Nous parlons ici de musique folk, de danses, de chansons de protestation ou d’amour, d’interactivité par internet, de dons d’argent, d’un concours de la RTBF … en période de confinement et tout en songeant bien sûr à ceux qui ont perdu tantôt un proche dans cette crise sanitaire, tantôt leurs revenus (boulot ou complément de pension) : musiciens, danseurs, sonorisateurs, tourneurs, cafetiers, organisateurs et d’innombrables autres métiers. Et en conseillant à ceux qui se sentent trop seuls de se tourner, s’ils le peuvent, vers internet et en particulier le tant décrié (notamment par votre serviteur) Facebook ou vers des outils de communication casque/caméra (Skype, Zoom, Teams, …). Car communiquer par internet est toujours cent fois mieux que ne pas communiquer du tout. Enfin, vos réactions sont bienvenues (par mail à canard.folk@skynet.be), mais notez bien que ce qui suit n’est qu’une description d’une partie de ce que j’ai vu, ce ne pouvait pas être une critique des activités créées par des gens dynamiques en période de crise …
Marc Bauduin
Montages vidéo
Commençons par un géant proche de la terre et des hommes : Jofroi, toujours actif même s’il a perdu un peu de sa voix (il est sur le point d’avoir 71 ans), nous revient avec un superbe montage vidéo où chaque musicien apparaît dans une case au moment où son instrument (ou sa voix) se fait ente ndre, accompagné d’un message solide qui montre que cette réalisation n’a pas pour seul objectif de faire plaisir musicalement :
C’était un rêve : constituer un orchestre virtuel composé de la plupart des musiciens qui m’ont accompagné depuis que je chante « Si ce n’était manque d’amour »…
Et d’un chœur d’amis, spectateurs fidèles … de France, de Belgique, du Québec, de la Réunion… Quel bonheur ! Un tout grand merci à tous pour leur enthousiasme et leur talent !
Ce petit montage vidéo est maintenant prêt à voyager… Go ! C’est à vous maintenant de chanter, de partager … et d’imaginer un autre lendemain…
En ce printemps étrange où le monde s’est mis sur pause et en attendant que l’on puisse se toucher à nouveau et que câlins, baisers, caresses, étreintes, embrassades, poignées de mains, accolades et tapes dans le dos retrouvent leurs droits, buvons-nous des yeux, aimons-nous dans le creux de l’oreille, brisons les distances et partageons de par le monde cette chanson qui vient de faire le tour de la terre.
Avec le même genre de technique, Yannick Schyns a pu convaincre une trentaine de musiciens et chanteurs folk (clarinettes, trompette, flûtes, violons, accordéon, nyckelharpa, guitare, basse, percussions, batterie, chant), regroupés sous le nom “Le Choeur Orchestré des Confinés”, de se filmer en interprétant une “Corona Song” de genre latino qui participe au concours de la “Fête du Bruit” de la RTBF. Le montage est passé au JT. Les gagnants joueront sur la grand place de Bruxelles en septembre.
En France, Aurélien Claranbaux (accordéoniste de Duo Absynthe, Novar, Bohème, Zef …) a eu la même idée, qu’il a baptisée Big Folk Orchestra (grand orchestre trad, en abrégé BFO). Il a choisi un air de Cyrille Brotto, l’a joué à l’accordéon pour l’envoyer avec un signal de métronome aux participants, a donné des conseils sur l’acoustique, la résolution vidéo, le cadrage … et a assemblé le tout dans son studio Claranbox. Les zooms sont particulièrement bien réussis, montrant un guitariste entouré d’électronique ou un accordéoniste dans son salon cosy. Le succès est au rendez-vous début avril, et on le pousse à faire un second BFO, ce qu’il accepte mais avec un financement participatif (objectif 800€) vu le temps et l’effort que cela représente. Le 5 mai, il décide de lancer le BFO2 bien que l’objectif de financement n’ait pas été atteint.
