C’est en l’an 2000 que la classe d’accordéon de Wim Claeys (du groupe Ambrozijn) lui demande d’apprendre plus de répertoire de bal. Wim leur répond que pour apprendre ce répertoire il faut se soucier des danseurs. Quoi donc de mieux qu’un bal ? Les boombals sont ainsi nés dans la Boomstraat à Gand, et leur succès a été croissant, se répandant dans diverses villes surtout universitaires. Les boombals sont aujourd’hui une marque déposée et une grosse organisation qui décline ses activités en “boombal”, “boombal intiem”, “boombal op voyage”, “boombal op school” … et quelques rares boombals en Wallonie. Une mode, et peut-être aussi un style boombal, sont nés. On y voit du positif (de nombreux jeunes s’amusent en effet sur des danses folk), parfois aussi du négatif (lorsqu’on juge que telle danse est dansée imparfaitement “à la boombal”).

L’heure était donc arrivée de discuter avec Wim Claeys et Luk Indesteege (ce dernier, fondateur du défunt Limburgs DansOrkest, organise des boombals dans le Limbourg et a écrit un article sur les boombals dans Trad Magazine de mai-juin). André Deru et Christian D’Huyvetter ont ajouté leur grain de sel et un peu d’épices wallonnes dans ce débat mené dans la bonne humeur.

Marc Bauduin

 

Le répertoire, traditionnel ou non, et comment il se constitue. Est-il conçu spécifiquement pour s’adresser avant tout à des jeunes ?

 

Wim : les musiciens qui jouent dans les boombals sont libres de faire de la musique traditionnelle de partout, du folk sans définition précise. Tous les groupes d’un certain niveau sont bienvenus, y compris des groupes traditionnels comme Limbrant et ‘t Kliekske, par exemple. Mais on a constaté qu’il était difficile de faire jouer des musiciens flamands ensemble, par manque de répertoire commun. D’où notre idée de créer des Tune Learning Sessions, une fois par mois à Gand de 20h à 22h. Nous invitons comme prof un musicien renommé comme Hans Quaghebeurs, Toon Van Mierlo, Aurélie Dorzée, Wouter Vandenabeele, Hubert Boone, … C’est ouvert gratuitement à tous les musiciens (avec leur instrument) et chanteurs. On a eu jusqu’à 80 musiciens avec Toon Van Mierlo. Puis à 22h on ouvre la salle aux danseurs, et les musiciens font une grande jam avec le prof. Deux semaines plus tard, lors du “grand boombal”, dans la salle en bas, le “TLS Band” joue avec le même prof. Et ainsi un répertoire commun se constitue librement.

 

Le public, son attitude vis-à-vis de la tradition.

Luk : toutes sortes de danseurs viennent à Herk, entre autres des bons dabnseurs; la moitié sont des jeunes. A Gand et dans d’autres villes, il y a beaucoup de jeunes qui sautent, qui s’amusent, ce n’est pas un bal folk, c’est une des facettes des boombals. Gand est une ville universitaire qui compte beaucoup de jeunes qui aiment faire la fête.

André : en Wallonie, beaucoup de gens ont l’impression que c’est la seule facette des boombals.

Wim : ce sont des gens qui ne nous connaissent quasiment pas. Mais quelqu’un qui veut bien danser ira dans un bal folk ou à Herk.

Luk : il y a cinq ans, les jeunes n’osaient pas dire qu’ils allaient faire de la danse folk. Actuellement, de 3 à 5% des gens qui ont connu le folk par les boombals sont ensuite allés dans des bals folk. On peut considérer que c’est peu, mais c’est mieux que rien, car cela fait quelques centaines de personnes.

André : quand je lis ton article où tu parles de “dépoussiérer le folk”, j’ai l’impression que rien n’a été fait en 30 ans – on était jeunes, à cette époque du revival.

