Le temps où une majorité de folkeux étaient rétifs à l’informatique est bien révolu. Les e-mails et les pages web sont devenus monnaie courante, mais tire-t-on pour autant suffisamment parti du numérique ? L’historique du folk mis en place début 2004 sur le site du Canard Folk a l’avantage de pouvoir s’enrichir au gré de l’actualité, et d’offrir plusieurs grilles de lecture : la chronologie, l’index des noms et quelques thématiques telles que « jouer, danser wallon ».

A côté de cela, les ouvrages imprimés de type scientifique, quel que soit leur intérêt, suscitent souvent une frustration par leur caractère figé, par l’immuable séquence des pages et parfois aussi par leur caractère peu pratique.

Il y a un peu plus d’un an, la lecture d’un ouvrage très dense de Jean-Marie Guilcher était l’occasion de quelques réflexions qui n’ont pas encore été publiées. Les voici donc, avec l’intention de les faire suivre par une présentation du livre « Total Recall » (rien à voir avec le film) de Gordon Bell, un visionnaire actuellement à l’oeuvre chez Microsoft.

Comme d’habitude, vos réactions seront bienvenues à l’adresse canard.folk@skynet.be.

 

Danse traditionnelle et anciens milieux ruraux français (JM.Guilcher) : réflexions

 

Ce livre, on l’a dit et répété à juste titre, est un véritable monument qu’on attendait impatiemment. Inhabituel par son ampleur, par sa profondeur mais aussi par la prudente modestie de l’auteur, on ne voit pas qui d’autre que Jean-Marie Guilcher aurait pu l’écrire.

Ceci dit, il demande beaucoup d’attention de la part du lecteur. Ce n’est certes pas le genre d’ouvrage qu’on lit d’une traite, ni même en quelques jours. Voici quelques réflexions de ma part, moi qui ai mis quelques mois à le lire … et qui rêve d’une version électronique en constante évolution.

Adoptons donc le point de vue du non spécialiste de la danse – c’est mon cas, et on peut espérer que c’est le cas de la grosse majorité des lecteurs de ce livre. Et voyons comment les inévitables imperfections pourraient trouver une solution.

Inhabituel, ce livre l’est aussi par la densité et la longueur de son introduction, qui s’étale des pages 7 à 31. De quoi décourager les non spécialistes ? L’étude des changements, des transmissions et des variations en est le thème majeur, au point qu’on se demande si ce n’est vraiment qu’une introduction. Ainsi, les pages 22 à 25 présentent quatre modèles principaux de changement que nous n’avons pas retrouvés dans le reste du texte. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’y sont pas …

L’introduction est aussi l’occasion de faire connaissance avec le style un peu particulier de l’auteur, qui aime placer des subordonnées avant les phrases principales. Mais on s’y habitue vite, en constatant d’ailleurs que cela permet souvent d’éviter des ambiguïtés.

Passé l’introduction, on aborde les danses dans les campagnes au temps de l’Ancien Régime et on voit que, tout comme l’introduction, le reste du livre est inhabituel encore par sa structure. Chaque chapitre est divisé en sous-chapitres et sous-sous-chapitres, ces derniers faisant parfois à peine une page. A la lecture, ces divisions sont parfaitement justifiées. Mais à la relecture ou lors de recherches, la différence de caractères entre les titres des deux derniers niveaux ne saute pas aux yeux, et le dernier niveau ne figure pas systématiquement (ça dépend des chapitres) dans la table des matières …

Ce qui nous amène à parler de cet ouvrage en tant qu’ouvrage de référence, outil de recherche. C’est là surtout qu’on bute sur les inconvénients d’une version « papier », à jamais figée. Outre le fait que la table des matières n’offre pas tous les détails souhaités, on peut se demander si certains titres sont suffisamment explicites. « Question d’ancienneté », par exemple, ne dira pas grand chose à celui qui se demande à quel endroit il peut retrouver une idée ou une information. Dans une version électronique, il serait simple de modifier ce titre.

On se tourne alors naturellement vers l’index. Un index est toujours difficile à construire : décider de la liste des mots et expressions à indexer n’est pas une sinécure, et faut-il indexer automatiquement ou manuellement ? En général, un indexage automatique n’est utile que pour les termes qui ne sont pas fréquemment utilisés. Ici, le mot « branle » renseigne plus de 100 numéros de pages, ce qui ne sert parfaitement à rien. Ni dans la table des matières, ni dans l’index, on ne voit clairement où trouver la définition du mot « branle ».

Nous avons relevé que notre « crâmignon » apparaît non seulement à la page 262, mais aussi à la page 133, alors que cette dernière n’est pas mentionnée dans l’index. Une recherche en plein texte électronique aurait trouvé immédiatement les deux pages. Par contre, « Ancien Régime » (soit la période du 16ème au 18ème) renseigne entre autres la page 26, où cette expression ne figure pas.

Inversément, les pages 100 et 105 parlent de « contredanses à entrées » et « enchaînements-types », sans qu’on puisse trouver l’explication de ces termes, qui figure semble-t-il dans un autre ouvrage de Jean-Michel Guilcher. On rêve ainsi d’un lien vers d’autres publications, également quand la page 97 cite la monférine (on suppose qu’il y a un lien avec l’Italie, mais lequel ?) … et quand on traite de l’avant-deux aux pages 101-102, on se demande si quelqu’un voudrait bien faire le lien avec notre « Avant-deux Lucie » wallon.

Il y a bien sûr aussi des notes. Beaucoup de notes, utiles et très très nombreuses, mais comme d’habitude écrites en petits caractères donc moins lisibles. Ce ne sont pas des notes « de bas de page » : reléguées en fin d’ouvrage, elles nécessitent des va-et-vient fastidieux. Ce problème est normal avec une version papier, mais serait simple à régler en informatique (il suffirait par exemple de placer le curseur sur un numéro de note pour voir la note apparaître).

Plus fondamentalement peut-être, l’informatique permettrait d’offrir aux lecteurs plusieurs angles d’attaque, sans avoir à suivre la structure séquentielle unique et forcément imparfaite du papier. On aurait ainsi différents menus, sans se limiter à de simples répartitions géographiques ou chronologiques. Par exemple : le mécanisme du déclin des danses traditionnelles; chansons vs. instruments (1); les emprunts aux contredanses. On y utiliserait des paragraphes existants mais en leur ajoutant une «colle» (de quelques phrases) qui donne du sens à leur juxtaposition. Et on pourrait ajouter progressivement d’autres menus, au fur et à mesure que le besoin se fait sentir. Les quatre modèles de changement présentés dans l’introduction pourraient aussi faire l’objet d’un menu. On aimerait également avoir une vue d’ensemble sur ces danses qui ont des points communs : branle, gavotte, dans tro, dans fisel, maraîchine, …

Interconnecter tout cela à d’autres bouquins de Jean-Marie Guilcher … et même d’autres auteurs. Une vaste toile, utilisable selon les besoins de chacun, et tissée par nos spécialistes avec l’aide de techniciens du web. On peut rêver, bien sûr. Mais en parlant de révolution numérique, n’est-ce pas vers cela que l’on se dirige ?

Marc Bauduin

 

(1) pour les chansons, on pourrait réutiliser des textes des pages 113, 115, 117, 128, 137, 139, 140, 174.

 

(paru dans le Canard Folk de décembre 2010)