En temps réel et différé
Beaucoup de concerts ont lieu en direct, en temps réel (voir plus loin). Si vous avez raté la prestation, pas grave : elle a été généralement enregistrée, ce qui permet de la (re)voir plus tard. Voilà apparaître alors une curieuse situation où l’on regarde du “live” en différé, en voyant même les commentaires qui ont été “postés” ainsi que les éventuelles floches des musiciens. Certains en profitent, en annonçant la disponibilité d’un “live” qui a en fait été enregistré bien avant le confinement. Pourquoi pas, si on annonce clairement la couleur – ce n’est pas toujours le cas.
Là où ça devient un peu vicieux, c’est quand un ancien “live” est mélangé avec du véritable temps réel. Vous êtes dans Facebook, et soudain une notification s’affiche quelques secondes : vous ne retenez que les mots “live” et “Bagad Kemper et Red Cardell”, l’excitation monte de plusieurs crans …
Après un clic, voici un écran avec un grand compteur où les dernières secondes s’égrènent, vous ne remarquez pas dans le bandeau de titre les lettres “re” de “Filive – rediffusion “… et voilà que le concert commence, pétant des flammes. Une présentatrice filmée dans les bois annonce brièvement, on comprend enfin qu’il s’agit du concert au festival de Lorient l’été dernier, mais on voit aussi des musiciens jouer seuls à leur domicile, dont un cornemuseux en short de pyjama. Le nombre de participants dépasse allègrement les 600. Tudieu, quelle fête !
Et il ne paraît pas possible, en effet, d’avoir de telles fêtes purement en direct tant que la technique n’a pas fait d’internet un système fiable où des musiciens distants peuvent être entendus et vus sans le moindre décalage temporel. Bon, il suffit d’être patients, mais ce ne sera probablement pas pour la génération actuelle des papys.
En temps réel : concert, concert-bal, concert-apéro, seul ou à plusieurs, avec ou sans appel aux dons
Les variantes sont nombreuses, et la qualité du résultat dépend non seulement des mêmes paramètres que les concerts habituels, mais aussi de la maîtrise de la technique son/image par internet, de la capacité à installer une ambiance dans un cadre (son domicile) inhabituel, de lire les commentaires sur Facebook et d’y réagir tout en conservant le fil du concert …
Commençons par le genre concert solo à la fois déjanté et très humain. Notre ami Oliver Gray, violoniste, guitariste et chanteur anglais établi en Belgique (jadis leader de Crossroads), a pris l’habitude de commencer ses concerts quotidiens sur son trottoir à 20h et donc de remercier au micro le personnel soignant, parfois en même temps que les cloches de l’église. Ceci a commencé pour donner de l’espoir aux voisins confinés et sans musique live, puis il l’a partagé en direct sur Facebook. Mille bravos pour ton dynamisme, Oliver ! Côté répertoire et interprétation, par contre, il étonne. Il fait appel à Stevie Wonder, à Fairport Convention, à Ralph Mc Tell, au blues électrique, au jazz, au rock et à ses propres compositions. On entend relativement peu de folk mais il transforme des morceaux populaires dans un jeu plus folk, quasiment tout se passe en anglais (une fois par semaine en français), mais il a des commentaires en français pour les habitants du quartier. Quant à la qualité bien connue de son jeu en musique folk, il l’a mise au second plan, sans doute pour être moins policé et plus percutant dans d’autres genres musicaux, mais aussi parce qu’il presente des nouveaux morceaux tous les jours.
La majorité de ce qu’on a vu, ce sont des concerts solo ou à deux, qui collent bien à l’image du musicien ou du groupe. Le décor peut être neutre (on ne voit quasiment que le musicien), peut être un confortable salon ou une table sympa, ou plus rarement … un studio d’enregistrement, pour ceux qui en ont un chez eux.
