Appauvrissement du répertoire de danses des musiciens?

Résultats de la seconde enquête

par Marc Bauduin

En novembre dernier, nous avons publié les résultats de la première enquête, qui s’intéressait à la danse dans les bals à gros budget – ceux qui peuvent se payer régulièrement des groupes étrangers. “Comment ces groupes enseignent-ils leurs danses spécifiques”, “Comment souhaitez-vous qu’ils les enseignent”, “C’est quoi les danses standard (donc non spécifiques)”, “Préférez-vous un bal standard ou un bal à répertoire de danses plus large” : telles étaient en substance les questions posées.

La seconde enquête, elle, s’intéresse aux bals à petit budget, qu’ils soient publics, privés (mariages, …) ou qu’ils prennent la forme d’une jam. A priori, on s’attend à voir éventuellement deux différences par rapport aux gros bals :
– puisque les groupes ne sont généralement pas étrangers, leurs danses spécifiques devraient logiquement être wallonnes ou flamandes. Veut-on (apprendre à) danser wallon ?
– vu la proximité plus grande entre le public et les groupes, la méthode d’enseignement des danses pour le bal est peut-être différente.

Voyons donc cela.

Généralités

Pour cette seconde enquête, nous avons reçu 21 réponses, toutes via le formulaire, toutes dans les 48 heures qui ont suivi le lancement du formulaire. Contrairement à la première enquête, nous avons choisi de ne pas partir à la chasse aux réponses – ni par mail, ni par téléphone.

Il est donc clair que cette enquête, tout comme celle qui l’a précédée, n’a aucune prétention scientifique : c’est un simple coup de sonde. Dans la question 1 “Quel âge avez-vous ?”, la répartition des réponses par catégorie d’âge le confirme encore. Nous avions en effet défini 5 catégories :

<20
20-25
26-30
31-35
36 et +

Les 36 ans et plus constituent 86% des répondants. Parmi les autres, aucun n’a moins de 26 ans.

Question 2 : Quel est votre niveau de connaissance des danses wallonnes ?

  • élevé : 5
  • moyen : 7
  • faible : 6
  • nul : 3

Question 3 : Quels groupes wallons connaissez-vous, qui proposent un nombre appréciable de danses wallonnes ?

  • personnes soit ne répondent pas, soit déclarent n’en connaître aucun;
  • 5 en connaissent 1, 2 ou 3;
  • 5 en connaissent au moins 5.

Dans des bals de danses wallonnes ou belges

Question 4 : Quand vous souhaitez aller à un bal qui propose suffisamment de danses belges (wallonnes ou flamandes), est-ce facile à trouver ?

  • Non : 10
  • Oui : 3
  • Je ne sais pas, c’est-à-dire “je ne me pose pas la question” : 8

Commentaires des non : les bals d’aujourd’hui sont plutôt généralistes, les danses wallonnes ne sont plus à la mode, les organisateurs ne sont plus trop intéressés par le “non commercial”.
On retrouve ici un sentiment de déception, ainsi qu’une critique de certains organisateurs (mais ne les mettons quand même pas tous dans le même sac) qui chercheraient avant tout à attirer du monde.

Question 5 : Quand des danses wallonnes pas très faciles pour tout le monde sont proposées en bal, comme peut-être des maclotes, passepieds, menuet de la chaîne …, préférez-vous qu’elles soient :

  • expliquées en atelier, avec rappel en bal : 14
  • expliquées en détail durant le bal : 3
  • uniquement sommairement expliquées par un musicien sur scène : 4

La répartition des réponses ne laisse planer aucun doute : il vaut mieux expliquer ces danses dans un atelier, et ne faire qu’un bref rappel durant le bal. Ceci correspond grosso modo aux réponses de la première enquête.

