Petit-fils d’Eric Limet qui lui a transmis son virus de la danse, Robin vient pour l’interview une tarte sous le bras. Très sympa, à l’image de quelqu’un qui aime communiquer par différents canaux, verbaux et autres.

Âgé de 26 ans, il est le fils d’Aude Limet et de Michel Seifert. Sa mèrejoue de l’accordéon diatonique; son père est pianiste classique, et guitariste autodidacte.

Robin a repris à sa charge les barnas mensuelles. Dix-huit mois après le décès d’Eric, nous avons voulu mieux le connaître.

Marc Bauduin

15/9/13

 

Q : Raconte-nous donc tes débuts musicaux …

R : J’ai été le dernier de la famille à commencer la musique, juste avant mes 16 ans. Cette année-là, j’ai pris une flûte à bec qui traînait chez nous et je l’ai emportée à Mains-Unies. Quelqu’un m’a montré la gamme de do. Après, j’ai continué seul. Nous allions chaque année en famille aux Vilarets : en Ardèche, en Italie, dans le Limousin, …Mais pendant l’année, j’étais peu pris dans le monde folk, si ce n’est que ma mère jouait de l’accordéon et ma sœur du violon (dont quelque sairs traditionnels). J’aimais l’ambiance folk, sans plus. En fait j’aimais surtout l’escrime, que j’ai commencé à 14 ans : c’est très chouette,excepté l’esprit de compétition. J’ai enseigné l’escrime, d’abord aux tout petits, puis aux adultes.

Q : Tu as donc commencé par la danse, et tu n’as pas vraiment suivi de cours de flûte ?

R : J’ai d’abord dansé aux Vilarets, comme tout le monde là-bas. Plus tard, j’ai réalisé que c’était un moyen de se rencontrer, de rassembler les gens par des danses de groupe. Étant ado je ne parlais pas de folk à l’école bien sûr, mais je trouvais l’ambiance des Vilarets très naturelle, c’est un monde où il y a de la place pour chacun. Et je dansais de temps à autre une barna, avant d’y jouer. Concernant la flûte à bec – un instrument méconnu auquel on a fait du tort en l’imposant dans les écoles, je n’ai jamais suivi de cours. La technique est venue petit à petit, en écoutant d’autres musiciens, en jouant d’oreille. Parmi mes modèles figure mon oncle Olivier Limet, très bon flûtiste. L’avantage, c’est que dans mon environnement j’avais des dizaines de musiques dans la tête !

Je ne me suis mis au solfège que très récemment, en autodidacte. Je travaillais beaucoup la flûte avec un guitariste, je cherchais des accords (pas évident sur un instrument mélodique) … j’entendais ce que je voulais, mais j’avais du mal à l’expliquer. Je me suis donc mis au solfège, d’abord pour écrire des partitions et les donner à d’autres. Je ne suis pas très bon lecteur, mais c’est utile pour choisir des partitions.

Q : Tu joues aussi de l’accordéon ?

R : Oui, j’ai commencé vers 20 ans. J’ai entendu un vieux disque « Jump at the Sun » de John Kirkpatrick, qui a été le coup de foudre. J’ai commencé seul pendant un ou deux mois sur le Hohner ré-sol, rustique mais solide, de ma mère. Puis un été je suis allé à St Chartier, j’y ai cherché un ré-sol. Un des luthiers en avait un d’occasion, un Castagnari Rik ancien modèle (3 rangs, 12 basses, sans registre), mais une octave plus grave que les ré-sol anglais. J’en joue donc surtout sur la partie aigüe du clavier, beaucoup de musiques anglaises pour la danse.

Un jour, je me suis demandé quel répertoire existait en Belgique. Sur conseil d’Olivier, j’ai été aux ateliers de Louis Spagna à Jodoigne. Ce qui m’a beaucoup plu et en même temps intrigué, c’est qu’il jouait en croisant, mais avec du punch. Il a un jeu exceptionnel pour la danse. C’est un excellent pédagogue, qui a une vision de la musique à danser dans laquelle je me reconnaissais complètement. Et puis, il soulignait les influences diverses dans le répertoire belge(dont les emprunts au répertoire anglais). C’est devenu important pour moi de voir les liens entre différentes traditions,de voir comment des répertoires voyagent et sont adaptés. Depuis que j’ai commencé la musique folk, trouver les noms des musiques est d’ailleurs une de mes passions, une de mes quêtes perpétuelles.

