La danse médiévale est un domaine passablement mystérieux et largement inexploré. Commençons par préciser ce que nous entendons parlà.

Tout d’abord, il faut savoir que ce qu’on appelle Moyen-Age qualifie une période d’environ un millénaire ! Nous serons donc forcément dans des réalités très différentes d’un moment à l’autre.

Sur le plan de la danse, on ignore absolument tout de la danse antérieure au XIIe siècle, ce qui réduit notablement la période considérée. Entre le XIIe et le XVe siècle, nous trouvons des mentions de danses sans aucune description ni mélodies :« virelai », « carole », « rondeau », « ductie », « estampie »…Tout au plus sait-on, par exemple, que« estampie » proviendrait, étymologiquement, de « stampare », taper du pied…C’est maigre…

A côté de ces références que nous qualifions de « littéraires », nous avons, fin XIVe, les partitions du Llibre Vermell (voir l’article le concernant). Terminons ce panorama des XIIe et XIIIe siècles en mentionnant, bien évidemment, les compositions des troubadours,trobairitz, trouvères et trouveresses, les Cantigas de Santa Maria et les Carmina Burana pour ne citer que les plus connus parmi les manuscrits.

Il est d’autres noms de danse qui vont apparaître au fil des siècles avec, tout d’abord, le mot « baixa dantza » figurant dans un poème espagnol du XIVe siècle. Nous avons quelques feuillets épars provenant du Catholicon de Salesbury et d’une page de garde de « La chronique de la Pucelle », ouvrages tous deux du XVe siècle. Ces deux feuillets nous donnent des découpes de basses-danses.

Cela est à mettre en rapport avec les documents de la moitié du XVe siècle, œuvres de trois maîtres à danser italiens : Domenico da Piacenza, Guglielmo Ebreo (puis Giovanni Ambrogio) da Pesaro et Antonio Cornazzano. A noter que, dans ces ouvrages, on trouve des danses composées par Laurent le Magnifique.

L’intérêt de ces ouvrages provient du fait qu’ils nous exposent les partitions, le déroulement des danses et qu’ils nomment les pas. Par contre, ceux-ci sont très peu décrits, ce qui procure un beau sujet de discussion entre tous les chercheurs en danse.

Terminons ce petit voyage temporel avec la danse franco-bourguignonne faite, jusqu’à plus ample informé, de basses-danses. Rien d’autre n’est parvenu jusqu’à nous.La danse médiévale, ce n’est donc pas n’importe quoi sorti de l’imagination de quelques originaux mais ce n’est pas non plus des descriptions précises et exhaustives de danses et de pas.

Musicalement, nous nous promenons entre le XIIIe et le XVe siècle,chaque manuscrit ayant sa propre richesse sur laquelle se penchent de grands noms : Jordi Savall et Hespérion XXI, Micrologus, Oni Wytars, …

Reste à savoir comment nous dansons…

*

« Vouloir danser un répertoire qui n’existe pas, c’est du grand n’importe quoi. ». Voilà ce que nous entendons régulièrement. Il faut donc expliquer quelque peu notre manière d’aborder ce sujet.

En ce qui concerne les danses décrites, nous nous plaçons résolument dans une logique de reconstitution. C’est donc valable pour les danses italiennes du XVe et pour les manuscrits franco-bourguignons de la même époque (Livre des basses-danses de Marguerite d’Autriche et « L’art et instruction de bien dancer» de Michel Toulouze).

Pour les danses antérieures, nous parlerons de propositions de mouvements dansés. Pour ce faire, nous faisons appel à l’iconographie qui nous donne d’assez bonnes indications, même si celles-ci restent assez générales : nous y trouvons plusieurs types de formation comme le cercle fermé, le cercle ouvert et la farandole. Ces trois formations se retrouvent autant chez la classe des dominants que chez les dominés. Chez les premiers, on trouvera, en outre, la colonne de couples,précisément pour les basses-danses. On a également quelques indications concernant la tenue des bras, en « W » ou en « V» mais…c’est à peu près tout.

Les auteurs des enluminures et autres tableaux n’ont pas réalisé de reportages sur les danses rencontrées. D’un carnet de croquis recueillis à divers moments et lieux, ils en tirent les attitudes qui leur plaisent. Ainsi, nous nous trouvons confrontés à des groupes de danseurs sur des appuis différents et même contradictoires par rapport au sens général de la danse.

Nous devons toutefois être prudents : on constate que TOUTES les danses illustrées dans un milieu populaire sont exubérantes alors que les nobles dansent avec une mine grave et l’air vraiment coincé. Cela correspond-t-il vraiment à la réalité des choses ?Dans « Histoire et Images Médiévales » (n°16 d’octobre-novembre 2007), Martine Jullian, maître de conférences à l’Université de Grenoble pose la question: « Mais ces variantes [dans les représentations de danse] sont-elles le reflet de la réalité ou le produit de transformations engendrées parla nature esthétique des œuvres, ainsi que parle statut social des commanditaires ? En effet, toutes ces œuvres émanent des élites et l’on peut imaginer que ces dernières, par le respect d’un ordre rigoureuxet d’une grande retenue dans les gestes et les pas, aient voulu se montrer à leur avantage. Elles se veulent les représentants d’une culture raffinée, poli, dont elles se font les hérauts, se démarquant ainsi face aux hommes du peuple qui sont montrés levant les pieds, souvent à contretemps,dans des gestes brusques et des attitudes grossières témoignant avant tout deleur rusticité, pour ne pas dire de leur incapacité à observer une règle commune.»

Nous avons fait nôtre cette mise en question car elle s’avère corroborée par l’iconographie à notre disposition.

Pour élaborer nos propositions de mouvements dansés, nous procédons en trois phases :

1  Une écoute de répertoires parfois très différents.
2  Le choix d’une (ou, parfois, de plusieurs) interprétation des mélodies qui nous plaisent.
3  La création de mouvements dansés en accord avec ce que nous savons de l’époque. A cela, il convient d’ajouter notre souci de coller au plus près de l’interprétation choisie, par simple respect du musicien.

Le tout sera soumis à notre chorégraphe, spécialisée en danse ancienne, qui, du haut de sa quarantaine d’années d’expérience, nous prodigue ses conseils.

Tout ce processus, très inégal dans le temps, constitue déjà un ingrédient majeur de notre plaisir de danser. Celui-ci provient aussi de bien d’autres choses, communes à tous les danseurs :

•  Les yeux des musiciens briller de contentement lorsque nait la complicité …
•  La joie dans le public, constater que celui-ci « en redemande » …
•  Le partage de nos connaissances …
•  Faire découvrir des mélodies totalement inconnues du public en lui faisant finalement comprendre que le Moyen-Age ne fut pas seulement une époque de rustres sales et déguenillés, crachant, jurant, rotant à tout va, mais une période de notre histoire faite aussi des délicieuses mélodies du « Fin Amor», des cathédrales gothiques, de la conservation et la copie du patrimoine écrit de l’Antiquité, …

Et vous voudriez qu’on arrête ?

Ce le sera sans doute un jour, lorsque genoux craqueront et que hanches caleront mais ce n’est pas pour toute suite.Tout au moins, nous l’espérons …

Jean-Marie Dontaine
Compagnie Trifolium

La Compagnie Trifolium œuvre depuis une quinzaine d’années afin de mieux faire connaître la danse ancienne.

(paru dans le Canard Folk de février 2016)