Au terme d’une dizaine de jours passés en Irlande, voici quelques notes et réflexions qui traitent essentiellementde musique, même si le but de nos vacances n’était pas uniquement la musique.

C’était au mois d’août, en trois lieux : Dublin, le Donegal et Antrim en Irlande du Nord. Avec cette même constatation, confirmée par d’autres personnes qui retourneraient bien là-bas uniquement pour les gens :les Irlandais sont hyper sympas ! Même dans une grande ville comme Dublin, si vous vous arrêtez en consultant un plan, un passant s’arrête pour vous aider.Idem en voiture à la campagne, vous êtes arrêtés en vous demandant par où aller : une voiture stoppe et le conducteur vous demande « Are you OK ? ». On se sent très bien accueillis partout. Le « How are you doing ? »qui tient habituellement lieu de bonjour prend du coup plus de relief.

Concernant Dublin, il serait exagéré de dire « ne cherchez pas de musique traditionnelle, il y en a tellement peu », mais la vérité n’est guère loin. Les pubs du quartier très touristique de Temple Bar regorgent de musiciens, pas tous folk. Ils ont quasi tous à leur répertoire quelques tubes comme « Whiskey in the Jar » et « The Wild Rover » – succès assuré. Ils demandent généralement au public (très international)quels airs ils veulent entendre, et donc cela part dans tous les sens, depuis la chanson traditionnelle souhaitée par un vieux couple nord-irlandais visiblement ému, …jusqu’au rock. Les musiciens complètent cela, selon leurs affinités, avec des airs américains, australiens ou autres, notamment irlandais. Chouette ambiance, entout cas.

En fait, les patrons de pubs ne manquent pas de culot en annonçant « Live Irish traditional music to night ».Vous pouvez tomber sur un guitariste qui joue agressivement de tout sauf de l’irlandais et qui,lorsqu’un groupe de touristes allemands lui demande« Whiskey in the jar », massacre la chanson en la jouant très rapidement.

Il y a bien, dans d’autres quartiers (avec parfois une difficulté étonnante pour ne pas dire folklorique : il n’y a généralement pas de numéros sur les maisons !),quelques pubs où l’on se rapproche un peu plus de la musique traditionnelle. Comme le O’Neill’s (Suffolkstreet), où le concert a lieu dans une des nombreuses petites salles pouvant accueillir une petite quarantaine de personnes debout. Il y a donc intérêt à venir tôt !Ceci dit, on entend le concert tout aussi bien au rez-de-chaussée, où il y a un écran vidéo. C’est l’occasion de parler au bar avec des Dublinois déjà âgés, qui vous disent que ce n’est pas de la bonne musique. Pour entendre de la musique traditionnelle , il faut aller en dehors des grandes villes, sans nécessairement aller loin.

Seconde destination : le Donegal, dans le nord-ouest,en se rendant compte de ce que l’expression « la verte Erin » veut dire. Beaucoup de forêts et de verdure, mais peu de villages, peu de gens. Nous allons au festival de Ballyshannon, « le plus grand festival folk d’Irlande »selon un magazine irlandais. Le site web du festival,encore très peu garni dix jours avant l’événement (on parlait de deux concerts chaque soir et, sans préciser,d’activités dans les rues), nous avait déjà désagréablement surpris. Sur place, le sentiment est le même : si on veut appeler cela un festival, alors c’est un tout petit festival, très mal organisé.

Des concerts sont prévus dans les rues oui, mais avec quels groupes et suivant quel horaire ? Le bureau du festival est incapable de répondre. Des concerts(gratuits) sont aussi prévus dans les pubs, mais ils ne sont pas organisés par le festival, qui ne fait aucun effort pour collecter ce genre d’infos. Il apparaît vite que les concerts dans les pubs ont lieu en soirée,pendant les concerts du festival ! Il y a de la concurrence dans l’air …

C’est donc au hasard de nos déambulations (mais la ville est très petite) que nous découvrons le podium mobile installé dans un camion. De jeunes élèves jouent un répertoire traditionnel : très sympa ! Mais pourquoi n’y a-t-il pas de spots dans le camion ? Les musiciens sont dans la pénombre. Le lendemain, le camion a changé d’endroit, et le ciel a changé d’humeur. Il pleut.Un guitariste chanteur bien courageux joue dans la pénombre du podium, devant une vingtaine de personnes bravant les intempéries. Pourquoi n’y a-t-il pas de chapiteau ou de toit amovible, vu le climat habituel irlandais ?

Ballyshannon, podium sous la pluie

 

Cette question, je la pose le lendemain à un membre du comité, à l’endroit où ce même camion-podium va de nouveau s’installer. Le gars me regarde avec des yeux écarquillés, sans vraiment répondre : les musiciens sont protégés, c’est quand même l’essentiel ! Seconde question : le concert des Goats don’t Shave (un des groupes irlandais les plus populaires, paraît-il), c’est à quelle heure ? Il me répond « Ben, il y a d’abord deux voitures qui doivent partir, là, et on se sait pas à qui elles appartiennent … puis il va falloir connecter l’électricité … ». Inutile de s’énerver, la notion d’horaire semble lui être étrangère. Il finit quand même par dire que ce sera sans doute après 13h.

