Il a passé entre 500 et 1.000 heures, dans le train et en soirée, pour encoder en format abc des manuscrits de musique wallons sur le site web www.troubadourwallon.be. Nous l’avons interviewé par e-mail le 27/12/17.
Marc Bauduin
R : Après un petit concert dédié au violoneux jambois Gaspard Wandembrile, un musicien m’a transmis une photocopie du manuscrit et j’ai voulu rejouer ces morceaux. Les copies n’étaient pas toujours très lisibles et c’était assez difficile de les jouer à vue. J’ai pensé à les recopier au propre. Et pourquoi pas tout le manuscrit ?
Q : Qu’est-ce que la notation abc apporte ?
R : La question du logiciel à choisir se posait mais le choix de la notation ABC m’a semblé évident. C’était une solution gratuite, bien adaptée à la musique trad, très répandue, utilisable (et modifiable!) par d’autres, pas trop difficile à employer et donnant un excellent résultat graphique.
La notation ABC n’est pas bien connue des folkeux francophones alors qu’elle est quasiment incontournable en musique trad anglo-saxonne, irlandaise, suédoise, …
C’est une façon de noter la musique avec des lettres pour la hauteur (A=la, B=si, …) et des chiffres pour la durée (G=sol croche, G2=sol noire, G/2=sol double croche, …). Des symboles supplémentaires sont utilisés pour indiquer les silences, les barres de mesure, les liaisons, les reprises, … Ceci permet déjà de faire beaucoup pour noter de la musique trad, mais la Notation ABC dispose de tous les outils pour de faire des partitions très élaborées avec plusieurs voix, en plusieurs clés, des paroles, des indications (da capo, al segno, tempo, nuances, …), des ornementations, des accents, …
Le principe est donc de rédiger un fichier « texte » où l’on traduit la partition en lettres, chiffres et symboles. On a alors la « description » de la partition qu’il faut faire interpréter par un programme qui génèrera la partition proprement dite.
Internet propose plusieurs outils gratuits qui font cette conversion, mais pour convertir immédiatement quelques petits fichiers ABC, je préfère utiliser un convertisseur en ligne. Il suffit de copier/coller le texte du fichier sur le champ libre de la page web et l’outil en ligne fournit directement une partition.
En outre, il existe aussi des outils qui convertissent la Notation ABC en un fichier son (format MIDI). On peut alors écouter l’air. Mais comme toute partition sur ordinateur, le son reste électronique et ne donnera qu’une idée de l’oeuvre.
Ceci semble lourd mais ça se maîtrise assez vite. Convertir un ABC en partition PDF ou en fichier son MIDI est immédiat avec un outil en ligne. Avec un outil installé, il faut, disons, deux heures pour choisir, installer et prendre en main l’outil choisi. J’utilise couramment ABCExplorer qui est gratuit.
Apprendre la Notation ABC pour rédiger soi-même des partitions est rapide. On maîtrise les bases en 2 heures d’étude et on acquiert les finesses au fil du temps en cherchant dans les guides de référence en ligne. Mais ces finesses, c’est (bien) moins de 5 % des partitions trad…
Voici un exemple de fichier en notation ABC
X:1
T :Frère Jacques (en do)
K:Cmaj
M:4/4
L:1/4
cdec | cdec |
efg2 | efg2 |
g/2>a/2 g/2>f/2 ec | g/2>a/2 g/2>f/2 ec |
c Gc2 |c G c2:|]
« X : » suivi de « 1 » : c’est le numéro du morceau. Ce champ est obligatoire
« T :» : Titre du morceau
« K:Cmaj » : Tonalité (ou armure à la clé) : ici, c’est do majeur
« L:1/4 » Durée de référence des notes : J’ai choisi la noire (1/4 de ronde) comme référence. Chaque fois que j’écrirai une note sans indiquer de chiffre de durée, elle vaudra une noire. Si par contre j’écris g2, c’est un sol-blanche.
Ensuite vient la partition :
do ré mi do | do ré mi do | (chaque barre de mesure est indiquée)
A la ligne suivante apparaît un sol-blanche (g2)
A la ligne qui suit, on commence par sol-la en croche pointée/double croche, ce qui s’écrit g/2 > a/2
A la dernière ligne intervient un sol grave, qui est noté par un G majuscule.
On termine par deux points et une double barre de mesure pour noter la répétition.
Q : D’autres intérêts de la Notation ABC ?
R : Bien des sites emploient cette notation et un fichier ABC publié sur le net se voit très vite copié et repris par d’autres sites. En choisissant ce codage, je n’imaginais pas retrouver si vite des manuscrits wallons sur un site anglais très connu quelques mois plus tard. La pérennisation des airs wallons était assurée !
En outre, l’ABC a l’avantage d’être facilement modifiable. On peut transposer, arranger, modifier la présentation, scinder les voix, associer à d’autres partitions, et se composer son petit recueil de partitions personnelles.