C’est le cas d’Aurélien Claranbaux, l’accordéoniste français déjà cité à propos du BFO. Dans son studio, on découvre d’abord un accordéoniste-contrebassiste en compagnie d’une pianiste bien au fait des rythmes de danse. Après coup, on comprendra qu’il s’agit du groupe Bohème (Sylvain Letourneau et Pauline Caplier), et on se dit que ce serait chouette d’avoir une liste des morceaux joués (titre, compositeur) et une brève explication sur le groupe. Cela servirait aussi à ceux qui regarderont l’eventuelle vidéo après coup, et cela remplacerait les oublis tels qu’une simple annonce “voici une valse”. Excellente musique en tout cas, et accompagnée d’une demande de faire des dons dans une cagnote.
Quelques jours plus tôt, c’était le même Sylvain Letourneau, à la guitare cette fois, avec Aurélien Claranbaux à l’accordéon chromatique bi-sonore (admirons la précision de cette dénomination), autrement dit le Duo Absynthe pour un “concert-bal à la maison”, avec leur musique virtuose et dynamique bien connue. Les musiciens consultent régulièrement Facebook, disent bonjour à Untel, réagissent aux commentaires, annoncent bien les morceaux, disent quelques mots en anglais, tandis qu’un texte défile qui demande de les soutenir financièrement. Quasi toutes les “fonctionnalités” attendues sont présentes – il ne manque guère qu’une ouvreuse faisant le tour de la salle (virtuelle) pour vendre le programme et des chocolats glacés.
Le Duo Absynthe a également proposé un apéro-concert le 30/4 à 19h, faisant ainsi concurrence avec votre propre apéro : fauteuils, bières et snacks, musique et discussions, appel de l’un ou l’autre musicien, le tout avec la perspective d’un chômage technique jusqu’en septembre … Sympa et réaliste, certes pas marrant.
Le même Aurélien donnait un concert-bal solo le 2/5 au soir, annoncé avec un texte demandant de le soutenir. Ambiance relax; il annonce les titres et les compositeurs. Et joue parfois les yeux fermés : ah, cette valse à Joseph !
En bal solo également, mais plus original et sans doute a priori plus risqué : le violoncelle de Jeremy de Lombaerde (de Bardaphe, duo Gaughin, duo dlc …) pour un fest deiz (annoncé notamment sur la page du Cercle Triskell) avec un jeu très diversifié et moult doubles cordes. Balèze, le Jeremy ! Il nous dit : “ Oui tout s’est bien passé, une trentaine de spectateurs en moyenne (pour un dimanche après-midi ensoleillé, c’est déjà pas mal), j’ai eu quelques propositions de morceaux et des gens m’ont demandé après si je pouvais leur envoyer des partitions !” Jeremy lit des commentaires et répond à certains au micro. Voilà une belle interactivité qui semble toute naturelle : “je vais voir qui est là’… “bonjour untel” Il est aussi très humain, en rappelant combien ses amis musiciens lui manquent …
Avec un petit aspect “commercial” (ce n’est pas un reproche !) en plus, on a vu le violoniste danois Kristian Bugge (du duo Gangspil) qui donne un concert chaque dimanche soir dans son appartement . La maison de disques « Go Danish Folk Music » offre la livraison internationale gratuite pour les cd et livres achetés pendant le concert ou dans la demi-heure qui suit. Une belle audience d’environ 260 personnes, et un appel aux dons.
Concernant les dons, nous n’avons qu’un seul chiffre (pas de statistiques donc), celui de musicien(s) pro bien connus(s) : 8,5 euros par don. C’est donc uniquement informatif.
Enfin, également commercial sans qu’on le lui reproche, le fabricant d’accordéons Costantino (de Calabre) joue des tarentelles endiablées sur ses instruments à 1 rangée + 3 boutons. Vrai paquet de nerfs, on ne voit pas son visage car l’objectif est braqué sur ce qui est pour lui l’essentiel : l’instrument.