Question 6 : Quand un bal est animé par des musiciens belges, attendez-vous du groupe que pour les danses standard (de couple, cercle circassien, gigue …) il joue principalement :

  • des mélodies belges traditionnelles ou composées dans un style traditionnel : 4 (dont une avec ce commentaire “en fait je ne m’y attends pas du tout, mais j’aimerais bien”).
  • des mélodies composées par des musiciens belges, quel que soit leur style : 4
  • peu importe : 13

Commentaires : “un peu de tout, et des découvertes, c’est pas mal”; “l’important est la richesse des mélodies. Attention toutefois à conserver la rythmique sinon cela risquerait de perdre les danseurs”; “Mon appréciation de la musique se base surtout sur son interprétation (et pas sur le choix du morceau) et à propos des instruments utilisés (il y a des ensembles heureux souvent, mais certains sont pénibles pour moi, du genre : vielle à roue + cornemuse seuls)”

Dans des fêtes privées (danses d’animation)

Question 7 : Dans une fête privée (anniv, mariage …) , on prévoit généralement plus de danses d’animation (ludiques et faciles) que de danses de couple. Dans ce cas, lorsque le bal est animé par des musiciens belges, souhaitez-vous qu’ils proposent des danses d’animation :

  • principalement wallonnes :1
  • principalement belges : 3
  • de tous pays : 17, avec des commentaires tels que “la promotion du patrimoine belge ne doit pas exclure les apports extérieurs, non-sens pour moi”; “chaque bal est différent, c’est ça qui est bien”; “Les invités à des fêtes privées pour qui la musique folk est inconnue ne se préoccupent pas de l’origine du morceau. Pour leur culture, les musiciens peuvent annoncer sa provenance sans en faire tout un chapitre”: “Cela donne la possibilité de trouver des danses simples et divertissantes dans chaque répertoire et peut susciter l’envie à des novices d’en découvrir plus après cette fête”.

Question 8 : Si vous deviez organiser, dans le cadre d’une fête privée, un bal avec un groupe qui propose suffisamment de danses wallonnes, pensez-vous que ce serait facile de trouver un tel groupe ?

  • Oui : 5
  • non : 6
  • je ne sais pas : 9
  • les danses wallonnes ne m’intéressent pas : 1.

Parmi les commentaires sur une réponse “non” : “Même si je joue beaucoup de musique wallonne, ce n’est pas nécessairement ce que je propose en bal d’animation. Donc j’imagine que les autres non plus.”

Dans des jams

Question 9 : En tant que danseur ayant déjà participé à quelques jams, souhaitez-vous que les musiciens jouent plus souvent des danses non standard mais pas trop compliquées ? Et pourquoi ?

  • Oui : 9

commentaires parmi les “oui” : “il y a de très chouettes danses peu connues et agréables à danser comme la sautière, quasi jamais dansée en Belgique”; “En tant que musicien dans les jams, j’aimerais en apprendre davantage”; “Pour varier, découvrir de nouvelles choses”; “Car cela permet de garder les pas et de les partager avec d’autres pour que cela se danse de plus en plus “.

  • Non : 2
  • Je ne sais pas : 10, avec des commentaires qui montrent ou même avouent tous une certaine ignorance ou incompréhension.

Question 10 : En jam, si les musiciens jouent des danses non standard, préféreriez-vous que ce soit :

  • des danses wallonnes : 1
  • des danses wallonnes et flamandes : 4
  • des danses d’un peu tous les pays : 10 peu m’importe : 6

Il n’y a que très peu de commentaires sur cette question, et ils n’apportent rien de neuf.

Enfin, les commentaires généraux sont également très peu nombreux. Relevons celui-ci, qui peut probablement être partagé par beaucoup : “Peu m’importent l’origine, le style… du moment que la danse reste un bon moment”; ainsi qu’un long coup de gueule en faveur de l’aspect festif : “Pour moi, le principal est de danser (avec des danseurs que je sais « confirmés », ou avec des débutants qui pataugent et que je guide parfois sans m’imposer). Le folk est par essence « populaire », donc accessible à tous, mouvant, évolutif (au secours ! les puristes qui prétendent que leur façon est la bonne ! – idem pour quelques musiciens et leur « Wandembrille » : ce n’est pas la bible ! et même celle-là , je n’y crois pas) et FESTIF (certains l’oublient) ! Donc tout le monde est là pour s’amuser. Si quelqu’un sourit en dansant, c’est gagné”.

Conclusion

Que nous apprend cette seconde enquête qui, en évoquant diverses formes de bals à petit budget, s’intéresse en fait surtout aux groupes wallons et donc aussi aux danses wallonnes ?

– Les danseurs interrogés ne sont pas de virulents pro-wallons : ils sont ouverts aux danses de tous pays, y compris bien sûr les danses wallonnes et, en corollaire, ils préfèrent les bals qui ne se limitent pas aux danses “standard”.