J’oubliais de mentionner l’influence du multi-instrumentiste (accordéons, concertinas, harpes, cornemuses, …) Richard York, de Northampton, qui venait jouer aux Vilarets avec sa famille. Il a un sens pour trouver de belles mélodies d’Angleterre et d’ailleurs. Je l’ai énormément écouté jouer, je lui ai posé beaucoup de questions. Et je reste en contact avec lui.

Q : Comment es-tu venu à l’animation de danses ?

R : En 2005, j’ai découvert le grand bal de l’Europe à Gennetines. Eric y animait des ateliers et m’avait proposé de l’accompagner. J’y ai découvert un monde comparable à l’ambiance des Vilarets, mais avec 4.000 personnes ! Je n’avais presque jamais vécu le concept de danses de couples fermées (sauf la scottische), j’ai donc dansé énormément et très peu dormi. La semaine d’après, à 17 ans, j’ai animé une semaine de danses aux Vilarets avec Laurent Jamar, c’était ma première vraie expérience d’animation danses.

Ensuite de temps à autre j’ai animé et joué à la barna, avec le guitariste Diego Leyder, un ami de l’école secondaire. Ilfaut un solide répertoire pour cela ! Eric était très exigeant, assez dur parfois. Mais c’était formateur. Le plus souvent c’était Eric, Aude ou Olivier qui animaient les barnas. Eric me proposait d’animer quelques danses, et je me sentais plutôtà l’aise, car je vivais cela depuis longtemps. Ainsi, plusieurs années de suite j’ai animé des danses et joué de la musique à la flûte.

Puis, quelques groupes ont commencé à me demander d’animer pour eux : Laurent Jamar, Galaad, Jean-Pierre Schotte,Eric pour des stages. J’ai aussi donné des stages à Borzée. Il est arrivé qu’Eric y donne un stage « comment devenir animateur » pendant que je donnais un stage de contredanses, avec des croisements entre nos ateliers.

Q : Tu joues dans des groupes ?

R : Quand j’ai commencé l’accordéon, j’ai fait plusieurs essais de groupes en jouant pour des mariages et des fêtes en duo, en trio ou en quatuor. Je cherchais depuis assez longtemps un ou une violoniste avec qui jouer, quand j’ai rencontré Arsène Michiels avec qui nous avons formé le duo « Pas d’accords ! ». C’était vraiment intéressant pour moi : je devais réfléchir encore plus au jeu du violon pour la danse (les doubles cordes, les phrasés, les coups d’archet, …) car Arsène avait une formation classique et n’avait presque jamais joué de folk. Nous avons joué pour des bals et des ateliers, y compris à Gennetines ces deux dernières années. Le nom du groupe date de début 2012 : nous cherchions un nom, et Arsène a demandé à son cousin de 2 ans de l’aider. Il lui a répondu : « pas d’accord ! ».

Récemment, je me suis mis à jouer avec le violoniste Guillaume Janssens (de J’en Rafolk et Waar is Boris) sans vraiment de nom, si ce n’est le duo Seifert – Janssens. J’ai un autre duo avec Darius Lecharlier, qui joue de la mandoline et du bouzouki. Et je joue aussi avec mon oncle Olivier dans Animuse.

Mon répertoire le plus complet, c’est avec Pas d’Accords : nous avons beaucoup travaillé pour les barnas des airs anglais,danois, américains, des branles, quelques airs serbes, roumains et israéliens. Nous avons aussi mis au point un répertoire international de bal folk, avec plus de danses de couples. Ainsi que des contredanses publiées en Belgique. Plus récemment, grâce à Louis Spagna, je commence à intégrer un répertoire de danses de couples fin 19 – début 20 (les collectages d’Hubert Boone, le village de Bourgeois, …) avec des thèmes qui modulent et plus de chromatismes. Il y a là de jolies choses, des airs drôles également. Je ne voudrais pas faire que cela, mais c’est intéressant de voir des,mazurkas complexes, par exemple. Dans un premier temps, c’est la mélodie qui m’intéresse, pour ensuite déceler les harmonies, plutôt qu’une suite d’impros sur une grille d’accords jazz.

