Luc Pilartz, violoniste et cornemuseux wallon réputé depuis longtemps pour sa virtuosité, son style et la qualité de ses arrangements, a fondé le Luc Pilartz Band centré sur les musiques wallonnes, après cinq années d’expérience Panta Rhei. On a découvert le nouveau groupe lors du dernier festival Musiques et Traditions à Lavoir-Héron. Interview autour d’un verre de Bordeaux.
Marc Bauduin
MB : Luc, les plus jeunes te connaissent surtout pour ta participation à Panta Rhei aux côtés de Steve Houben, mais cela fait bien longtemps que tu joues de la musique traditionnelle. As-tu commencé avec Magonette et Gena, du nom des deux brigands wallons ?
LP : J’ai d’abord joué avec Lu Gaw (avec Marc Malempré) pendant un an vers 77-78, puis avec Arbespine (avec Noël Warnier, Jean-Marie Winand et d’autres), puis en effet avec Magonette et Gena (avec Raymond Honnay). Ensuite j’ai joué des contredanses anglaises avec le guitariste Charlie Richter, et Raymond Honnay nous a rejoints pour former Verviers Central. Puis j’ai fait un peu de tout, j’ai joué des musiques improvisées avec le pianiste Jean-Christophe Renaud (notamment au festival de jazz du Mans), puis il y a eu Panta Rhei.
MB : Comment t’es-tu formé à la musique traditionnelle, tant au violon qu’à la cornemuse ?
LP : Ma formation au violon, je l’ai faite dans ma petite chambre, et j’ai commencé la cornemuse un peu aprés. Je m’intéressais au traditionnel, au baroque et au classique (ah, quel souvenir de Bach !). J’étais un autodidacte, mais j’ai aussi suivi des cours à l’académie de Verviers, avec un chouette prof, Nadine Koch. J’avais un violon à trois niille francs, dans une housse en plastique, et Nadine Koch a dit en me voyant, un peu découragée : ah, tu veux faire du violon ? Mais ça a bien marché, et j’ai acquis une base solide, efficace, avec ces exercices d’archet, ces sons filés …
En même temps j’écoutais dix fois de suite le premier disque du Bothy Band : je n’y comprenais rien, et c’était tellement rapide. Puis j’ai rencontré d’autres musiciens, et on se forge son style petit à petit … En tout cas, je n’aimais pas ces violoneux avec beaucoup de « degueulando » (c’était la mode à l’époque). J’étais (et je suis) ouvert à d’autres musiques, avec plein de sons dans la tête. Pour la cornemuse, j’ai rencontré Noël Warnier qui en jouait : c’était le bon moment, j’en ai acheté une, nous avons fait des duos de cornemuse, on s’est amusés tous les deux.
MB : Comment as-tu pris connaissance du répertoire wallon ? Et penses-tu qu’il existe un style traditionnel wallon ?
LP : A l’époque, des photocopies de manuscrits wallons comme le Jamin circulaient, et Marc Malempré faisait des recherches dans des bibliothèques et à gauche et à droite. C’est resté en moi, dans l’attente du moment propice qui est arrivé il n’y a pas longtemps. Concernant le style, j’ai bien entendu des enregistrements de gens comme Schmitz et Charneux mais il est assez difficile de se faire un avis sur base de cela. Il reste qu’on est quand même dans un pays de violoneux/nistes ! Existe-t-il un style wallon ? Peut-être … en tout cas il est à réinventer. Chaque violoneux avait sûrement son propre style dans son village : ce qui aurait été le plus intéressant, c’est de connaître ceux qui étaient les moins habiles, comme des fermiers ou des menuisiers avec des gros doigts. Mais tu sais qu’il y a 25 ou 30 ans, le style baroque n’existait pas : il a été réinventé. Donc il faut réinventer un style traditionnel wallon, mais en y mettant de l’imagination, en prenant des libertés (il ne faut pas faire une musique pour des musées) tout en restant dans un certain esprit historique. J’aime avoir une couleur un peu ancienne, un peu musique de chambre baroque, grâce au travail avec Charlie Richter. D’un autre côté, les accompagnements et les arrangements à deux voix de violon qu’on trouve dans le Jamin donnent quand même une idée. Et dans ce qu’on appelle le Fonds Comhaire, il y a des contredanses anglaises qui sont de véritables perles – c’est de l’époque où les contredanses étaient reines.
MB : Parlons de tes instruments, le violon et la cornemuse. Joues-tu encore de ce violon noir, avec un mégot de cigarette au bout ?
