Joueuse de musique suédoise à l’accordéon diatonique, établie en Belgique, Elisabet nous a longtemps intrigués : par ce « h » qui semble manquer à la fin de son prénom, et par sa relative discrétion alors que la musique suédoise est à la mode. Son duo Varsågod jouit à présent d’une belle notoriété, tant en bal qu’en concert. Elle a répondu à nos questions par e-mail en ce mois d’avril.
Marc Bauduin
Elisabet, quelle est ta formation musicale de base ?
J’ai suivi dans l’enfance une formation de musique classique (parcours de solfège et piano à l’académie de musique). Puis, à trente ans passés, j’ai découvert l’accordéon diatonique avec Didier Laloy et Bruno Letron, ce qui m’a ouvert tout grand les portes de l’univers du folk et de la musique de tradition orale. De formation, je suis historienne, mais j’enseigne depuis longtemps le suédois à l’université de Mons.
La langue suédoise est-elle difficile ?
Oui et non. C’est une langue germanique, qui a des racines communes avec l’allemand et le néerlandais. Mais il faut tout de même prendre le temps d’apprendre ses particularités grammaticales, et de se familiariser avec sa prononciation, d’accepter que les voyelles longues soient vraiment longues, que les consonnes doublées soient vraiment doublées : nous disions en riant de notre mère qu’elle parlait français en « croches pointées ».
Dans quel pays es-tu allée, dans quelle école ?
Du fait de mon histoire familiale (une mère suédoise), je connaissais la Suède et sa langue bien avant de jouer ses musiques traditionnelles.
L’école où j’ai suivi, pendant plusieurs mois, une formation de musique traditionnelle est la Birka Folkhögskola, à 10 km d’Östersund, dans la province du Jämtland (nord-ouest de la Suède, à hauteur de Trondheim en Norvège). Si je suis arrivée là plutôt qu’ailleurs, c’est un peu par hasard : une musicienne rencontrée à Stockholm m’a entraînée un jour à la « semaine de Föllinge », un cours de musique et danse qui avait lieu tous les étés dans un petit village du Jämtland. J’y suis retournée souvent et c’est grâce à cela que j’ai appris à jouer pour la danse, à mon insu : c’était un cours de petite taille, où les musiciens se retrouvaient chaque soir à animer le parquet de danse. Au début, je m’asseyais sur le côté et je jouais le plus discrètement possible. A force, soir après soir, on finit par apprendre les standards.
Je me suis donc prise d’amitié pour les habitants et musiques de cette région, et lorsque j’ai eu la possibilité d’y passer plusieurs mois pour une formation plus longue, je n’ai pas hésité.
Cette formation de « musique traditionnelle » à la Birka Folkhögskola était à l’époque (2008-2009) une option (12 heures sur 20) du « programme général » (je crois qu’elle est devenue depuis un programme à part entière). Elle était ouverte à tous les instruments (contrairement à d’autres formations comme celle de Malung, destinée aux violons, ou celle de Tobo, destinée aux nyckelharpas). Elle en était à sa deuxième année d’existence, et accueillait donc largement. Il n’y avait pas non plus de prérequis en ce qui concerne la langue : Jenny Demaret, qui est devenue par la suite ma complice du duo Varsågod, y est arrivée sans parler un mot de suédois et a « appris sur le tas ». Outre les cours de musique traditionnelle sur l’instrument (où on apprenait des morceaux d’oreille, où on arrangeait des morceaux en groupe, où on écoutait des enregistrements de collectage), on avait des cours de chant, de rythme, parfois une séance de danse. Et comme la musique traditionnelle n’était qu’une option du programme général, il fallait choisir 8 heures d’autre chose (langue et littérature suédoise, céramique, projets personnels…). En musique traditionnelle, nos professeurs principaux étaient Kjell Erik Eriksson, Rickard Näslin et Jens Comén.
Il restait beaucoup de temps pour la pratique individuelle (on disposait d’une maisonnette où on pouvait jouer jusqu’au soir), les discussions et les promenades, à pied ou à skis.
Cette expérience a-t-elle modifié tes projets ?
Hmm… ce n’était pas mon premier séjour en Suède, et j’ai continué à suivre après cette formation de nombreux « petits cours » de musique traditionnelle, cours de plusieurs weekends ou cours d’été, non seulement dans le Jämtland, mais aussi dans l’Ångermanland, le Dalsland, le Värmland, le Dalarna. Disons que ce séjour a été une étape dans un long processus.
Mais c’est tout de même durant cette formation plus longue à la Birka Folkhögskola que j’ai rencontré Jenny Demaret, une Française avec qui j’ai créé le duo Varsågod : ce fut le début d’une amitié et d’une collaboration musicale durables.
Ces cursus délivrent-ils un diplôme?
Les cursus en folkhögskolor ne délivrent pas de diplômes de musique – pour obtenir un diplôme, il faut suivre des formations en Conservatoire supérieur. Depuis une quinzaine d’années existe également un « Nordic Master in folk music » (nofomaster.net/), une formation qui accueille tous les deux ans un nombre limité de jeunes musiciens de tous pays (Marieke Van Ransbeek en parle longuement dans le Canard Folk d’avril 2024).
Quels sont les instruments les plus courants dans la musique traditionnelle suédoise ?
L’instrument le plus répandu dans la tradition suédoise est le violon, même si le nyckelharpa est souvent présenté comme le symbole de la musique traditionnelle suédoise. Parmi les musiciens collectés, il y a eu aussi des clarinettistes (souvent, ils avaient reçu leur instrument à l’armée) et chanteurs-chanteuses.