Il existe des sites qui fournissent des tablatures sur base d’un fichier ABC (mandoline, tin whistle, …) Le site d’Erwan Tanguy fournit aussi des tablatures pour diato mais son utilitaire n’est plus maintenu et il ne fonctionne qu’avec des fichiers ABC très simplifiés.
Q : Quid des manuscrits ?
R : La transcription du Wandembrile était une expérience intéressante. Quand j’en ai obtenu une photocopie, on m’a immédiatement précisé que le manuscrit original avait été conservé à Namur mais qu’il était perdu. Je pense qu’aucun folkeux n’avait plus jamais cherché à le retrouver. J’ai fait le tour des dépôts d’archives à Namur et j’ai fini par le trouver pendant l’été 2015 dans le coffre-fort du nouveau bâtiment des Archives de l’État à Namur.
J’ai photographié le petit calepin en cuir, dont une bonne partie des pages avait été arrachées autrefois et j’ai comparé aux photocopies dont je disposais. Les photocopies étaient complètes mais parfois en double, dans le désordre ou peu lisible. J’avais tout pour réaliser une transcription correcte, mais il ne m’était pas permis de diffuser les photographies, pour lesquelles un droit exorbitant par cliché aurait alors été imposé par les Archives.
Après quelques semaines de travail dans le train quotidien, le Wandembrile était encodé et relu de multiples fois. Je ne me suis pas arrêté en chemin et j’ai poursuivi avec le Houssa (copie du fac-similé de Rose Thisse-Derouette fourni par un musicien), puis par le volumineux Jamin (photographies des partitions « nettoyées » par W. Lenders de toutes ses taches).
J’ai publié ces transcriptions sur une « dropbox » publique, en ABC et en PDF, dans l’attente de construire un site web dédié, ce qui intervint fin 2016.
Un jour, Marinette Bonnert me parle de ces transcriptions et, très intéressée, me suggère de me mettre en contact avec Albert Rochus, que je ne connaissais pas. « Vous avez sûrement des choses à vous dire », insistait-elle.
Peu de temps après, Albert Rochus me présentait ses fardes de copies de manuscrits musicaux, fruits d’années de recherche. De sa voix rocailleuse, il me raconta sa déception face aux diverses autorités peu intéressées de conserver et diffuser ces documents, dont certains orginaux étaient, selon lui, à nouveau perdus. On retrouve cette amertume dans ses textes publiés sur le site du Canard Folk, dans la rubrique manuscrits wallons. Il se réjouissait visiblement de rencontrer « quelqu’un de la jeune génération qui reprenait le flambeau ». Je n’avais pas la prétention d’être conservateur de ce patrimoine, mais c’est clair que ces transcriptions y contribuaient.
Je suis rentré perplexe de la dernière entrevue que nous avons eue où Albert me confia, serein, qu’il était malade. Il préparait visiblement sa postérité. Il m’a transmis encore bien des documents qui me laissent des années de travail.
Q : Comment essayer de les diffuser sans que cela reste des partitions pour initiés ?
R : Dans toute librairie musicale, on trouve sans peine des centaines de partitions traditionnelles irlandaises. Sur internet, on en trouve encore plus, et sans débourser un kopeck. En cherchant un peu, on trouve aussi des partitions traditionnelles de France, des pays slaves, des Balkans, d’Amérique du Nord, du Québec, …
Mais pour trouver des airs populaires anciens joués en Wallonie, il faut beaucoup de patience et on ne les trouve qu’au compte-goutte. Il fallait y remédier et diffuser gratuitement ces partitions désormais bien lisibles.
A côté du format ABC, il me semblait judicieux de fournir également une version en PDF de chaque manuscrit, qui soit directement imprimable, clairement lisible et directement jouable par le musicien lambda.
Grâce aux outils de gestion de Google, je découvre avec surprise que des musiciens ou des musicologues étrangers téléchargent les partitions et m’écrivent pour poser des questions sur certains airs précis qu’ils recoupent avec des airs de leurs pays dont ils analysent plusieurs versions.
Un Berlinois avait trouvé 6 versions différentes du Menuet de la Chaîne en Allemagne, en Belgique et au Danemark et s’intéressait à la version de Wandembrile. J’étais heureux de lui lui présenter également la version du manuscrit Comhaire.
Bien qu’ils soient discrets, les musiciens trad « ordinaires » s’intéressent également à mon site car quand j’ai l’occasion de parler du troubadour wallon en public, il est toujours quelqu’un pour me dire « Ah, c’est vous ?! ».
Pour le reste, il faut laisser faire le temps et la mode. Il faut que les airs plaisent pour qu’ils soient joués et ce n’est pas inné.
Q : Connais-tu des initiatives semblables dans d’autres régions ou pays ?
