Le premier volet est paru en décembre dernier, autour du livre de Jean-Marie Guilcher « Danse traditionnelle et anciens milieux ruraux français ».
Le livre : Total Recall
par Gordon Bell et Jim Gemmel, 2009
traduction française chez Flammarion, 2011
Gordon Bell est un pionnier de l’informatique, un chercheur qui a rejoint Microsoft où il mène le projet MyLifeBits (« mes bouts de vie »), au départ centré sur sa propre volonté de numériser tous ses documents et rapidement devenu une étude pratique de l’intérêt et de la faisabilité de généraliser une telle numérisation – c’est le programme Total Recall, dans lequel il s’est engagé à fond.
Eliminer le papier et tous les supports analogiques ; capter systématiquement toutes les informations de votre environnement (où vous êtes, quelle température il fait, ce que vous voyez, votre pulsation cardiaque, quels appels téléphoniques vous avez donnés et reçus, …), les stocker de manière facile et peu onéreuse ; et pouvoir les rechercher aisément, ce qui suppose un système de classification, d’indexation, performant.
Pour quoi faire ? Pour une foule de raisons, telles que :
– gagner de la place en éliminant tous les papiers : factures, contrats, lettres, coupures de journaux, cartes d’anniversaire, …
– pouvoir retrouver facilement ses factures d’électricité, la date de sa dernière visite chez le médecin, …
– se constituer un dossier médical complet et constamment mis à jour, qui permette de mieux surveiller sa santé, de repérer des tendances
– pouvoir transmettre ses e-souvenirs complets à ses petits-enfants
– améliorer son bien-être psychologique en débarrassant son cerveau d’une série de tâches fastidieuses
– aider sa mémoire lors de la recherche d’informations
– ne plus perdre de temps à débattre de « ce qui s’est réellement passé », mais faire confiance à l’objectivité des enregistrements
– lorsqu’on va revoir un ami qu’on n’a plus vu depuis longtemps : rechercher les souvenirs qui lui sont liés
– préparer un discours pour un anniversaire ou pour un mariage
– plus généralement : « halte à l’oubli ! »
Il a ainsi éliminé 90 kg de papier jauni (5.000 photos et 100.000 pages) en les remplaçant par 16 GB de données numériques. Pour scanner de tels volumes (et reconnaître optiquement le contenu des pages), il vaut mieux faire appel à des firmes spécialisées.
Il va plus loin en imaginant et testant un appareil qui pend à son cou et qui prend automatiquement des photos à intervalles réguliers, en y associant l’heure mais aussi la position grâce à un GPS. Il rêve d’un tel smartphone qui permettrait aussi d’enregistrer des notes, de prendre des photos dès que le paysage change, de communiquer avec votre futur réseau de capteurs biométriques, de stocker toutes ces données dans la mémoire de l’appareil qui, prédit-il, atteindra un téracoctet (1.000 GB) en 2020 pour le prix d’un café, et d’envoyer ces données dans le « nuage » (accessible de partout) pour stockage définitif. Accessoirement, on pourrait automatiquement créer un reportage de vos vacances …
L’automatisation de l’enregistrement porterait aussi sur les pages web que vous avez visitées, les conversations téléphoniques, …
Un maître lèguerait non seulement ses connaissances, mais aussi les notes, les schémas, les réflexions qui l’ont amené à les élaborer. Ses connaissances seraient mises en réseau avec d’autres, créant ainsi une architecture de connaissances.
La recherche d’une information dans ces montagnes de données ne devrait pas poser de problème pour autant qu’on s’organise un peu. Quand on voit ce que Google fait aujourd’hui, on se dit qu’il n’y a guère de limites techniques. On peut bien sûr rechercher un mot en « texte brut » dans le contenu des documents, mais on peut aussi le chercher dans les « métadonnées ». Les métadonnées, c’est par exemple : les balises des fichiers mp3 (nom de l’artiste, titre du morceau et du cd, année, …), celles des photos jpg, les propriétés des documents Word (auteur, date de création, titre, sujet, …). Les logiciels s’amélioreront dans ce domaine. Et le fait que toutes vos données puissent être interconnectées devrait permettre l’apparition de nouvelles associations d’idées.
L’auteur imagine l’utilisation de ces e-souvenirs lors de séances de psychothérapie, ou devant les tribunaux, ou lors de paris entre amis.
Il voudrait transmettre ces e-souvenirs à sa descendance. Inversément, il imagine pouvoir consulter les e-souvenirs de tout un arbre généalogique. Les fournisseurs de service de stockage devraient les convertir vers de nouveaux formats de fichiers lorsque c’est nécessaire. Et toutes ces données pourraient être cryptées afin d’assurer leur confidentialité, dans des sortes de « banques suisses » de données. Gordon Bell espère que les jeunes comprendront que c’est une erreur d’étaler leur vie privée comme ils le font : si tous les e-souvenirs étaient mis en commun, ce serait du « cybercommunisme ».