– L’enseignement des danses un tant soit peu compliquées devrait se faire dans un atelier avant le bal.

– Enfin, même si quelques-uns connaissent beaucoup de groupes qui ont des danses wallonnes à leur répertoire, on ne peut pas dire que ce soit le cas de la majorité des gens.

Conclusion globale des deux enquêtes

Les adeptes du “bal standard” pur et dur sont nettement minoritaires. Les danseurs veulent aussi d’autres danses, mais dans des proportions (“un peu”, “beaucoup”, … ?) variables.

L’enseignement de danses dans un atelier avant le bal recueille une majorité de suffrages, mais sans que le contenu et la durée de cet atelier puissent être précisés. Des explications pas trop longues peuvent aussi être données durant le bal.

Par ailleurs, il semble y avoir un manque d’information :
– à destination des danseurs : quant aux danses spécifiques (au moins les wallonnes) qui seront dansées – et éventuellement enseignées en atelier – dans les prochains bals.
– à destination des organisateurs qui penseraient que les danses wallonnes ne sont plus à la mode.

Idées d’actions

A destination des organisateurs :

Sur le web, on pourrait suggérer aux groupes de compléter, si ce n’est déjà fait, leur présentation en indiquant quels genres de danses spécifiques (wallonnes ou autres pays/régions) ils peuvent proposer, éventuellement dans quelles proportions. Ces infos pourraient aussi figurer dans la liste des groupes du site du Canard Folk. Ce serait bien que des groupes puissent proposer des danses wallonnes sans craindre la comparaison avec des danses d’autres régions.

A destination des danseurs :

Objectif 1 : que les danseurs sachent où et quand ils pourront danser des danses wallonnes (ou d’autres régions/pays).

Moyen suggéré : contacter les groupes qui ont des bals dans l’agenda, pour savoir quelles danses wallonnes ou d’autres régions/pays ils pensent jouer, et lesquelles ils pensent expliquer (dans un atelier avant le bal, ou dans un stage). Contacter aussi les organisateurs si nécessaire. Ajouter ces infos dans l’agenda (papier et web) du Canard Folk. Mais tout cela ne représente-t-il pas trop de travail ?

Objectif 2 : améliorer l’information de certains musiciens et groupes sur les danses wallonnes.

Moyen suggéré : publier sur site une liste de danses wallonnes classées par type (bal standard; danses d’animation; autres). Y mettre progressivement la partition, fichier midi et abc, vidéo ou mp3. Mettre des airs trad mais aussi des compositions libres de droits.

 

Nous avons ensuite envoyé ces conclusions et ces idées d’actions à trois musiciens bien connus, en vue d’obtenir leur avis et leurs suggestions que nous reproduisons ci-dessous : Marinette Bonnert, Jean-Pierre Wilmotte et Jacqueline Servais.

Jacqueline Servais

Jacqueline Servais (Trivelin)

La vielleuse du groupe Trivelin, malgré le manque actuel d’activités de ce groupe, nous écrit ceci :

J’ai lu attentivement les résultats de ton enquête et je te félicite de l’avoir menée. Cela prouve qu’il y a encore un intérêt certain pour les bals folks et c’est réjouissant. Je vais quand même te faire part de quelques réflexions personnelles.

1. Chaque région a ses habitudes et ses caractéristiques spécifiques : en Flandre, ce sont les boombals, très festifs, peu soucieux d’un purisme quelconque, et tant mieux si les danseurs s’y éclatent. Dans le Grand Nord (Lille, Dunkerque…), grâce à la Piposa, il y a beaucoup plus de rigueur et de bons groupes
de musiciens qui jouent un répertoire surtout du Centre France ; dans la région bruxelloise, dans la mouvance d’Amorroma, avec Micheustef, la musique et les danses sont bien précises, stylées, chorégraphiées, tout en douceur ; en Lorraine, on fait surtout du breton, allez savoir pourquoi …

En Wallonie, de courageux organisateurs maintiennent une bonne tradition de bals, par exemple à Rif’zans l’fiesse, dans les festivals de Marsinne et plus récemment de Florenville avec « Bals et roses », en invitant beaucoup d’excellents groupes, et on danse tout ce que ces groupes proposent …

Tout ceci est bien sûr caricatural, il faut affiner, et l’enquête du Canard le fait très bien.