R : J’ai pu découvrir plusieurs sites web où des manuscrits (ou des anciens recueils de partitions) ont été encodés en ABC et publiés. Je cite plus bas un site anglais très documenté reprenant plusieurs milliers de titres, un site allemand et un site flamand.
Au hasard du net, on trouve encore des scans épars de manuscrits français, italiens, …
Q : Combien de morceaux sont transcrits (éventuellement classés par rythme, par tonalité, par genre de danse …) ?
R : Je n’ai pas fait d’inventaire général des morceaux transcrits. Au total, j’ai encodé un millier de mélodies anciennes.
Les documents récents (milieu XIXè et après) sont riches en valses.
Les morceaux plus anciens (fin XVIIIè, début XIXè) sont surtout des contredanses et des menuets, parfois des valses. Ces pièces sont généralement écrites pour violon, parfois à deux voix, parfois avec une basse en clé de fa.
Pour les diatonistes actuels, il faudra donc généralement transposer les morceaux dans des tonalités qui leur conviennent. Les danseurs chevronnés pourront, dans certains cas, s’intéresser aux chorégraphies originales indiquées dans ces documents. Je leur souhaite bien du courage car les descriptions des pas changent à chaque danse et comprennent de nombreuses figures complexes.
Je tente d’introduire chaque recueil par une table des matières et des constatations ou des recoupements que j’ai pu faire avec d’autres manuscrits déjà publiés. C’est intéressant de constater que beaucoup de ces airs font partie d’un corpus européen commun – on dirait aujourd’hui le box-office – et se retrouvent, parfois sous des noms différents dans différents pays. J’ai cité le Menuet de la Chaîne mais beaucoup d’autres airs repris dans les carnets de nos violoneux viennent d’Outre-Manche. Sans attendre les Beatles, nos ancêtres étaient clairement déjà avides de musique anglaise et l’on devine le succès qu’avaient les carnets de Contredances Angloisses que publièrent B. Andrez et J. Joiris à Liège sous l’occupation autrichienne.
Q : Toi-même, comment as-tu connu le folk ?
R : Mon épouse et moi nous sommes lancés dans la musique sur le tard. C’est en cherchant des ateliers musicaux sur internet que nous avons découvert les réunions de folkeux à Namur et la musique de danse folk en général. Depuis, nous sommes avides de musique et participons à beaucoup d’ateliers, de stages et de festivals. Nous scannons chaque mois les petites annonces du Canard Folk, au cas où une activité nous aurait échappé. Nous sommes ouverts au trad mais aussi aux compositions récentes mixant différentes traditions.
Q : Qu’est-ce que les traditions wallonnes représentent pour toi ?
R : Heu … pas grand-chose….
C’est paradoxal, mais j’encode pour pérenniser un patrimoine et le rendre accessible, mais je ne joue pour ainsi dire jamais de musique « wallonne ». Je préfère d’autres traditions musicales.
Q : Un dernier commentaire ?
R : J’accueillerai avec grand plaisir tous les commentaires et les remarques (fautes d’encodage, …), et peut-être toutes les partitions qui pourraient dormir dans une vieille caisse au fond du garage du grand-père, que je scannerai et rendrai ensuite.
Je n’ose pas demander de volontaires pour une relecture indépendante … c’est un travail de bénedictin très ingrat.
J’aimerais faire un site un peu plus beau, au look plus moderne, mais c’est encore du boulot… Je verrai quand je serai pensionné.
L’idéal serait de diffuser aussi les manuscrits scannés, mais outre le problème de mémoire sur le site web, je crains des problèmes de droits d’auteur. Je ne sais pas ce qu’il en est.
Quelques sites à stocker dans vos favoris :
www.anamnese.online.fr/site2/pageguide_abc.php | Un guide en français de la notation ABC |
www.mandolintab.net/abcconverter.php | Un convertisseur en ligne ABC vers PDF ou MIDI |
www.abcnotation.com | Des milliers de partitions de tous pays |
www.biteyourownelbow.com/webtunes.htm | Liste de liens vers des sites de musique trad de tous pays (ABC, PDF, …) |
www.partitions.bzh/ | Quelques partitions celtiques |
www.spillefolk.dk/nodesamling/listnode.php# | 3 bons sites scandinaves (ABC, PDF) ! |
trillian.mit.edu/~jc/music/book/ | Des anciens recueils de partitions d’Outre-Manche encodés (ABC, PDF) |
lusthof-der-muziek.blogspot.be/ | Partitions anciennes de Belgique et des Pays-Bas (ABC, PDF, …) |
balfolk-koeln. de | Sites allemands avec plein de liens intéressants, dont des manuscrits (ABC, PDF, …) |
Ci-dessous : l’introduction au manuscrit Wandembrile.
Contact : troubadourwallon@gmail.com.