Luk : mon article concerne uniquement la Flandre, et surtout les groupes de danse. J’ai vécu dans ce monde qui considère avant tout qu’il a un message à transmettre, une grande tradition à mettre en avant. Aujourd’hui enfin on a de l’air, de la lumière ! Nous cherchons à nous amuser sans être trop intellectuels, et cela se fait sous un seul nom “boombal”.

André : c’est vrai, c’est un avantage. De même, les Flamands sont arrivés à se fédérer dans Muziekmozaïek. Je suis jaloux de la force de cette association qui a un bâtiment, qui a des sous …

Christian : j’ai un avis modéré. Boombal a au moins le mérite d’exister. C’est très bien si quelques pourcents des gens vont un peu plus loin. Et concernant les styles : j’ai un répertoire traditionnel mais j’ai toujours été bien accueilli dans les boombals. Là où ça pourrait devenir gênant, c’est que le public commence à cataloguer les gens (leur répertoire, leur manière de jouer) comme “boombals” ou pas. Si tu n’est pas “boombal”, tu es ringard, tu es traditionnel.

Wim : le même phénomène se passe pour toutes les musiques. Nous, organisateurs, savons bien que c’est le même répertoire.

Luk : en tous cas, Boombal nous a sauvés de l’idée que la musique traditionnelle soit liée à l’extrême droite et au nationalisme. Les “petites danses” ne sont pas que flamandes.

 

Enseigner les danses

 

André : la tradition est très fragile. Avant de faire n’importe quoi, il faut connaître les références. Ensuite on fait ce qu’on veut. Si un animateur mélange différentes figures de scottische sans préciser leur origine, on arrive à la situation que j’ai connue où une danseuse me disait que je ne savais pas danser la scottische !

Wim : chacun a son cadre, et on ne sait pas ce que deviendra la scottische … c’est la tradition qui vit. Le point de repère, le point zéro n’existe pas. Tu le vois en fonction de ton cadre, mais tous pensent différemment.

Luk : il y a actuellement beaucoup d’animateurs, et chacun a son style durant l’heure d’initiation qui précède le bal. La tradition est très vivante.

Christian : mais le danger de tout mélanger, c’est comme pour les peintures : le résultat finit par être gris.

Wim : la tradition fait ce qu’elle veut, nous ne pouvons rien y changer !

André : tu ne peux pas dire que c’est de la musique traditionnelle. Il y a une notion de transmission …

Luk : si, c’est la tradition qui évolue. La vraie tradition, comme le dit Eric Thézé, c’est les bals, pas les stages.Les stages, c’est une invention moderne. La tradition bouge, et de nouvelles danses peuvent apparaître. De nouvelles communautés se forment aussi, comme ces groupes de copains qui font 100 ou 150 km pour danser.

Wim : en Flandre, on perdait le sens de la danse et des contacts, sous l’influence des dancings, de la techno. Les danses en couple avaient disparu, et maintenant elles reviennent, c’est nouveau pour les jeunes. Nous sommes arrivés au bon moment, avec à la fois l’envie de danser en couple et la présence de musiciens de qualité (grâce à Gooik) et d’excellents instruments. Oui, il y a beaucoup de musiciens folk professionnels, il y en a de 30 à 40 en Flandre, avec beaucoup d’échanges avec le rock ou le jazz, et certains jouent uniquement dans les boombals. Certains musiciens sont aussi profs. Il y a environ 6 écoles en Flandre où la musique traditionnelle est enseignée. Cela a commencé il y a dix ans avec Gooik, Ypres, etc.

 

Les finances

 

André : qui décide du cachet des musiciens ? C’est 100 euros ?