2. Que dire de la musique et des danses wallonnes ? Ont-elles leur place dans les bals folk ?

Il me revient en mémoire le grand idéal que nous entretenions, Walter et moi, en plein boum du revival folk, d’organiser des bals wallons, au point d’avoir « commis » une K7  » Les Rigodons – Bals wallons  » en 1980 !
Cela avait un succès fou, la cassette s’est vendue en dizaines d’exemplaires, mais c’est un mouvement qui émergeait surtout des groupes de danses.
Walter donnait à l’époque de nombreux stages de danses wallonnes, à la suite de Jenny Falize, Marc Malempré, etc.
Les bals étaient fréquentés par des petits comités de gens qui avaient envie d’apprendre à bien danser. Donc on expliquait les danses un peu compliquées, soit dans un petit stage avant, soit pendant le bal. Les gens étaient très demandeurs, mais c’était un public restreint, un peu confidentiel.
La mode a amplifié les choses au cours des années, les bals folk sont devenus énormes, internationaux, donc de plus en plus standards,
et c’est magnifique, mais les danses wallonnes telles qu’on les enseignait à l’époque n’y ont pas vraiment trouvé leur place, ce qui est normal, vu la complexité des chorégraphies collectées ou crées par Jenny Falize sur base des recherches de Rose Thisse Derouette.

Il y a quelques rescapées, des danses simples, d’animation, que l’on joue toujours en bal, comme la galopède, la danse des tcherrons, la danse dè dj’va, la la troïka de Saint-Mard, des polkas, des scottisches, et bien sûr, celle que tout le monde joue, sur une chorégraphie de Walter : la maclotte de Steinbach !
Quant aux contredanses en 6/8, il y a des mélodies superbes dans Houssa et dans Jamin que l’on danse en cercle circassien ou en gigue !

3. Il est tout à fait réjouissant de constater que de jeunes et excellents musiciens (je pense par exemple à Trio 14) ont à coeur d’introduire des danses wallonnes dans leurs bals. Il y a aussi un nouvel intérêt très vif pour le patrimoine musical wallon comme viennent de le démontrer Marielle Van Kamp et Raquel Gigot.
Le fameux et gigantesque projet Melchior est très courageux et très prometteur.
Ce qui est très important, pour mener un bon bal avec des danses wallonnes même un peu compliquées, c’est un bon maître à danser. Pierre Hurdebise, Dany Monville et sûrement d’autres que je ne connais pas, font des merveilles. Je me souviens qu’Eric Limet, il y a longtemps, organisait des formations dans ce sens.

Soyons optimistes, la fin de la pandémie verra peut-être une explosion des bals folks et comptons sur l’enthousiasme des jeunes musiciens pour redécouvrir et entretenir
le patrimoine musical wallon qui est vraiment beau. Le plus important, que ce soit en danse ou en musique, c’est de trouver du plaisir à mettre en valeur cette beauté.

Je ne sais vraiment pas quoi te dire de plus, mon cher Marc. Et je te félicite encore d’avoir lancé et mené à bien cette enquête difficile.

Ah oui, tant qu’on y est : en octobre prochain (si on est toujours vivants et plus trop « masqués »), Trivelin fête ses 40 ans ! (Le Canard aussi, si je me souviens bien !!!)
Nous comptons organiser un bon petit bal folk, en y introduisant un maximum de danses wallonnes ! Affaire à suivre …

 

Voici maintenant les réflexions de Marinette Bonnert :

Matoufèt : Raymond Honnay et Marinette Bonnert

Par rapport à ce qui se passe en Belgique dans les bals folk, je ressens plusieurs choses.
Je tourne aussi ma réflexion par rapport à la danse wallonne.
• peu de groupes utilisent le répertoire local, et encore moins les danses locales
• la majorité des bals ont très peu de répertoire varié, et c’est surtout des danses de couple, MAIS ça marche et les danseurs en demandent (je connais plusieurs organisateurs qui ne veulent pas prendre des groupes qui expliquent des danses car cela met du temps mort dans le bal)
• les groupes qui font venir du monde, qui sont tête d’affiche, et qui ont un répertoire particulier sont généralement français
• la Belgique a fait évoluer le folk (qu’on aime ou pas), il y a eu des nouvelles manières de danser la mazurka ou la scottish par chez nous, est-ce traditionnel ?

