchâteau, qu’elle a décidé de ne plus animer, elle enseigne tout d’abord un petit répertoire. Le temps d’un stage n’est en effet pas suffisant pour apprendre une technique. II faut une formation de base, une manière de se tenir.
Le problème est que d’une année à l’autre, on ne remarque pas d’amélioration chez les stagiaires. Ceux-ci, jusqu’il y a deux ans, étaient surtout des moniteurs qui ont été ensuite enseigner ces danses avec leur style propre : soit penché en avant en dansant sur les talons, soit en sautillant, etc. Et cela devient les « danses wallonnes » ! Mais cela ne correspond pas aux fiches chorégraphiques que ces moniteurs prétendent respecter.
Jenny Falize ne prétend pas détenir la vérité. Elle ne demanderait pas mieux que d’apprendre des danses wallonnes de quelqu’un d’autre.
(article paru dans le Canard Folk de janvier 1984)