Peter Van Rompaey a été interviewé par Gustave Bruyndonckx pour le Canard Folk le 2/11/06
GB : Bonjour, Peter. Cela va faire 5 ans que Muziekpublique a été créé. Pourrais-tu rappeler en quelques mots son origine et la mission qu’il s’est fixée ?
PVR : Nous avons effectivement démarré en 2002 sous la bannière « Muziekpublique ». Mais nous avions déjà tout un passé lié à la musique galicienne et à d’autres musiques traditionnelles. Lorsque nous avons franchi le pas, nous avions le sentiment qu’il existait à Bruxelles un besoin auquel nous avions envie de répondre sans trop nous laisser engloutir par des considérations commerciales. Ce que nous voulions, c’était promouvoir les musiques traditionnelles, les musiques du monde.
GB : Bien avant la création de Muziekpublique, vous vous étiez spécialisés à la Porte de Hal dans la musique celtique.
PVR : C’est vrai. Mais progressivement nous avons élargi nos horizons, car nous constations qu’il n’y avait pas de très grandes différences entre un musicien africain qui joue du violon et un Belge. Bien sûr, ils sont différents mais la démarche est très semblable : on part d’une tradition, il y a tout un passé qui s’y accroche, et puis, on met en œuvre sa créativité.
GB : Et votre projet consiste en quoi ? Faire entendre ce genre de musique ?
PVR : Oui, promouvoir, faire entendre ces musiques, mais aussi faire en sorte que cela ne se limite pas à l’écoute d’un concert par un public qui s’en va aussitôt après, sans qu’il y ait un prolongement. Il faut qu’il y ait plus qu’un concert.
Salle Molière (photo Saskia Vanderstichele)
Salle Molière (photo Saskia Vanderstichele)
GB : C’est plus difficile dans un théâtre que dans une grande salle où tout le monde est à même niveau, où on peut se parler, assister ou participer à une jam-session, …
PVR : Il y a aussi des jam-sessions au Molière. Jeudi et vendredi, il y a eu concert, après quoi les musiciens se sont payé une jam et des gens du public se sont joints à eux. Les spectateurs qui partent très vite, ne s’aperçoivent pas toujours de ce qui se passe après les concerts. Mais il est vrai que dans un théâtre c’est moins évident.. Il faut reconnaître que la formule présente des avantages et des désavantages.
GB : Il y a comme un fossé entre la scène et le public..
PVR : Par contre,nous proposons généralement aux musiciens de manger dans le hall d’accueil. Cela facilite les contacts. Nous proposons aussi souvent aux musiciens d’aller bavarder avec le public après les concerts.. Pour nous c’est important. Et c’est précisément pour cela que dans le nom de notre association il y a « Muziek » et « Publique »
GB : A propos de ce nom qui est la conjonction d’un mot néerlandais et d’un autre en français, on est frappé par le bilinguisme de l’accueil et des annonces. C’était déjà le cas à la rue de Laeken où c’étaient des Galiciens qui nous donnaient l’exemple. Il semble y avoir une volonté chez vous d’accueillir à fois un public francophone et néerlandophone.
PVR : Bien sûr.
GB : Y a-t-il parfois des freins ?
PVR : Je vais d’abord commencer par les motivations. On ne peut pas prétendre avoir une ouverture vers d’autres gens, vers d’autres cultures, si on ignore la culture la plus proche de soi, de ceux qui vivent à côté. Cela n’a pas de sens de dire qu’on aime la musique africaine, la musique indienne, mais qu’on ne veut pas entendre les Wallons ou les Flamands. C’est impossible !
GB : Il semblerait qu’il y a moins de racisme dans le monde folk ?
PVR : Je ne sais pas, mais je trouve qu’une telle attitude serait illogique. Selon nos principes de base, nous ne pourrions pas être seulement francophones ou seulement flamands.. Surtout à Bruxelles qui est un carrefour de cultures différentes. Je constate que les gens qui y vivent, ne veulent pas de ces discussions communautaires . Il veulent entendre de la bonne musique, ou y participer, ou même se toucher dans un bal. C’est important. Ils ont besoin de chaleur humaine et pas de discussions sur les langues qu’on parle. Nous voulons gérer un lieu accessible à tout le monde.
GB : Avez-vous une bonne connaissance de votre public ? Avez-vous déjà fait des sondages pour savoir combien de Bruxellois se retrouvent ici, ou des gens qui viennent de l’extérieur, des jeunes , des vieux, …
PVR : Nous n’avons jamais fait de vrai sondage. Ce qui est sûr, c’est que le public est très varié.
GB : Sa composition évolue-t-elle dans le temps. Y a-t-il moins ou plus de jeunes, par exemple ? Lors de votre récent concert de musique bulgare, la moyenne d’âge semblait plus élevée, mais j’ai entendu qu’il y avait un groupe assez important de gens qui avaient fait un stage de danse en Bulgarie.