L’auteur rêve même d’un avatar : un personnage purement informatique qui, se basant sur les e-souvenirs d’un disparu, le personnifierait, répondrait à sa place aux questions que vous lui poseriez. Est-ce de la science-fiction ? Un avatar de Bart Simpson existe déjà …
Qu’on le veuille ou non, dit l’auteur, on se dirige vers tout cela. De nouveaux matériels et logiciels sont en train d’être créés. Un de ses collègues, équipé d’une caméra miniature accrochée à ses lunettes, photographie et filme tout ce qui lui plaît. On n’est pas loin d’une multitude de « Little Brothers » qui posteront toutes sortes d’enregistrements sur le net, suscitant ici et là des e-ragots. Les comportements et la législation devront s’adapter.
Enfin, le site www.totalrecallbook.com (en anglais) est destiné à vous informer en permanence sur l’évolution des technologies et à vous donner des conseils, notamment dans son blog.
En quoi tout ceci peut-il concerner le folk ?
D’une manière générale, on pourrait scanner toutes sortes de documents (vieux magazines, affiches, …) afin de les mettre à disposition. Nous avons eu récemment l’exemple d’un fan de Malicorne qui, habitant le Hainaut, est venu à Bruxelles consulter l’Escargot Folk. On peut raisonnablement supposer que les propriétaires de ce mensuel français des années 70 ne seraient pas opposés à la mise à disposition non commerciale de leur ancienne revue si elle était scannée.
Nous avons modestement commencé à scanner les anciens numéros du Canard Folk, en remplissant une table des matières globale dans un fichier Excel. C’est un travail de longue haleine : seuls une cinquantaine de numéros (soit quand même 860 pages) sont déjà traités.
Les agendas des concerts, bals, stages et autres activités sont un bon indicateur de la vitalité du folk et des modes qui le traversent. En garder une trace (pas uniquement ceux du Canard Folk) est une chose, mais idéalement on devrait pouvoir les enrichir avec des commentaires, des photos et des vidéos. On devrait le faire pour la Belgique francophone, la Flandre, la France, …
Concernant les cd, on pourrait scanner les pochettes et les livrets, et conserver les musiques sur ordinateur (mp3 ou autre format). Ceci à des fins privées, puisque les cd sont généralement des objets commerciaux. Pour les quelque 1.500 cd du Canard Folk, cela permettrait de gagner de la place et retrouver plus facilement les pochettes, par exemple pour préparer les émissions du Monde est un Village. Mais aussi de conserver les musiques … car un cd n’est pas physiquement éternel. On bute cependant ici sur un obstacle pratique car, s’il est simple d’extraire des mp3, il n’en va pas de même des livrets de si nombreux cd !
Et les vieux 33 tours, me direz-vous ? C’est vrai qu’en Wallonie il n’y en a qu’une poignée. Nous les avons déjà scannés (ils se trouvent dans « l’historique du folk »). Et nous avons sur ordinateur les musiques de certains d’entre eux : E Saquants Bèyaus, les Zûnants Plankèts, Verviers Central, le volume 4 de l’Anthologie du Folklore Wallon, Draailier en Doedelzakmuziek uit Europa (qui contient entre autres des airs wallons). Certains (Trivelin) ont été réédités sous forme de cd.
Les bouquins relatifs au folk, tels ceux de Jean-Marie Guilcher (puisqu’on l’a cité dans notre article en décembre dernier), pourraient être mis sur internet et reliés entre eux, en respectant les droits d’auteur.
Voyons encore plus grand : on rêve d’avoir accès à toutes les musiques traditionnelles du monde, avec leurs commentaires. De pouvoir les rechercher sur base d’un titre, d’une origine (région, musicien), d’un genre ou même d’un fragment de mélodie (quelle que soit sa tonalité). Pour ce faire, on se baserait bien sûr sur les expériences existantes telles que Dastum (www.dastum.net) et l’AEPEM en France (www.aepem.com), le Gramophone virtuel au Canada (www.collectionscanada.gc.ca ), la Bibliothèque (américaine) du Congrès, Cultural Equity (www.culturalequity.org, 17.000 enregistrements d’Alan Lomax à partir de 1946) ou encore Europeana (notamment les instruments de musique, www.europeana.eu).
Pour réaliser tout cela, il faudrait élaborer un plan d’action, avec des priorités. Chez nous, mais aussi internationalement, puisque la musique n’a pas de frontières. Il faut se fixer des objectifs ambitieux à long terme, et un itinéraire pour y parvenir avec l’aide essentiellement de bénévoles, car les subsides sont probablement illusoires. Qui est preneur ?
Marc Bauduin
(article paru dans le Canard Fol en mai 2012)