Q : Alors, Cave Canem, c’est quoi comme groupe : c’est du folk ? Et c’est quoi le folk, pour vous ?
Kryztof : C’est entre autres un groupe folk, mais il y a beaucoup d’influences jazz, classiques, c’est vachement contemporain. Quand on reprend des musiques traditionnelles, ça s’éloigne de ce qu’on entend en folk, mais ça reste traditionnel. Par contre les compositions sont, selon le compositeur, soit de tendance traditionnelle, soit de musique contemporaine, soit jazz. Le folk a une image un peu figée, je préfère de la musique vivante.
Sébastien : moi, je vois plutôt le folk comme une musique vivante, plus libre que les musiques écrites que je joue par ailleurs. Le folk permet cette liberté, mais il y a beaucoup de conceptions différentes.
Benoît : le groupe de trois filles Voie3 que j’ai vu à la soirée jeunes groupes a comme intérêt principal de garder la mélodie, de respecter un cadre. J’ai débarqué là-dedans sans connaître la musique traditionnelle; moi, cela me semble logique de sortir du cadre.
Sébastien : ça dépend de l’objectif qu’on se fixe. Bal ou concert, ce n’est pas la même chose. En concert, bien sûr le thème ne suffit pas.
Kryztof : lors de la formation du groupe, l’objectif principal était le concert, et ça reste un objectif important. En ce mois de septembre, sur quatre ou cinq dates nous n’avons eu qu’un bal.
Pierre : ce sont deux approches totalement différentes. Nous avons seulement 20% de répertoire commun entre bal et concert. Pour nous, le concert est plutôt un tour d’Europe, avec par exemple de la musique asymétrique. En bal, c’est la danse qui prime, mais on joue à notre sauce. On reste dans un schéma de danse, mais on cherche aussi à surprendre les danseurs.
Kryztof : en concert, nos arrangements sont construits, même s’il reste une certaine liberté : deux concerts sont toujours différents. Tandis qu’en bal, on joue à l’arrache, on est dans l’instant, on est là pour les danseurs.
Benoît : le changement dans la bourrée, ce n’était pas prévu. Kryztof s’est retourné vers nous et a dit “poum-tchak !”. C’était une décision sur le moment. A d’autres moments il nous disait “à toi !” ou “tel morceau”. En bal, le côté imprévu prend le dessus, c’est plus important que les erreurs. Les durées ne sont pas fixées, on est obligé de se regarder et de décider ce qu’il faut faire lorsque, à la fin d’un morceau, on se rend compte qu’il faut continuer pour les danseurs.
Kryztof : on ne réfléchit plus pour savoir si un morceau est traditionnel ou pas, on choisit les musiques qu’on aime. On a un morceau de Sting en concert. Il n’y a pas de règle ! Mais je trouve qu’en folk, le fait que tous dansent de la même manière est un peu froid. Avec mon groupe précédent, les Trois P’tits qu’ont l’Son, nous avons joué à Borzée et certains folkeux de la première heure ont été choqués, ils nous ont dit que ce n’était pas du folk, qu’on ne pouvait pas jouer comme ça.
Benoît : ça me rappelle les Djangofollies, où j’ai été il y a un ou deux ans. Ca se passe en quatre jours, en commençant le jeudi par le jazz manouche des années 20 et en terminant le dimanche par des interprétations super modernes. Le dimanche, un vieux s’est levé et a dit : “c’est moche, ce que vous faites !”
Pierre : j’aime bien ce genre de réaction. Il faut que les gens réagissent. Et c’est normal que tous les styles évoluent.
Sébastien : il est intéressant d’avoir tous les points de vue, les traditionnels et les autres. Nous, du fait de notre diversité, nous ne serons jamais traditionnels. Kryztof amène l’aspect traditionnel car c’est son truc. Nous avons tous les quatre des personnalités fortes et méga différentes, donc il n’y a pas de hiérarchie, chacun apporte sa touche.
Q : Expliquez-nous donc chacun votre touche, votre expérience.
Benoît : j’ai commencé la guitare vers 14 ans, je faisais du punk-rock, du grunge, du Nirvana, très années 90, pendant 3 ou 4 ans. Puis j’ai découvert des groupes comme Radiohead, et le répertoire s’est élargi. Dès le début j’ai joué en groupe, ça permet d’évoluer plus facilement. Il y a 5 ou 6 ans j’ai commencé le jazz manouche, et il y a deux ans je suis entré au Jazz Studio. Je viens d’entrer au conservatoire jazz. Je fais de la guitare acoustique et électrique. Pour moi, le jazz est la musique la plus libre qui existe. Ce n’est pas un style, mais bien une approche : c’est de la musique improvisée. C’est pour cela qu’il y a des relents jazz dans Cave Canem, car c’est improvisé, et il y a bien sûr aussi quelques accords jazz.