On repasse par là vers 12h40 : un musicien seul est en train de jouer sur le podium. Était-il prévu ? Mystère. Sa musique n’est pas géniale, on s’en va. On revient à13h30 : les Goats vont bientôt terminer leur concert …un mélange assez banal de folk-rock et de folk song.Quelle organisation …Quittons les Goats et baladons-nous le long de l’Erne (la rivière) : venant du petit port, on entend soudain des reels et jigs bien sympas. C’est une fête qui n’a rien àvoir avec le festival : on célèbre le xième anniversaire d’une action des pêcheurs locaux qui ont jadis obtenu des Anglais la permission de pêcher le saumon dans l’estuaire de l’Erne. La fête est familiale, avec des rappels historiques et des interviews de vétérans entrecoupés de musique traditionnelle jouée par la fanfare locale et par un petit ceilidh band, local lui aussi.Sous le soleil, c’est cool.

Ballyshannon, fête au port

 

En revenant en ville, voici à 17h un nouveau concert dans le camion, par un groupe qui joue un mélange de rock’n’roll et de traditionnels irlandais. Encore un groupe non annoncé … faut-il donc vraiment passer son temps à demander à tout le monde s’il y a des concerts prévus bientôt ? Ce groupe-ci a du succès, en tout cas : 200 personnes, ce qui en fera le plus gros succès de foule de tout le festival.

C’est lors d’un des concerts en plein air, le dernier jour,qu’on apprend que les gagnants du « showcase » (un concours) joueront le soir dans la salle, avant les deuxgroupes prévus. Comment, il y avait un concours ? Un concours de quoi exactement, avec combien degroupes, où, quand ? Il n’en était fait aucune mention au bureau du festival, ni dans les pubs …

Ajoutons qu’il n’y a pas la moindre échoppe d’artisan. Ily a juste le festival qui vend ses t-shirts et ses affiches.Il n’y a pas non plus de workshops. Heureusement,plusieurs pubs ont une licence qui leur permet de rester ouverts après 23h30. On y trouve des sessions improvisées, forcément d’intérêt variable. Plusieurs musiciens des groupes du soir (dont Beoga) vont au Bridgend, dont le patron est le présentateur des concerts dans l’unique salle du festival. Curieusement,le public dans le pub, très bruyant, ne fait généralement pas attention à la musique. Pire : quand les musiciens se mettent à jouer, les gens parlent encore plus fort ! A5 mètres des musiciens, il est parfois difficile d’entendre les uilleann pipes.

Quant aux concerts officiels du festival dans la salle, ils ne rassemblent qu’environ 150 personnes. Une salle à Ballyshannon, moitié remplie pour des artistes comme Andy Irvine ou Beoga, c’est scandaleux. Pour les autres groupes (moins connus) aussi, d’ailleurs. La musique est de qualité,mais on se demande pourquoi le festival programme,trois années de suite le duo « Lost Brothers » qui joue,du folk américain style Everly Brothers. Avec seulement 6 concerts en salle sur tout le week-end, le festival devrait pourtant proposer plus de diversité !Amateurisme … et contraste avec le festival rock qui,chaque année en juin, rassemble plusieurs milliers de personnes à Ballyshannon, ville natale du guitariste Rory Gallagher.

On se demande comment le festival folk peut être rentable. Les organisateurs, avec un peu de bonne volonté, pourraient facilement attirer beaucoup plus de touristes. Mais ils n’en ont visiblement rien à cirer : ils ne se sont pas donné la peine de répondre aux suggestions constructives que nous leur avons envoyées dans un style pourtant très diplomatique.

Ce n’est qu’à notre retour en Belgique que nous avons constaté que le site web du festival s’était enfin nettement enrichi. Il aurait fallu consulter internet sur place …

Dernière destination : l’Irlande du Nord, sa nature, ses Anglais ou anglophiles (on en a peu vu, finalement,mais nous avons évité des villes comme Belfast), … et la découverte fortuite d’une fête de village. Tous les pubs sont bondés, on boit dans la rue. Un des pubs, qui s’étend sur deux maisons, contient un nombre appréciable de toutes petites salles. Dans l’une d’elles,une vingtaine d’Irlandais sont entassés, de différentes générations. Une guitare, un bodhran. Ce sont d’abord les vieux qui chantent, et ce qui frappe c’est le tempo lent, à mille lieues de la vitesse entendue dans tous les concerts. Enfin le bonheur … En fin de soirée, les plus jeunes se lancent dans des chansons américaines, dans du blues, … et cela se termine en eau de boudin.

Marc Bauduin

(Paru dans le Canard Folk d’octobre 2013)