Et inversement, je pense qu’il y a quelques groupes belges qui font uniquement des danses de couple, qui sont très connus à l’étranger.

Mon rêve serait de porter, de dépoussiérer les musiques et danses wallonnes, comme cela a déjà été fait dans plusieurs régions en France (Bretagne, Poitou, Auvergne, Gascogne, et j’en passe).
Du coup dans ces bals, il y a des danses variées et locales sans qu’on doive prendre du temps pour expliquer les danses.

Je sais que ce n’est pas simple pour plusieurs raisons :
• le répertoire wallon n’était pas très disponible, mais c’est en train de changer grâce à plusieurs initiatives -> j’ai entendu que cela entrainait une envie de jouer ce répertoire, notamment lors de sessions à Namur (je n’y ai pas encore participé, et je trouve cela génial)
• le répertoire de danse est pour moi assez difficile à transmettre car nous avons beaucoup de chorégraphies (longues) qui correspondent à un seul morceau de musique, ce qui ne permet pas de répéter les danses plusieurs fois sur la soirée…
• il y a peu de musiciens qui sont à la fois capables de jouer cette musique wallonne et d’expliquer les danses, donc il faut un animateur en plus (ils ne sont pas très nombreux non plus pour les danses wallonnes)

Je ne sais pas comment susciter l’envie de rentrer dans ce répertoire.
J’ai l’impression qu’ailleurs (comme en Bretagne, ou Poitou,.. où j’ai eu l’occasion d’aller danser), il y a une combinaison entre un centre de recherche et de diffusion et puis des artistes qui se lancent dans cette musique et la font évoluer, et des organisateurs qui soutiennent cette musique et cette danse.

Chez nous, je suis heureuse de savoir que le projet Melchior a commencé, mais on est simplement fort en retard. Les collectages qui y sont, viennent de personnes qui ont effectué ces enregistrements il y a très longtemps. Ils sont âgés, morts, ou n’ont pas fort envie de partager (sinon ils l’auraient déjà fait avant!). Donc c’est une autre génération (pas celle des collecteurs) qui doivent réinventer. C’est comme si il y avait à nouveau eu une coupure dans la tradition.

Mais de ce côté-là, j’ai l’impression que l’envie est déjà repartie, et que les musiciens se réapprivoisent cette musique. C’est super !

Pour moi, c’est au tour des organisateurs à promotionner les groupes qui proposent des danses locales, et de permettre d’expliquer des danses pendant les bals. Et en parallèle, proposer des stages de danses locales.
Je propose ces danses depuis plus de 20 ans (c’est une partie de mon métier), et la majorité des stages et des bals wallons que j’ai joués se sont passés en France, grâce à des organisateurs français. Encore maintenant ! C’est incroyable, non ?

Je pense que les danseurs suivront, avec une chouette musique et des chouettes danses. Mais il y a encore du chemin.

Voilà, ce n’est finalement pas très concret….

NDLR : nous avons proposé à Marinette de voir si des organisateurs français pourraient témoigner auprès d’organisateurs belges. L’idée lui semble faisable et utile, sur la base d’une liste de questions à mettre au point. Voilà donc du concret.

 

Jean-Pierre Wilmotte

Enfin, voici les idées exprimées par Jean-Pierre Wilmotte.

Quelques réflexions par rapport à l’enquête sur le bal wallon.

« Les danseurs interrogés ne sont pas de virulents pro-wallons … »

Je pense qu’il existe une méconnaissance quasi générale de la réalité des musiques et danses wallonnes, ce que ça représente, d’où ça vient. Les danseurs ne connaissent pas les manuscrits et publications, ils ne connaissent pas Houssa, Wandembrile ou Jamin ; ils ne connaissent pas les travaux de Rose Thisse-Derouette. Ils ne savent rien des fêtes de Champs, du Temps des Cerises, du revival. Ils ne savent pas qu’il y a une bonne quantité de disques et CD de qualité. Connaissent-ils le Canard Folk(*), le projet Melchior ? J’en doute.
Le constat est que la plupart des danseurs de nos bals y viennent uniquement pour danser (voire se défouler) et l’origine de la danse n’a aucune espèce d’importance. C’est un peu comme si c’était, pour certains, une activité physique en même temps qu’une occasion sociale de rencontres, partages et convivialité (ce qui est déjà une motivation valable). D’ailleurs, les mutuelles remboursent les inscriptions aux cours et ateliers de danses sous certaines conditions !