Le 11 mai, c’était exactement le 25ème anniversaire du groupe hongrois Söndörgö. Outre un concert officiel qui a eu lieu plus tôt, il l’a fêté par un mini-concert sur une longue terrasse au dernier étage d’un bâtiment à Budapest, à hauteur des toits environnants. Un concert de virtuoses, sans paroles, sans interruption, avec plus de 500 participants Facebook. Une brève intro en hongrois puis en anglais disait qu’on pouvait créer des commentaires en anglais, et qu’ils essaieraient d’y répondre juste après le concert.
Workshops online
Certes, l’idée n’est pas neuve mais ils sont dorénavant plus nombreux. Cependant, tous les moniteurs ne sont pas capables de le faire convenablement, car cela demande un minimum d’organisation, surtout si cela se passe en groupe. Et il y a tout simplement la question de la langue. Ainsi, Guido Plüschke donne ses premiers ateliers online de bodhran en groupe (sur trois niveaux) le week-end des 2-3/5 mais ses publications sont uniquement en allemand. Quand on lui demande (en anglais) comment cela se passe avec des élèves qui ne connaissent pas l’allemand, c’est le silence qui répond.
Echanges d’idées et structuration des réactions
Facebook foisonne habituellement de publications et de commentaires (qu’ils soient vindicatifs, fatalistes ou autres) sur des problèmes divers, mais désormais ces écrits semblent nettement plus nombreux. On se demande si, à cause de la “distanciation sociale”, les danses folk (on pourrait ajouter aussi les théâtres, les cinés …) seront interdites jusqu’à ce qu’un vaccin et un médicament curatif arrivent sur le marché (dans plus d’un an ?). On nous met en garde contre l’instauration d’un nouvel ordre mondial où nous serions tous tracés avec une puce sous la peau. Mais bon, nous n’allons pas sortir les fusils ( les quoi ?) pour faire la révolution, quand même. Un peu cyniquement, on peut se dire que tous ces échanges n’auront probablement aucune influence sur nos décideurs, sauf si un changement dans les (intentions de) votes apparaît clairement.
Voyons plutôt les initiatives concrètes de quelques associations qui ont pignon sur rue et qui montrent peut-être que des changements dans la manière de consommer la culture continuent d’apparaître, dans la lignée des concerts dans votre salon, qui rapprochent les artistes de leur public.
“Het kot is van ons” est le nom de deux initiatives de l’association flamande Muziekmozaïek pour rémunérer des musiciens qui ont perdu une grosse part de leurs revenus : d’une part l’organisation de sessions online “folk tune learning” où les participants pourront apprendre gratuitement de nouveaux airs; et d’autre part un projet de nouvelles compositions (dont 10 à 20 seront sélectionnées). Voyez muziekmozaiek.be/folk/projecten/het-kot-is-van-ons/
Une idée originale qui vient de Paris : les musiciens et les poètes ixellois seront soutenus chaque mercredi et samedi après-midi du 13/5 au 13/6 en appelant durant une demi-heure par téléphone (et vidéo si on a Whatsapp) une personne à qui cela ferait plaisir, qui souffre du confinement. Cela se passe gratuitement en prenant simplement rendez-vous. Il s’agit d’un partenariat entre Muziekpublique (qui est basée à Ixelles), la commune d’Ixelles et ses bibliothèques.
Le label allemand Asphalt Tango, spécialisé en musiques tziganes et est-européennes, a refondu son site web qui devient diantrement attachant avec des photos qui évoquent souvent la vie quotidienne des familles de musiciens, et qui explique que 90% des revenus des artistes proviennent normalement des concerts, et qu’avec 200 concerts annulés ils peuvent être soutenus en achetant leurs cd. Connaissant le label, on peut vous assurer qu’il ne s’agit pas simplement d’une tentative d’augmenter son chiffre d’affaires.
Terminons par une note humoristique de Kristi Stassinopoulou, dont le concert à Bruxelles avait dû être annulé. Ce dessin n°49 “home sweet home” évoque la peur de la fin du confinement, la peur de ce qui va se passer quand on rentre à la maison (voir sa page FB).