LP : Le mégot, je ne l’ai fait que quelquefois pour rigoler, ce n’est pas une habitude ! Le violon est mon instrument principal, j’en ai toujours joué sauf à l’époque de Noël Warnier. C’est avec lui que j’ai acheté ce violon noir un jour dans un café, où on buvait des Orval après une répétition. Le patron me connaissait, et il m’a demandé si ça m’intéressait de voir le violon de son grand-père. Je l’ai acheté pour deux mille francs, et ça fait plus ou moins vingt ans que je joue avec. Mais je me rends compte qu’il est un peu limité, et j’en cherche un autre, avec une sonorité plus riche. J’ai en vue un violon français de lutherie de la première moitié du 19ème, mais je dois le le faire estimer.
Quant à la cornemuse, c’est une Rémy Dubois, mais il a quasiment tout changé, sauf le boitier, depuis vingt ans ! Je travaille peu la cornemuse chez moi, mais quand je m’y mets c’est parfois pour quatre heures d’affilée.
MB : Quel sens donnes-tu à ta musique, qu’y trouves-tu, que ce soit en concert ou éventuellement pour faire danser les gens ?
LP : Plusieurs choses, mais surtout la subtilité (le phrasé, le rythme, tout cela désigne un tout) de ces musiques traditionnelles qu’on entend souvent jouer de manière … (silence). C’est d’autant plus vrai que c’est une musique qui pourrait passer pour simple, avec généralement deux motifs A et B.
D’où ce cd (NDLR : actuellement, c’est un cd de démo pour les organisateurs et la presse) dont le but est de dire aux gens : voilà la musique qu’on a en Wallonie, elle vaut la peine. D’où aussi la guitare de Charlie, pleine de subtilité, qui est encore plus nécessaire. Et il y a de plus un arrangement d’une marche à trois violons qui est plus “rentre-dedans”.
MB : Peux-tu résumer l’expérience de Panta Rhei : pourquoi cette expérience, et pourquoi avoir arrêté ?
LP : J’ai un jour rencontré Steve Houben, et il m’a proposé de faire quelque chose ensemble. On s’est vu souvent, et on a invité d’autres musiciens. Ce fut une expérience enrichissante tant au niveau musical qu’humain : le groupe a compté jusqu’à neuf personnes. Il y a eu des moments difficiles et des moments magnifiques, comme le concert avec Van Damme ou le. concert devant la reine. Nous avons fait de bons voyages en Afrique du nord, dans pas mal de festivals européens, dans des villages hongrois … Et à la fin, nous n’avions plus vraiment les mêmes idées sur le chemrin à faire, en tout cas Steve et moi, et un soir tout a éclaté. Mais ce furent cinq années folles et riches.
MB : Enfin, parlons de ton groupe actuel, le Luc Pilartz Band. Quelles différences par rapport à Pa nta Rhei, et qu’avez-vous comme projets ? Es-tu professionnel ?
LP : J j’ai tenu à associer mon nom à ce projet qui me tient beaucoup à cœur : la musique traditionnelle de Wallonie. Nous jouons nettement plus de wallon que Panta Rhei, mais nous ne jouons pas uniquement du wallon. Déjà dans Verviers Central, on faisait du roumain. On est au vingtième siècle. J’ai été en Irlande avec Kieran Fahy, en Norvège, en Hongrie, j’ai donc envie de jouer aussi d’autres choses. J’aime varier les plaisirs pour moi et pour le public : c’est excitant. Il y a d’ailleurs deux contredanses de Jamin et une danse grecque de la mer Noire qui se suivent très bien ? Finalement le programme est toujours pareil à ce que j’ai fait. J’ai envie de m’amuser sur scène, et que les gens le voient. J’ai envie de concerts variés, faits de découvertes? Je veux toucher un large public, les sensibiliser avec les oreilles (par des concerts) plutôt que les pieds (par la danse).
Alors oui, je suis professionnel, comrne quelques autres membres du groupe. Je veux vivre de ce nouveau projet. J’espère enregistrer un cd au printemps. Mais il faut d’abord se roder sur les planches, travailler les arrangements. Nous avons des concerts prévus en Belgique et aussi à l’étranger. Le groupe est encore jeune, donc tout n’est pas encore au point mais on travaille ferme !
Le Luc Pilartz Band a été créé en janvier 99 et est composé de :
Aurélie Dorzée : violon
Nicolas Hauzeur : violon
Didier Laloy : accordéon diatonique
Luc Pilartz : violon, cornemuse
Jacques Pirard : contrebasse
Charlie Richter : guitare
Contact : Luc Pilartz, rue de la Gaîté 101, 1070 Bruxelles, 02/527 34 96
(Article paru dans le Canard Folk de novembre 1999.)