Cependant, je pense qu’il y a aujourd’hui une démarche intellectuelle dans laquelle certains s’engagent, peut-être un peu plus qu’hier. Il s’agit majoritairement de musiciens, et parmi eux beaucoup de jeunes musiciens. Dans le cadre de FMT (Folknam Musique Trad), vont bientôt avoir lieu des bœufs wallons, chose impensable encore il y a cinq ans. Mais pourquoi si tard après le revival des années 70 ?

Il semble aussi y avoir un a priori bien ancré qui veut que la musique wallonne n’est pas « sexy ». C’est vrai que depuis toujours le prestige de l’irlandais et du breton sont au zénith. Selon moi, la musique wallonne est du même niveau que beaucoup de musiques régionales de nos pays voisins. Il existe des mélodies extraordinaires que, pour ma part, j’ai plaisir à jouer, même sans danseurs ! Peu de régions voisines peuvent s’enorgueillir de posséder autant de sources écrites que nous.

Je pense par ailleurs qu’une attention particulière devrait être consacrée à l’interprétation des mélodies de chez nous. Certains musiciens arrivent à sublimer des mélodies que l’on trouverait banales au premier examen. Je ne vais pas citer de nom, mais les dernières parutions de CD consacrés à le musique de Wallonie n’ont rien à envier à nos amis des régions de France.

« L’enseignement des danses un tant soit peu compliquées devrait se faire dans un atelier avant le bal »

C’est ce que nous avons toujours fait aux bals du Cinex à Namur : consacrer 45 minutes à la présentation de trois danses, soit qu’il s’agisse de nouvelles danses, soit qu’il s’agisse de rappels. L’idée est que le second groupe de la soirée assure cette présentation de danse et les rejoue en seconde partie. Le problème est que de nombreux danseurs viennent plus tard à la soirée et n’ont pu bénéficier des explications, ce qui fait qu’une nouvelle explication est souvent nécessaire.

J’ai cependant remarqué que, depuis le début des bals du Cinex, de nombreuses danses n’ont plus besoin d’être expliquées : danses wallonnes comme la maclote de Steinbach, la Benjamine, le menuet de la chaîne, Li tchèron, les cercles, gigues, andros, hanterdros, bourrées à deux ou trois temps et même d’autres plus « exotiques » comme rondeaux et polskas pour n’en citer que deux. Ces quelques danses sont maintenant bien intégrées dans l’environnement « folk de Wallonie » (**).

Cet état de fait semble évident (on parle ici de bals folk organisés), mais la situation change complètement si vous allez animer un mariage ou un anniversaire où souvent les organisateurs aiment le bal folk, mais où aussi les invités ne savent même pas de quoi il s’agit. Ils se prêtent souvent au jeu, souvent maladroitement, mais dans ce cas « l’important est de participer » !

-En ce qui concerne une publication d’une liste de danses wallonnes classées par type, j’ai déjà ébauché une petite étude dans ce sens. En examinant les différentes publications, manuscrits et collectages que la tradition nous a légués, j’ai pu établir le tableau suivant. Notez que l’investigation n’est qu’à son début et les chiffres cités sont « à la grosse louche » et que seules les mélodies intéressantes ont été retenues (avec la subjectivité liée à ce genre de démarche):

Les quatre danses ardennaises Mesures rencontrées Nombre approximatif
1 Maclotes et matelottes (1)  2/4 – 4/4 ou 6/8 +/- 40
2 Allemandes(1)  2/4 ou 6/8 +/- 6
3 Amoureuses (1) 2/4 ou 6/8 + de 10
4 Passe-pieds (1) 3/4 +/- 7

 

Les autres danses à figures (3) +/- 30

 

Les danses de couples (4)
5 Valses 3/8 ou 3/4 + de 20
6 Scottishes +/- 10
7 Mazurkas 3/8 ou 3/4  +/- 5
8 Polkas 2/4 +/- 10
9 Autres : varsoviennes, redowas, polka-mazurkas, valses sauteuses … +/- 5

 

