Ce 16 février 2000, nous avons rencontré pour vous Anne Niepold et Aline Pohl, qui forment le duo « Deux Accords Diront », deux accordéons diatoniques vraiment pas traditionnels. Deux jeunes qui en veulent et qui ont quelque chose à dire, tant musicalement que lors d’interviews. Anne a dix-sept ans et une vision un brin caricaturale du monde folk dans lequel son père l’a introduite. Aline a vingt-quatre ans et joue aussi de la contrebasse jazz. Vous pourrez écouter ce talentueux duo du 14 au 16 mars à la Samaritaine, à Bruxelles, où elles sortent leur premier cd.
Marc Bauduin
MB : On a la nette impression que vous voulez vous faire connaître : vous avez joué à la Dolce Vita, à la Tentation, vous jouez bientôt à la Samaritaine, on vous trouve sur Internet … Quel est votre but : jouez- vous uniquement pour le fun, ou pour en faire une profession, ou encore pour faire connaître l’accordéon diatonique ?
AN : Nous voulons montrer que l’accordéon diatonique est utilisable pour autre chose que les bals folk et les trucs très traditionnels. Nous voulons faire quelque chose de différent, plus jazzy, avec le but peut- être de devenir professionnelles.
AP : Nous voulons être le plus professionnel possible, nous plaire à nous-mêmes mais sans encore en vivre. Nous avons pris un manager (une manageuse, en fait), nous voulons nous faire respecter du point de vue financier. Nous avons une démarche professionnelle mais on n’en vit pas : on s’essaie à être pro. En même temps, on se permet de faire des fautes. Ce qu’il y a aussi, c’est qu’entre nous quelque chose se passe, et le public le remarque. On n’a pas envie de se dire traditionnelles : on ne se range pas.
AN : On veut faire partager quelque chose. On ne vas pas dans tous les festivals, en bottes dans la boue. L’idée est plus « concert ».
AP : On rajoute des tensions jazz, rythmiques et mélodiques. On va aussi un peu vers le world. On va un peu dans tout, mais moins dans le folk. De temps en temps on joue une valse, mais le but n’est pas de faire danser.
AN : Ca swingue ! Les scottisches sont trop rapides pour la danse, et elles contiennent plein de syncopes.
AP : De plus, Anne compose énormément, on se dirige vers un style personnel. On peut reconnaître de la musique de l’est, du jazz, une touche de Schönberg et de Bartok (c’est pour rire !). On emploie la structure des mélodies traditionnelles (2 A, 2 B), et on reconnaît parfois une valse ou une polka mais il y a souvent des mesures asymétriques, on s’éloigne du rythme de base.
MB : Comment avez-vous commencé la musique ?
AN : Mon père est dans le folk. Alors j’ai essayé la vielle à roue. J’ai aussi fait du piano, mais j’en ai eu marre des gammes. Toute petite j’allais dans les bals, et je trouvais chouette le fait de pouvoir emporter un instrument pour jouer.
AP : J’ai commencé jeune mais sans vraiment travailler l’instrument. Je voulais prendre un instrument pendant les vacances, et le « piano à bretelles » convient bien. A l’âge de sept ans j’ai suivi un stage avec Marc Perrone à Martué, accompagnée par Mirko. Mais j’y suis allée avec un accordéon chromatique à clavier, qu’on m’avait vendu comme étant un Sol/Do ! Je l’ai échangé contre un Hohner « à castagnettes », rose. Sinon, j’ai fait l’académie classique au piano, puis de la musique contemporaine, puis de la contrebasse jazz.
AN : J’ai trouvé mon premier diatonique chez les voisins : c’était un Ré/Fa. J’écoutais une valse sur un cd de Bruno Letron, mais c’était difficile de trouver les notes sur ce Ré/Fa : à se casser les doigts !
MB : Quelles sont vos références en accordéon ?
AN : Actuellement aucune. J’écoute Galliano et des accordéons chromatiques, mais je ne vise personne comme modèle. Je ne me centre pas sur le diatonique. J’écoute aussi du yiddish, du jazz, pour créer un truc personnel.
AP : Je n’écoute presque jamais de l’accordéon, sauf Galliano. J’écoute du jazz et de la musique classique contemporaine, je vire aussi vers la chanson française.
MB : Quelles autres facettes de l’accordéon diatonique auriez-vous envie de connaître ? On peut penser au cajun, au tex-mex, à l’irlandais, au scandinave, …
AN (avec une moue) : Non, je veux trouver mon style à moi. Pour le cajun par exemple, les gens ont souvent une mentalité « je fais mon truc traditionnel et rien d’autre ». Pas toujours, mais souvent. Je veux être plus jazz, plus personnelle.
AP : Je travaille au Musée Instrumental, et ça me donne des idées. Je rêve d’adapter l’instrument à ce que nous faisons. Par exemple, d’avoir un accordéon hybride : une main gauche chromatique, une main droite diatonique.
MB : Ben, ça existe : John Kirkpatrick en emploie un. Quels accordéons utilisez-vous ?
AN : Je viens d’acheter un Bertrand Gaillard trois rangs en Sol/Do, mais sans le do-mi-sol-do habituel en poussé : il y a un La poussé, et j’ai supprimé le Sol poussé sur la rangée intérieure. Sinon, j’emploie un Castagnari Sol/Do à 18 basses.
AP : Moi, un Castagnari Sol/Do à 12 basses.
MB : Vous êtes tentées par les systèmes midi, par l’électronique ?
AP : Ca m’a toujours branché d’essayer une fois une pédale wah-wah. Cela m’amuserait, mais je n’ai jamais essayé.