Ceci dit, je suis agréablement étonné de recevoir souvent des réponses positives des danseurs, y compris des jeunes,lorsque nous amenons d’autres danses que les habituelles danses de bal folk. Les gens sont assez ouverts, curieux et enthousiastes, et je limite les explications à une minute et demie, maximum deux minutes.

Q : Quels sont tes modèles en accordéon ?

R : Mes influences du début, c’est Paul Hutchinson et John Kirkpatrick. J’écoute d’abord, surtout la main gauche, et l’articulation pour la danse. Ils ont aussi pas mal d’humour tous les deux. John Kirkpatrick, c’est une machine de guerre,il a un jeu très puissant, et extrêmement complexe l’air dn,e rie presque une fanfare à lui tout seul. Paul Hutchinson est puissant mais tout en retenue, effleurant son clavier du bout des doigts. Ce sont deux styles différents, qui restent mes grands modèles.

Q : Qu’es-tu allé faire exactement en Angleterre ? Es-tu chercheur ?

EFDSS, Skillern’s 1799 24 CD (photo Robin Seifert)

 

R : Depuis le début de mes animations de danse, j’ai voulu agrandir mon répertoire. J’allais souvent en Angleterre pour d’autres raisons, et je suis passé à l’English Folk Dance & Song Society (EFDSS, Cecil Sharp House). Au début je copiais,des partitions à la main sans connaître la musique, en manipulant un original du 17 siècle avec des gants blancs. Puis j’ai photographié une collection entière de 1721, j’en ai fait une copie papier que j’ai donnée à Malcolm Taylor,bibliothécaire de l’EFDSS, qui était ravi. J’ai donc eu l’idée de faire ça de manière plus systématique. Le bibliothécaire était enthousiaste mais n’avait pas d’argent … J’ai heureusement trouvé en Belgique une bourse pour un stage de quelques mois en Angleterre, durant lesquels j’ai photographié un peu plus de 100 collections. Le plus pénible est de découper (recadrer) tout cela, c’est encore en cours. Une partie se trouve déjà sur le site de l’EFDSS, mais il est dommage qu’ils aient diminué la résolution et qu’ils n’aient pas mentionné de crédits. Je continue ce travail malgré le peu de temps disponible.

Q : Et actuellement ?

R : J’étais resté à Londres, où je jouais dans des pubs avec des Anglais. Je suis rentré quand Eric est décédé. Éprouvant le besoin de mettre en lieu sûr toutes les ressources qu’il avait rassemblées, j’ai rangé tout ça dans 44 caisses, et je me suis trouvé un logement avec une grande chambre qui est en pratique une bibliothèque, avec aussi toutes les choses que j’ai ramenées d’Angletrre et collectées de mon côté. Je m’intéresse aussi aux publications parues en Belgique : à moyen terme, je voudrais mettre en place quelque chose de similaire à l’EFDSS, mais à plus petite échelle (!) et, j’espère, plus ouvert vers l’extérieur.

Avec Arsène Michiels j’ai commencé à travailler sur un logiciel de classement, indexation et recherche de livres, de partitions, d’enregistrements sonores (collectages, cd, lp, …). J’ai commencé à travailler aux Jeunesses Musicales. Et enfin, j’ai commencé à donner des cours d’accordéon en remplacement de Christian D’Huyvetter à Jodoigne, Braine-le-Comte et Eghezée.

EFDSS, W.G. (?) Violin Tune Book (photo Robin Seifert)

 

Vous trouverez la galerie photos (en faible résolution) de l’EFDSS à : library.efdss.org/cgi-bin/introdancebooks.cgi

Contact Robin Seifert : robseifert@hotmail.com.

 

(Interview parue dans le Canard Folk de novembre 2013)