Pierre : j’ai touché aux percussions en Guadeloupe à 12-13 ans sur un kaa, un énorme tonneau de rhum avec une peau. J’ai appris les rythmes. Puis un ami de ma soeur m’a donné une percussion en peau de serpent. J’ai beaucoup joué seul. J’ai fait deux stages de djembé et vers 16 ans je m’y suis vraiment mis, toujours principalement en autodidacte. Vers 17-18 ans j’ai commencé la batterie en jouant du grunge-metal dans le grenier d’un pote, j’ai appris comme ça. J’ai joué avec Kryztof à 20 ans, il m’a appris les rythmes asymétriques et m’a amené à jouer toutes sortes de percussions. Il y a deux ans, j’ai fait dix mois au Jazz Studio avec Chris Joris. Je suis influencé par l’électro, le jazz contemporain, le rock, le world, … Aujourd’hui, je suis professionnel.
Sébastien : j’ai une formation tout à fait classique. J’ai commencé vers 5- 6 ans, j’ai fait l’académie, puis le conservatoire à Lille puis à Bruxelles. A partir de 12 ans, on a formé quelques groupes de copains d’école, on composait, on arrangeait des chansons. L’improvisation est venue assez vite. J’ai suivi le cours à option d’improvisation libre au conservatoire. Tous les projets hors piste m’amusent : des spectacles de théâtre, de la musique pour enfants, … Je suis devenu professionnel. Je donne cours de violon, je joue dans un trio de musique classique, dans un groupe de chanson française (Yvan Tjolle), dans un groupe d’improvisation “Les Sons Des Cinés” pour accompagner des films muets, dans “Bach to Rock” (15 musiciens, la plupart classiques, qui jouent des reprises en rock, jazz, classique). J’ai fait un stage de violon arabe, et j’ai joué avec le Taraf de Haïdouks.
Kryztof : j’ai commencé le piano classique à l’académie. J’ai arrêté la musique vers 15 ans. Puis, avec beaucoup de malheur, j’ai fait du violon et du saxophone. Puis, il y a 11 ans (j’avais 21 ans), ma tante Brigitte Lambotte m’a donné un accordéon Hohner qui traînait chez elle. J’ai appris l’accordéon par moi-même, j’ai juste fait deux stages dont un avec Jean-Pierre Yvert. Je suis entré dans les Capiaux d’Sot vers 1997, et j’ai fait beaucoup de bals. Puis j’ai connu les Shrapnels, qui font du trash-folk-punk avec des instruments traditionnels et qui m’ont proposé de jouer avec eux il y a 7 ou 8 ans. J’ai donc commencé à faire des concerts. J’ai participé à d’autres projets en famille, les Zildulvins, … Tous les deux ou trois ans cela changeait, mais on faisait surtout des animations et des bals. Avec les Trois P’tits qu’ont l’Sont, Pierre (mon frère) et moi étions constamment à la recherche d’un troisième musicien. Puis j’ai rencontré Ben (qui jouait déjà avec Pierre) et Sébastien il y a un peu plus d’un an. Mon boulot, c’est prof de français. J’aurais trouvé déchirant d’arrêter l’enseignement pour la musique.
Q: Quels sont vos projets ?
Kryztof : enregistrer au moins une démo à mettre sur le net, qui soit un support pour une démarche de promotion. Créer un site web ou une page myspace pour se faire connaître. Composer plus.
Benoit : nous avons d’abord pris le temps de jouer ensemble, de nous connaître humainement. C’est important de commencer par ça. Prendre connaissance de l’accordéon, du violon, de la place des instruments, avant de se mettre à beaucoup composer.
Pierre : les morceaux portent chacun la griffe du compositeur, et quand on se met ensemble ça sonne Cave Canem.
Kryztof : c’est un groupe où chacun peut se reposer sur les autres. Nous sommes tous sur le même pied. Dans mes groupes précédents, j’étais celui qui tirait, c’était fatigant. C’est la première fois que je me sens aussi bien.
Sébastien : il n’y a pas conflits d’intérêts, pas de problèmes d’ego, nous sommes quatre musiciens très différents.
Interview : M.Bauduin
Cave Canem est formé de :
Pierrot Delor : percussions
Kryztof Meyer : accordéon diatonique (Castagnari Sol/Do 3 rangs, 12 basses)
Benoît Minon : guitare
Sébastien Taminiau : violon
Contact : Kryztof Meyer, 15/4 av. de la Porte de Hal, 1060 Bruxelles, tél 0487/308 678, e-mail hourrapourcerat@hotmail.com.
(Interview paru dans le Canard Folk de novembre 2007)