PVR : Cela varie d’un concert à l’autre, et c’est normal que certains concerts attirent un public plus jeune et d’autres le contraire. Personnellement je n’écoute plus la musique dont je raffolais il y a 20 ans. Je constate qu’il y a plus de jeunes qui viennent quand quelque chose se passe dans le foyer, et davantage de gens plus mûrs lorsque l’aspect « concert » est privilégié.
GB : Combien de monde touchez-vous avec vos activités ?
PVR : L’an passé, nous avons eu 23.000 spectateurs. Ce chiffre comprend, bien sûr, les grands concerts à l’extérieur comme le Bal des Bals.
GB : Vous occupez effectivement des lieux différents : il y a le Molière, les concerts à domicile, la Maison du Peuple, le Flagey,.. S’agit-il d’un désir de surfer sur une variété de locaux ?
PVR : C’est très simple. Au début, nous étions dans la rue : nous n’avions plus de salle, plus de bureau, rien ! Nous travaillions sans ordinateur ; on faisait des réunions chez moi à la maison.
GB : C’était au moment où vous avez quitté la rue de Laeken ?
PVR : Oui. Alors il a fallu chercher des salles où on pouvait encore nous accueillir, malgré la programmation d’autres spectacles. On a fait les petits concerts au Centre des Riches-Claires, les plus grands dans d’autres salles comme Flagey. Les cours se donnaient et se donnent encore à St Joris. Il y a là beaucoup de classes ainsi qu’une salle. Maintenant nous sommes installés au Molière, à la galerie de la Porte de Namur. Et c’est ici que nous essayons de regrouper la plupart des concerts. Mais cela peut se faire de temps en temps et pour des raisons diverses en d’autres endroits. Pour la danse, c’est à la Maison du Peuple ou à St Joris ou nous travaillons de concert avec une association qui s’occupe de réfugiés. On va à Flagey lorsque nous avons besoin d’une salle plus grande. Lorsque c’est une très grande salle qu’il nous faut, nous allons aux Halles de Schaerbeek ..
GB : A entendre cela, je suppose que vous devez vous entendre avec les exploitants de salles et avec les pouvoirs publics. Il y a probablement les subsides nécessaires qu’il faut solliciter.
Cela fait beaucoup de rapports à introduire auprès des administrations. Cela se passe-t-il bien ?
PVR : Il faut chaque fois convaincre les pouvoirs subsidiants et les partenaires culturels. Il faut leur montrer que nous faisons un travail de qualité
GB : Qu’est-ce qui les intéresse principalement ?
PVR : Cela se passe relativement bien. En général, ils sont satisfaits.
GB : Y a-t-il de leur part un intérêt pour ce genre de musique ? Ou est-ce l’importance du public qui compte principalement ?
PVR : Il y a le fait que nous touchons un grand public. Nous constatons avec plaisir que des politiciens s’intéressent beaucoup plus à ce que nous faisons qu’il y a 5 ans. C’est très positif. et nous espérons que cela durera. Mais il est évident que les subsides qui nous sont alloués, ne sont pas comparables à ceux des grandes institutions. Mais nous ne nous plaignons pas trop, bien que ce ne soit pas facile tous les jours.
GB : Vous ne pouvez pas vous permettre le recrutement de tout un staff.
PVR : Non. Nous travaillons fort et nous sommes aidés par toute une équipe de bénévoles. C’est cela qui fait la force. La richesse de Muziekpublique, ce sont tous ces bénévoles.
GB : Est-ce suffisant ?
PVR : Ce n’est jamais assez. Mais l’avantage des bénévoles, c’est qu’ils peuvent t’apporter des choses que les professionnels ne peuvent pas. Du côté humain, il est très enrichissant de connaître des gens avec lesquels on travaille. Mais le désavantage des bénévoles, c’est que lorsqu’ils ont autre chose à faire, ils s’en vont. Et cela fait parfois problème. Pour illustrer ces avantages et ces inconvénients, je me rappelle que quand la SABENA a cessé ses activités, nous avons eu trois ex-sabéniens qui sont venus travailler comme bénévoles. Ils nous ont aidés, puis, ils ont trouvé un emploi mais reviennent de temps en temps.Je trouve cela intéressant car cela crée des liens entre différentes personnes qui ne se seraient pas connues autrement.
GB : Quand on considère la musique traditionnelle dans son ensemble, se porte-t-elle bien en Belgique ? Perçoit-on une évolution ? Je pense à l’intérêt du public, à la programmation sur les chaînes de radio, la formation de nouveaux groupes musicaux, la qualité de leur musique et à la créativité.
