Cette rubrique se veut ouverte, de bric et de broc, à tout fouineur amoureux de la tradition musicale, chantée et dansée de nos régions.

Comme autant de loupiotes allumées aux fêtes et kermesses, comme autant de brandons réchauffant les veillées, puissent ces traces de nos ménétriers nous éclairer sur notre patrimoine musical populaire.

Ce patrimoine qui, fatigué de dormir dans les musées, se veut accessible à tous, et en constante évolution pour une pratique contemporaine.
Heurs et malheurs des ménétriers de nos régions

La musique adoucit les moeurs ? Le métier de ménétrier, ce musicien ambulant qui allait de village en village animer les fêtes et les bals par son répertoire d’airs de danses, n’était pas toujours de tout repos ; en atteste une étude du Docteur Hollenfeltz dont nous vous livrons quelques extraits :

Les Musiciens Ambulants dans le Luxembourg.(1)

 » On sait si peu de chose des musiciens ambulants qui, dans le Luxembourg d’autrefois, devaient égayer, comme ailleurs, les noces et les kermesses, que l’on pourrait douter qu’il en ait existé, et que l’on serait tenté de croire que ce pays grave et rude a manqué des pauvres distractions qui, parmi les labeurs quotidiens de la vie populaire, mettent, de ci de là, une tache claire et un instant de joie.
Il n’en est rien : les noces et les kermesses luxembourgeoises avaient leurs musiciens, tout comme celles des autres provinces, mais – comme sans doute aussi ailleurs – la musique qu’ils faisaient ne semble pas avoir sensiblement adouci les m?urs de leurs contemporains ni dispensé l’atmosphère idyllique de paix et de sérénité que l’on se plait à invoquer, par amour des contrastes, comme cadre des réunions d’autrefois.
Les deux documents qui suivent, et qui tous deux parlent de coups et blessures, en font foi : si, dans le deuxième, le vielleur n’intervient que d’une manière épisodique et comme témoin involontaire de la scène, le premier relate les circonstances dans lesquelles – victime du devoir professionnel – un ménétrier, venu à Bastogne pour jouer à des noces, y a été si malmené par le fils du maire de l’endroit, auquel il réclamait un demi-setier de vin qui lui était dû, qu’il est mort des suites de ses blessures.
Les deux incidents sont contemporains ( 1555 et 1556 ), ce qui pourrait facilement prêter à de fâcheuses généralisations ?  »

I.
Houffalize, 11 avril 1555.
 » Jean Andrion demourant à Wardein, aigé denviron XXI ans, menestrier et laboureur de son stil, a déposé par son serment, que luy deposant et feu Jehan Claus de Rachamps estoient menestriers et avoient, en ouste lan 1553 (ne scait autrement dire le jour), joué aux nopces à Bastoigne. Or y avoit le mesme jour plusieurs nopces en ladite ville, et se trouvoient tous les menestriers ensemble le soir pour banquetter ce qu’ils avoient eu des droitz desdites nopces. Les serviteurs du Sr de Rollé vindrent prier quon leur vint sonner des dances, dont ce dit deposant et le defunct comme le plus jeusnes y allarent et, après plusieurs danses, ce dit deposant se mit sur ung banc à dormir, comme celuy qui estoit fort las, comme estoit son dit compaignon?  »
( A son réveil, il trouve son compagnon grièvement blessé ).
 » Pirard de Rachamps, Jehan Gerard, Ambroise Gerard Maron, aussi tous deux de Rachamps, ont dit avoir parlé au defunct auparavant son trespas en aoust 1553, et entendirent de luy comment que le filz du maire de Bastoingne l’avoit blessé, assavoir toute l’espaule avallee, et au bras, a cause quil navoit volu soner des haubades a son plaisir, non ayant en consideration quil estoit alhors comme endormy et yvre, et mort environ XVI ou XVIII jours apres?  »

