DEUX RENCONTRES AVEC RÉMY DUBOIS

Première Rencontre

Rémy Dubois est un des seuls facteurs de cornemuse belge et à ce titre il est certainement connu des lecteurs du Canard Folk. Nous avons voulu le rencontrer à pro~os de l’épinette. En effet, son rôle dans le renouveau de cet instrument en Wallonie est loin d’être négligeable.

Quel a été son premier contact avec cette cithare rustique?

« Il Y a quelques années, je faisais partie des Zunants Plankets, j’y jouais de la cornemuse. Par ailleurs j’en construisais déjà. J’étais donc très branché sur le mouvement folk lorsque, à une des premières « Foires aux Artisans d’Ellezelles, je vis pour la première fois une épinette.

Un vieux monsieur du nom de Léo Van Haudenove jouait de cet instrument pour un verre de bière, ce qui laisse deviner ‘l’état d’ébriété dans lequel il se trouvait lorsque je l’ai rencontré; son jeu n’était pas brillant; il se déclarait le seul possesseur d’épinette en Belgique; il l’avait ramenée de la guerre 14-18.

Il exécutait des mélodies populaires récentes,du genre « Sous les ponts de Paris » Ce fut pourtant une sorte de coup de foudre pour moi. Je pris note ‘instrument sur une affiche dqui se trouvait dans le bistrot, et je je construisais mon premier instrument à cordes, une épinette! Peu après, je revoyais M. Van Haudenove, il jouait bien mieux lorsqu’il était dessoûlé! »

Dans la suite, R. Dubois fit la connaissance d’Hubert Boone qui préparait son livre (1); il voulait intégrer les connaissances sur la hommel flamand dans un panorama général de 1’instrument.Il demanda à R.Dubois de faire des recherches en Wallonie.

Il n’y avait guère de données relatives à nos régions. Le Musée Instrumental de Bruxelles possédait quelques pièces, avec de brèves indications d’origine. Aucune synthèse n’existait.

On con connaissait aussi l’existence de la Maison du Bois à Saint-Ghislain, qui avait été une sorte de grande boisellerie dont l’épinette de série semble avoir été un article courant bien connu, avec une crosse en forme de lyre aux oreilles très découpées (2).

« C’est ainsi que commença une enquête intéressante. Il me fut possible de retrouver un des artisans fournisseurs de la Maison du Bois, M.Alexandre Portier, par une petite manie de ce fabricant: il collait des images de cartes postales au fond de sa caisse de résonance pour la décorer, et l’une d’elles portait son adresse; j’ai fait
expertiser cette carte: elle datait de 1910 environ.

Une autre étape fut la découverte d’un éclusier d’Andenne qui était aussi menuisier et fabricant d’épinette pour les bateliers. Ses instruments, en bois massif avant la guerre de 14 et en triplex après, sont typiques: ils ont souvent un résonateur, une grande ouïe près du chevalet et sont ornés de décalcomanies et d’œillets en cuivre.
Il s’agit manifestement d’un travail de petite série destiné aux bateliers. »

L’Ardenne proprement dite est quasiment absente des découvertes relatives à l’épinette; on la retrouve surtout dans les communautés de mineurs du coté de Chatelet, Tertre et Saint-Ghislain. La capitale de cette région, pour l’épinette du moins, est la petite localité d’Angre au sud-ouest du Borinage.

« J’ai eu la chance de rencontrer la nièce de Joseph Albert Baudour, marbrier de son état, qui est mort très jeunes (1896-1924). Pourtant, sa famille garde encore son souvenir et il a dO être un excellent musicien; la photo bien connue maintenant que j’ai pu avoir de lui montre que c’est un vrai musicien et non quelqu’un qui pose pour
une mise en scène avec l’instrument.

Grâce à lui sans doute, on vit à l’époque éclore dans la région des petits groupes d’épinettistes et il existe encore des traces de ce succès local dans les mémoires, puisque certains anciens de la région se rappelaient encore la façon d’accorder les bourdons lorsque je les rencontrai. »

La présence de l’épinette dans les régions minières se justifie ainsi: les mineurs constituaient des petites communautés marginales par rapport à la civilisation agraire qui les entourait et développaient une micro-culture où l’épinette pouvait avoir sa place comme le chant choral ou la fanfare. Le petit musée personnel des instituteurs d’Elouges que R.Dubois a pu voir en témoigne.

Un autre groupe social important d’instrumentistes se retrouve chez les bateliers. Il faut s’imaginer leur vie naguère: une famille possédait un chaland qu’elle tirait jour après jour le long des berges. Un voyage pouvait durer des semaines. Pensons au halage à pied de Visé à Paris.

Il Y avait pourtant des loisirs pendant les heures d’attente devant les écluses. Ce rythme de vie caractéristique a disparu avec la motorisation qui a supprimé les petits patrons propriétaires.

Pourtant R.Dubois a été interroger les vieux bateliers du village flottant de Mont-sur-Marchienne. On s’y souvient qu’autrefois les bateliers jouaient de la mandoline ou du banjo, mais aussi de l’épinette.

L’enquête sur l’épinette est loin d’être terminée.

« J’ai dû arrêter mes recherches faute de moyens financiers.En effet, en Belgique aucun fonds n’est prévu pour permettre à des professionnels de faire des recherches sur le terrain.

C’est pourquoi les traditions populaires qu’on pourrait encore sauver de l’oubli aujourd’hui sont en train de disparaître irrémédiablement. Le collectage pourrait encore se faire dans les domaines de la danse, des mélodies d’accordéon, de la connaissance des cornemuses et des épinettes locales, mais demain les derniers témoignages auront disparu. »

C’est sur ces propos assez pessimistes à propos des initiatives possibles des pouvoirs publics que se termine notre premier entretien.

Nous parlerons lutherie et jeu actuel lors d’une prochaine rencontre avec Rémy.

Micheline et Guy Vanden Bemden-Casier

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(1) H.Boone , « De Hommel in de Lage Landen », The Brussels Museum of Instruments,Bulletin – Vol. V – 1975 – 1/2 – 162 p. Musée Instrumental de Bruxelles.

(2) op.cit.p.44.

 

 

(paru dans le Canard Folk de mars 1985)