MB : Vos premiers groupes s’appelaient « Les Plantations » et « Watt » …
AP : Les Plantations, c’était le tout début. On était cinq : deux accordéons dont Anne, un guitariste débutant, moi qui faisais de la contrebasse depuis cinq mois. On faisait du folk youp-la-boum. On a donné un concert et quelques bals.
Watt, c’était déjà plus sérieux, mais avec quelle tournante de musiciens ! L’un se marie, un autre fait des études, un autre part à l’étranger… On s’est retrouvées un jour sous la pluie au parc de Woluwé, déprimées, et on a décidé de faire un duo. C’est plus facile pour les répétitions, on peut jouer avec ou sans sono, dans des petites salles ou dans des grandes : on s’adapte. C’est toujours mieux sans sono : une salle plus petite où les gens écoutent, convient mieux; on tient le public. Par contre on vient de jouer à la Tentation : c’était très chouette mais il y avait tellement de monde que je suis sûre que des gens n’ont pas entendu les nuances que nous faisions.
AN : On aimerait jouer dans une grande salle avec un public attentif, comme dans le film Buena Vista, c’est super !
MB : Vous donnez cours d’accordéon. Quelle méthode employez-vous, quel répertoire, avec des tablatures indiquant le doigté, avec le solfège ?
AN : Je ne suis pas contre les tablatures, mais je n’en fais pas. J’ai appris d’oreille. Je trouve que les gens qui emploient des tablatures y restent souvent accrochés. Les partitions, je peux éventuellement en donner. Pour les cours, la musique traditionnelle est super, car on peut facilement jouer une mélodie sans trop de technique. On commence donc par le traditionnel, puis on passe à des choses qui ressemblent plus à ce qu’on fait.
AP : Il y a deux week-end, nous avons donné notre premier stage. On s’est lancées ! C’était basé sur l’écoute, sur le travail d’accompagnement, l’harmonie jazz, beaucoup d’improvisations, la composition de deuxièmes voix. Pour enseigner l’improvisation il ne saurait pas y avoir de méthode : il faut donner confiance, donner le goût de chercher. Le public, c’était des accordéonistes bruxellois que nous connaissons bien.
AN : J’aime bien donner cours, car je vois que mes explications permettent d’améliorer les choses. Cela m’apporte à moi aussi : je dois réfléchir à ce que je fais et pourquoi je le fais.
AP : J’ai donné beaucoup de cours de piano pendant quatre ou cinq ans, et ça m’a essoufflée. L’accordéon n’est pas vraiment mon instrument principal, je crois que la contrebasse m’amènera plus loin.
MB : Qui construit les arrangements, comment cela se passe-t-il ? Y a-t-il une part d’improvisation sur scène ?
AP : Les arrangements sont faits d’avance et sont testés en public (on demande l’avis du public). C’est soit Anne soit nous deux qui les construisons. Ils ne sont pas notés, ils contiennent seulement une grille qui sert uniquement à me rassurer, c’est plus psychologique qu’autre chose. Quand on compose, on a souvent une idée de ce que cela va devenir; on essaie que l’arrangement en lui-même devienne une entité, ainsi on l’a en oreille en entier.
MB : Que faites-vous comme études ou comme métier ? Est-ce facile à combiner ?
AP : Je viens de terminer des études de psychologie, et je fais de l’art-thérapie à mi-temps au Musée Instrumental : je fais des visites pour des sourds, des aveugles, des handicapés mentaux. Quel dilemme : soit faire métier-boulot-dodo, soit faire de la musique (j’ai toujours eu envie de faire le conservatoire). Il y a aussi le fait que la vie de musiciens (on est rarement le soir à la maison) est difficilement combinable avec une vie de couple, une vie de famille. Je me torture quotidiennement à ce propos. J’apporterai sans doute la réponse dans mon cercueil !
AN : Je suis étudiante à l’école européenne, et je vais passer le bac dans 61 jours. Normalement, j’essaierai ensuite de me lancer professionnellement dans la musique.
MB : Vous suivez un peu la problématique du statut de l’artiste ? Qu’en pensez-vous ?
AN : Je suis pour. J’ai vu à ce propos une carte postale géniale en France, où il est question de supprimer le statut. J’y comprends rien, mais je crois que c’est bien.
AP : Je travaille mi-temps et je suis indépendante complémentaire, donc ça va pour l’instant. Mais nous n’avons pas envie de stresser chaque mois pour payer un loyer.
MB : Un projet de cd ?
AN : Un petit cd sans titre va sortir en mars à la Samaritaine. Il a été enregistré en Normandie par « Deux Accords Diront – Noctambules ». Noctambules, c’est nous deux plus un flûtiste et un bassiste normands qui viennent de milieux différents et qui ont la même démarche que nous. Le répertoire est un peu différent, il y a d’autres textures.
MB : Encore quelque chose à dire aux lecteurs?
AN : Venez nous voir du 14 au 18 mars à la Samaritaine, à Bruxelles !
AP : Ce qui nous caractérise, c’est qu’on est très vivantes, quelque chose se passe entre nous et avec le public. Il y a une pointe d’originalité. On prend des risques en improvisant. On ne se prend pas la tête : notre but, c’est vivre ce qu’on fait. Notre devise c’est: tant qu’on s’amuse, on continue !
Contact :
Anne Niepold, 33 av. Clays, 1030 Bruxelles, 02/242 13 96
Aline Pohl, 137 chée d’Uccle, 1650 Beersel, 02/245 10 36
(Article paru dan le Cnard Folk en mars 2000)