Les flûtes ont été sorties de l’oubli par quelques enthousiastes, qui se sont souvent intéressés aux flûtes traditionnelles utilisant des gammes naturelles (la flûte harmonique, remise à l’honneur notamment par Jean-Pierre Yvert, la Härjedalenspipa, fabriquée dans le Jämtland par Gunnar Stenmark). La cornemuse traditionnelle suédoise (säckpipa) a également été « réinventée » par des musiciens curieux, tels Per Gudmundson, Alban Faust… C’est assez amusant de constater que des non-Suédois (Jean-Pierre Yvert, Alban Faust) ont contribué à remettre au goût du jour des instruments suédois oubliés !
Penses-tu qu’en Belgique actuellement, les musiciens qui jouent des polskas le font d’une manière proche des Suédois ou est-ce encore le règne des polskas à la belge (« tu comptes 1, 3 et ça y est ») ?
Les Belges jouent-ils actuellement les polskas d’une manière plus « suédoise » ? Je suppose que oui, mais je suppose surtout que c’est une question à réponse variable. Déjà, savoir qu’il n’existe pas « une » polska est un élément important. Pour le reste, il s’agit d’un long travail d’imprégnation, d’écoute, qui n’est jamais fini – dont l’orientation plus précise sera fonction de son intérêt personnel et des circonstances musicales. En ce qui me concerne, je joue souvent pour des stages de danses assez « pointus », où les différences de caractères des danses sont importants, ce qui me pousse à farfouiller dans les archives écrites et audio pour comprendre les spécificités des traditions locales. Mais on peut aussi donner (et se donner) beaucoup de plaisir en restant un peu plus « généraliste ».
Quelle est la place de la musique traditionnelle là-bas. La musique traditionnelle est-elle fort présente : soirées folk, concerts, bals folk, groupes de musique et danse, revues, collectage, et au niveau des médias classiques, … ?
La musique traditionnelle a été collectée plus tôt (dès la fin du 19e siècle) et de manière plus complète et systématique dans les pays nordiques qu’en Belgique : les archives de musique traditionnelle suédoise (musikverket.se/svensktvisarkiv/) sont bien fournies et accessibles à tous. Il existe aussi depuis longtemps la possibilité d’étudier cette musique en folkhögskola ou en conservatoire supérieur, et depuis longtemps aussi des groupes de musique se permettent un mélange des genres décomplexé (folk, rock et jazz ont toujours fait bon ménage dans les pays scandinaves).
Il faut également citer ces merveilleux festivals de musique et danse traditionnelles (spelmansstämmor) et ensembles de violons traditionnels (spelmanslag).
Mais en Suède comme dans le reste de l’Europe, depuis le début du 20e siècle, la musique traditionnelle est davantage un genre marginal, remis de temps en temps au goût du jour (comme lors de la « vague verte » des années 1970) mais sans l’ancrage populaire naturel qu’il avait dans les siècles précédents.
Une parenthèse sur les « folkhögskolor »
Les folkhögskolor (« hautes écoles populaires ») sont nées au 19e siècle en Scandinavie, avec pour objectif de créer une possibilité de formation pour les ouvriers, les paysans, les « petites gens ». Elles ont évolué depuis, pour devenir principalement un lieu de reconstruction de soi et de développement personnel : accessibles à tous à partir de 18 ans, elles proposent un « programme général » (où ceux qui n’ont pas terminé l’école secondaire peuvent rattraper leurs échecs) et des « programmes spécifiques » (musique traditionnelle, classique, jazz, artisanat, théâtre…), qui peuvent constituer une préparation à des formations ultérieures plus poussées ou constituer une finalité en soi.
L’idée est aussi de créer un milieu de vie collective : la plupart des élèves dorment sur place, dans des petites chambres « d’internat », réparties par maisons, avec une cuisine commune par étage, un grand salon à la cave, etc. En semaine, il y a une cantine qui propose deux ou trois repas par jour. Le weekend, on se débrouille dans les cuisines collectives.
Les élèves ont accès en permanence aux locaux tels que bibliothèque, salle informatique, etc.
Ces folkhögskolor constituent un magnifique exemple de démocratie inclusive. A l’époque où j’y ai été, je ne payais « que » le logement et les repas (à des prix raisonnables), toute la pédagogie était prise en charge par l’État suédois. Avec le virage à droite de l’Europe entière, je crains la disparition progressive de ce type de formation. J’espère me tromper.
Les formations proposées par les folkhögskolor évoluent, et cela vaut la peine de se renseigner sur ce qui existe aujourd’hui. Pour la musique, la plus connue et ancienne est celle de la folkhögskola de Malung, dans le Dalarna, mais d’autres formations intéressantes ont vu le jour depuis : outre celle de Birka, où j’ai été, il y a par exemple celle d’Härnösand ; pour la danse, récemment, il fallait plutôt aller à Tobo.
En ce qui concerne les prérequis musicaux : comme je l’ai dit, j’ai été acceptée à Birka sans examen préalable mais pour entrer à la formation d’Härnösand lors de sa création, j’aurais dû passer une audition. Quant aux pré-requis linguistiques, ils sont sans doute plus souvent exigés pour les formations de danse, où il est important de pouvoir communiquer son ressenti par les mots (en musique, on apprend beaucoup par imitation).
Quelques photos :
Toutes mes photos de l’année où j’étudiais à Birka ont été victimes d’un crash informatique, hélas. Mais voici quelques photos ultérieures, prises lors de voyages musicaux ultérieurs dans cette région.