PVR : Je trouve qu’en général l’évolution est positive. Il y a une vingtaine d’année ou plus, il y avait beaucoup de jeunes amateurs de musique traditionnelle mais ce public était animé par seulement quelques locomotives comme Herman Dewit, Hubert Boone, Kadril,.. du côté flamand et par Rue du Village et d’autres que tu connais, du côté francophone. Depuis lors, un nombre de plus en plus grand de jeunes se sont mis à suivre des cours de musique. Une chose est à regretter, c’est que peu de ces musiciens s’intéressent aux musiques traditionnelles de Belgique. Mais en même temps, ils sont très créatifs et créent de nouvelles mélodies. Autre regret , c’est que peu de groupes musicaux s’intéressent au chant.
GB : Tu parles de groupes musicaux qui font de l’instrumental et du chant ?
PVR : Oui. Il y en a peu qui en font ou qui atteignent un haut niveau de qualité.
Un “bal du monde” de Muziekpublique
Un troisième regret, c’est qu’actuellement il y a beaucoup d’intérêt exclusif pour les bals. Si un groupe qui vient de jouer pour un bal, donne un concert avec les mêmes musiciens, son public sera 5 fois moins important. Certains groupes qui ne jouaient jamais pour des bals, sont obligés de se reconvertir.C’est surtout sensible du côté flamand. Certains jeunes groupes jouant en concert, ne parviennent plus à se faire engager. C’est peut-être une vogue et les choses évolueront probablement. Surtout si la musique est de qualité. En Flandre le boombal est très populaire : certains centres culturels ne programment plus de concerts folk parce que le public s’oriente vers le boombal. J’ai l’impression qu’après un temps, les gens qui auront entendu les instruments traditionnels lors des bals, seront tentés d’écouter des concerts.
GB : N’y aurait-il pas plus de créations aujourd’hui que dans le passé ?
PVR : Je crois. Il me semble que le folk a fait des progrès. Il fut une période où on ne le prenait pas trop au sérieux. Il avait son circuit alternatif mais depuis pas mal d’années on programme du folk dans les centres culturels, sur des scènes très sérieuses qu’on n’aurait pas pu imaginer occuper.On a quitté le style « baba-cool ». Ce qui, par contre, est dommage , (mais ce n’est peut-être qu’une impression) c’est la disparitions de petits clubs où on pouvait entendre régulièrement de la musique de qualité.
GB : C’est vrai qu’à Bruxelles le Preservation Hall et le White Horse ont cessé leur activité depuis quelques années. Leur scène était ouverte à tous. Pour parler de l’avenir, je suppose que vous avez des projets, des souhaits et peut-être des rêves.
PVR : En 2007 nous fêterons nos 5 ans d’existence. Il est certain que nous ferons quelque chose en rapport avec le chant. Le projet est en discussion : je ne puis pas encore en dire grand-chose. Pour le reste (je vais le dire avec des exemples) c’est que les Turcs viennent écouter de la musique traditionnelle de Belgique, que les Belges fassent quelque chose avec des Marocains ou des Sénégalais pour concrétiser une réelle ouverture. J’espère voir un jour des Congolais danser la bourrée. Nous serons heureux quand nous pourrons voir cela.
Concert Uxia – Berrogüetto Peter & Marisol (photo © Milena Strange)
Concert Uxia – Berrogüetto Peter & Marisol (photo © Milena Strange)
GB : La question finale : quel message voudrais-tu faire passer aux lecteurs du Canard Folk ?
PVR : Un message que je voudrais adresser non seulement aux lecteurs mais à tout le monde :
« Continuez à faire votre musique sans trahir ce que vous êtes, mais avec une exigence de qualité dans tous les domaines : réalisation de beaux cd, contacts avec les médias, réalisation de vidéo-clips, belles mises en page de revues, d’affiches … en utilisant les moyens qu’utilisent la musique pop, le jazz , et sortez le folk de l’image « brouillon » ou baba-cool qu’il porte encore dans l’esprit de certains. Mais tout cela en sauvegardant ce qui est unique au folk : la familiarité, la proximité et la participation. Le folk doit rester populaire.
Enfin je dirais qu’il existe en Belgique beaucoup de bons groupes qui pourraient se produire à l’étranger et qui ont le tort de ne pas le faire.
GB : Merci, non seulement pour cette interview mais surtout pour le bon travail qui est réalisé par toute l’équipe de MuziekPublique.
asbl Muziekpublique, Molière, Galerie Porte de Namur, 3 Square du Bastion, 1050 Bruxelles. Tél 02 217 26 00 ; fax 02 217 26 00; e-mail info@muziekpublique.be, site web www.muziekpublique.be (avec le calendrier des concerts, les cours, et une radio sur le web)
(Interview paru dans le Canard Folk en mars 2007)