II.
Nomeny, 19 juin 1556.
 » L’humble supplication et requeste de Rayes Mareschal, bourgeois d’Arrancy, avons receue, contenante comme le troisiesme jour du mois de jung mil cincq cens cincquante quattre, il y avoit des nopces au lieu de Circourt, desquelles nopces icelluy suppliant estoit, comme estant parent de l’espousee. Et comme après souppé sur le soir, les jeunes gens dansoient a son d’une vielle, survient ung nommé Mengin Maillefer dudit Circourt, lequel aiant fort beu et juré, se mist en la danse et requist au violeur avoir une danse, laquelle il eut ; et apres requist en avoir encores une aultre, et se on ne luy vouloit accorder, qu’il romproit la viele dont l’on jouoit ; et fut par aulcuns des amis du sire desdictes nopces ramené ledcit violeur devant la maison et illec furent recommencees lesdcites danses joyeusement ; que lors derechef se mouva ledict Mengin Maillefer ausdictes danses, et de prime face, sans avoir question a personne, rompit la danse a celluy qui la menoit, disant qu’il en auroit encores une aultre ; et voiant le trouble que illec ledict Mengin faisoit, ung nommé Pierron de Rouelle, bourgeois dudict Circourt, pousse ledict Mengin Maillefer tellement qu’ilz tombarent a terre et illec s’entreprindrent et tirerent l’ung l’aultre par les cheveux ; et estant en tel estat ledict Mengin Maillefer trouva moyen de soy desvelopper des mains dudict Pierron, de sorte que, apres qu’il fut relevé, tirat son cousteau, en chassa ledict Pierron Ruelle pour l’oultrager. Que lors ledict suppliant ce voiant, voullant revenger ledict Pierron son parent, estant pres d’ung jardin trouva ung baston duquel il donna deux coups sur la teste dudict Mengin, tellement qu’il le rua par terre, desquelz coups ledict Mengin estre revenu en sa maison, ung jour et une nuit apres est allé de vie a trespas, au tres grand regret et desplaisir dudict suppliant ?  » (3)

Les moeurs ne semblaient pas être plus douces en Ardennes : si l’on en croit la légende entretenue par la famille d’Eugène YSAYE, le célèbre violoniste surnommé par les siens :  » le Roi des Ménestrels « , tous les YSAYE étaient ménétriers de père en fils dès la fin du moyen âge.

Antoine YSAYE, un des fils d’Eugène, parlant de ses ancêtres, rapporte l’anecdote suivante :

 » Le plus lointain d’entre eux, maréchal-ferrant, faisait résonner son enclume à l’orée d’un bourg, calotte de roches de la Grande Ornière menant de Lorraine au Pays de Liège. Un jour, comme il faisait danser dans la campagne, il brisa sa vielle sur la tête d’un impertinent danseur qui lui avait dit :  » Dis-donc, l’ami, pour jouer ainsi, un manche à balai suffirait bien ! « . (4)
Que jouaient-ils, les ménétriers de cette époque, pour faire s’esbaudir le peuple dans les noces et kermesses de nos régions ?

Thoinot Arbeau avait 35 ans et nous ne sommes pas tellement loin du Barrois : nous pouvons imaginer que les branles qu’il décrit dans son Orchésographie étaient à l’honneur.

Dans le contexte décrit ci-dessus, nous vous proposons tout naturellement l’un de ces branles qui font toujours fureur dans les bals folks d’aujourd’hui :

LA GUERRE :

Jacqueline et Walter LENDERS.

 

J.-L. HOLLENFELTZ, Les Musiciens ambulants, Extrait du Cahier n4 de l’Académie Luxembourgeoise, Presses de J. Fasbender, Arlon, 1938, pp 15-19.

Archives du Gouvernement Grand-Ducal, Traités et Conventions, V, f 74-75.

Archives du Gouvernement Grand-Ducal, Traités et Conventions, XVIII, f 128-129.

A. YSAYE, Eugène Ysaye, sa vie, son œuvre, son influence, éd. L’Écran du Monde, Bruxelles, 1947.

(article paru dans le Canard Folk de juillet 2000)