Wim : c’est parfois 250 ou même 300 euros, cela dépend du budget. L’asbl Boombal décide cela ensemble avec Klesie et Lieven de Muziekburo. Nous prenons toutes les décisions importantes ensemble. Les boombals que nous organisons nous-mêmes (Luk à Herk, notre équipe à Gand, Bruges, Louvain, etc) sont très importants pour nous car ils permettent d’avoir un vrai public fidèle (on crée un réseau de boombals locaux), mais ils sont déficitaires.Nous ne recevons pas de subsides, je n’en veux pas. Mais le bénéfice vient des “Boombal op Voyage” qui existent depuis quatre ans : c’est un package clé sur porte qu’on vend aux entreprises, aux associations, aux villes … le prix est indiqué sur le site web de Boombal.

Luk : il y a des boombals de différentes tailles. A Herk, nous avons 150 à 200 danseurs, donc nous n’engageons pas de grands groupes.

Wim : dans le plus grand boombal, à Gand, on a en moyenne 400 danseurs, parfois 600, et le prix d’entrée est modéré : 6 euros, moins qu’une place de cinéma.

 

Des boombals en Wallonie ?

 

Wim : tu me demandes pourquoi les boombals ont peu de succès en Wallonie ? Il suffirait de rencontrer des gens qui veulent en organiser, comme Luk à Herk ou Quentin Pion à Leuze en Hainaut. S’il y a des gens intéressés, qu’ils me contactent.

André : la demande n’est peut-être pas la même en Wallonie, car il y a déjà des bals folk chaque semaine.

Wim : c’est vrai qu’en Flandre les musiciens sont plutôt mis à l’écart, tandis qu’en Wallonie l’accordéon est plus accepté. Mais il existe sans doute un public wallon qui est actuellement en dehors du circuit des bals folk et qui serait intéressé. Il faudrait peut-être commencer par une grande ville, peut-être Namur ?

 

D’autres boombals

 

Wim : Els Hutsebaut, une institutrice (mère de deux musiciens du groupe Aedo), a eu l’idée de lancer des “boombal op school”, des boombals à l’école. Deux équipes de deux musiciens professionnels vont apprendre aux enfants des danses traditionnelles (Zevensprong, etc), ils portent un drôle de chapeau, ils construisent une histoire. C’est précédé par une leçon. C’est Els qui gère les contacts pour ce type de boombals.

Luk : on pourrait imaginer aussi des boombals pour seniors, et peut-être même des boombals dans des maisons de retraite. Et (blagueur) un boombal pour politiciens ?

Wim : avec sur le t-shirt un logo noir-jaune-rouge … Et la danse d’ouverture serait faite par … (on vous laisse imaginer les personnages cités, et les éclats de rire qui s’ensuivirent)

Pour conclure

Christian : pourquoi la sono est-elle si forte dans les boombals ?

Wim : en pratique, sur place, c’est l’ingénieur du son qui décide. C’est difficile à contrôler. Je suis de ton avis : il faut pouvoir se parler dans un bal.

Luk : à Herk, moi je demande que la sono soit moins forte.

Wim : pour conclure, ça me fait mal au coeur que certains puissent avoir des sentiments négatifs vis-à-vis des boombals. Je les invite à venir dans les boombals !

Christian : tu offres donc une entrée gratuite aux Wallons ? (rires)

André : il y a peut-être aussi un peu de jalousie devant le succès des boombals.

Luk : n’oublions pas qu’il existe aussi d’autres circuits que le boombal : Belsele, ‘t Smiske, etc, qui fonctionnent en partie avec les mêmes musiciens.

 

Alors, avez-vous des commentaires, des réactions, des témoignages sur les boombals ? Envoyez-les nous par e-mail à canard.folk@skynet.be .Entre autres, que pensez-vous de cette suggestion de Christian D’Huyvetter consistant à prévoir, comme dans les boombals, une heure d’initiation aux danses avant les bals folk, suivie d’un bal sans explications ? “Cela ferait plaisir à la fois aux groupes et aux danseurs”, nous dit-il. A vos plumes !

Pour toutes infos sur les boombals : www.boombal.be.

(débat paru dans le Canard Folk de novembre 2007)