Autres mélodies dansables (5)
10 Marches (?) 2/4, 4/4 ou 6/8
11 Menuets 3/4 + de 15

 

Contredanses (6)
12 Contredanses françaises (en carré) Relevé à effectuer
13 Contredanses anglaises (en colonnes) +/- 120

 

(1) Les manuscrits wallons regorgent de mélodies intéressantes pour ces trois danses. Il faudrait donc essayer de standardiser ces danses : une chorégraphie commune pour chacune de ces trois danses.
(2) Le cas du passe-pied est peut-être différent vu sa technicité. Mais pourquoi la difficulté devrait-elle arrêter les danseurs ?
(3) Il s’agit de danses wallonnes déjà pratiquées ou encore à apprendre, par exemple : le menuet de la chaîne, li tchèron, la maclote de Steinbach, l’arèdje de Malempré …
(4) Les danses de couples figurent en place modeste dans les manuscrits, sauf les valses (Jamin). Ces danses sont surtout présentes chez les musiciens collectés plus tard : Elisabeth Melchior, Henri Schmitz, Constant Charneux … car arrivées chez nous plus tardivement que la plupart des manuscrits (voir projet Melchior).
(5) Les marches sont peut-être plus difficiles à exploiter, mais les menuets étaient dansés dans nos Ardennes. Pourquoi ne pas les remettre à l’honneur ?
(6) Les contredanses sont souvent une ressource inexploitée. Si ces mélodies sont d’origines étrangères, elles n’ont pas moins été jouées et dansées intensivement durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les publications et manuscrits présentent fréquemment une description de la danse, description qui semble exploitable par les spécialistes. J’ai ainsi pu retrouver pour Wandembrile, une douzaine de descriptions de danses, principalement dans des recueils anglais où beaucoup de ces danses se retrouvent. Les mélodies de l’Echo sont toutes accompagnées d’une description de la danse.

Voici quelques remarques supplémentaires :

– De nombreuses mélodies wallonnes peuvent être utilisées pour d’autres danses que celles prévues à l’origine. Beaucoup de 6/8 peuvent être utilisés pour des cercles ou des gigues. Beaucoup de mélodies de contredanses sont de véritables hornpipes ou des reels.
– Un site consacré aux morceaux wallons intéressants serait un outil bienvenu. La commission musique de FMT est en train d’y penser (***). Pour ma part j’y vois une présentation avec, pour chaque morceau :
titre ; source ; tonalité originale ; partition en PDF (voire tablatures) ; fichiers MIDI (pour la précision par rapport à la partition originale) ; fichiers MP3 avec une ou plusieurs interprétations (par des instruments différents).
– Le choix des tonalités reste cependant un problème. J’ai lancé une petite enquête il y a quelque temps et les réponses, toujours intéressantes, vont dans plusieurs sens. Alors, faudra-t-il trancher ?

(*) NDLR : à Bruxelles, les danseurs relativement jeunes connaissent le Canard Folk qu’ils considèrent comme le site de référence pour l’agenda; par contre, ils ne connaissent pas le magazine, ni les autres types de contenu du site web.

(**) NDLR : il s’agit bien sûr de versions “standardisées” des rondeaux, polskas et bourrées à 2 et à 3 temps, plus quelques bourrées particulières comme “Les Grandes Poteries”. Il existe en effet des tonnes de bourrées différentes.

(***) NDLR : le site du Canard Folk contient déjà une liste d’environ 70 mélodies classées par type, et généralement sélectionnées pour être jouables sur un accordéon diatonique Sol/Do. Ce sont principalement des danses, mais pas uniquement. Les infos et commentaires par mélodie sont en cours de révision; des fichiers abc ont récemment fait leur apparition.

In fine

Après ces deux enquêtes et leurs conclusions, après ces trois réactions, limitons-nous à résumer les actions concrètes qui semblent à la fois utiles et réalisables :

– Faire témoigner des organisateurs français auprès d’organisateurs belges, en profitant des contacts de Marinette Bonnert;
– sur internet, lister des mélodies wallonnes de manière plus approfondie et plus structurée qu’actuellement;
– sur internet, sans jouer au gendarme, veiller à ce que les groupes précisent (si ce n’est pas encore fait) au minimum s’ils ont des danses wallonnes à leur répertoire.

M.B.

(article publié dans le Canard Folk de février 2022)