Qu’ont en commun la danse “branle du Parlement”, “le” madison, Dialto, Ballet de Sorcières (pour ne citer que quelques groupes) et une grosse pile de recueils pour accordéon diatonique ?

Jean-Michel Corgeron pardi, le « Monsieur tablatures », mais pas que !

Nous l’avons interviewé par e-mail à la fin du mois d’octobre. Il a répondu très vite et très complètement à nos questions, de quoi combler les journalistes les plus pointus !

Marc Bauduin

Q : Chronologiquement, quels sont les instruments dont tu as joué ? Était-ce chaque fois avec des tablatures ?

R : A 15 ans, j’ai commencé la musique par la guitare et l’accompagnement de chansons. Ensuite, pratique du picking avec Marcel Dadi. Il avait inséré un cahier de tablatures dans la pochette de son premier 33 tours : un système de notation simple (les 6 cordes sont représentées par 6 lignes sur la tablature et on indique ensuite le n° de la case) qui a permis à des milliers de guitaristes de s’affranchir des partitions.
Puis, découverte du dulcimer auprès de Michel Legoubé, au magasin Folk Quincampoix à Paris. Il venait lui aussi de sortir un disque avec des tablatures.
J’ai également pratiqué de façon plus occasionnelle le banjo (4 et 5 cordes), le psaltérion à archet et le hammer dulcimer.
En 1981, rencontre de l’accordéon diatonique et du seul recueil disponible à ce moment-là. Vu mon parcours précédent, j’ai considéré le système de tablature proposé (sens du soufflet, n° du bouton puis rangée) inverse au regard de l’instrument et ai immédiatement conçu les bases du système « rangées » (nommé système « Corgeron » par les accordéonistes).

Q : Quels répertoires pratiques-tu ou as-tu pratiqués ? Était-ce du folk dès le début?

R : A part l’accompagnement de chansons de mes débuts, les musiques folk et traditionnelles m’ont toujours attiré. Je joue principalement des thèmes issus des répertoires traditionnels français, irlandais et québécois auxquels ont été ajoutées des compositions de mon cru (interprétées dans différentes formations : Dulceline, Ballet de Sorcières, Bouffée d’Airs, Dialto, Duo t’en Bal).

Q : Quand et comment as-tu découvert la musique folk ?

R C’est par le dulcimer que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à ces musiques en arrangeant des thèmes traditionnels issus des 33 tours de l’époque (Mélusine, Malicorne, La Bamboche, le Grand Rouge, Maluzerne…).

Q : Es-tu aussi danseur ? Penses-tu qu’il soit indispensable de savoir danser les danses que tu joues ?

R : Adaptant des musiques de danse au dulcimer, j’ai souhaité apprendre à les danser afin de mieux les interpréter. Pendant un an, j’ai suivi des ateliers de danses à l’association RDEP à Paris, puis des stages afin d’être en mesure de jouer les morceaux avec de bons tempi et appuis. Il est préférable de savoir danser ce que l’on joue afin d’être en phase avec les danseurs.

Q : Y-a-t-il des rencontres (de musiciens, de profs …) qui t’ont particulièrement marqué ?

R : En guitare, j’ai beaucoup appris auprès de Alain Soubrier et Didier Large. Au dulcimer, Michel Legoubé, Marc Robine et John Molineux ont été de bons passeurs.
En ce qui concerne l’accordéon diatonique, mon système de notation ainsi que la fructueuse collaboration avec la revue Trad Magazine (un grand merci notamment à Roland Delassus et plus tard à Marc Rouvé) m’ont permis de rencontrer et travailler avec de nombreux musiciens (Bernard Lasbleiz, Frédéric Paris, François Heim, Norbert Pignol, Stéphane Milleret, Ronan Robert, Éric Richard, Philippe Plard, Bruno Le Tron, Gilles Poutoux, Frank Sears, Michaël Auger…).

À mes débuts, quelques cours avec Jean-Christophe Lequerré et Yves Sorveyron ainsi que des stages avec Marc Perrone, Emmanuel Pariselle, John Kirkpatrick, Norman Miron, Linda Birch, Liam Webster, Riccardo Tesi, Robert Santiago, Kepa Junkera, Serge Desaunay, Carmen Guérard…
D’autres musiciens m’ont aussi beaucoup apporté : Michel Bigrel (flûte traversière), François Heller (accordéon chromatique), Vincent De Greef (violoniste, compagnon de route depuis de nombreuses années), Béatrice Spoutil (piano), Gilbert et Emmanuel Large pour la musique irlandaise, Laurent Jarry pour la musique québécoise…

A l’harmonica, ce sont Joseph Ligault, Bruno Kowalczyk, Alain Chatry, Brendan Power et Sébastien Charlier qui m’ont, chacun dans leur domaine, offert les ingrédients qui me permettent aujourd’hui de pratiquer ce formidable instrument (pas cher, il tient dans la poche et sa pratique ajoute un réel plus au jeu en poussétiré sur l’accordéon diatonique).

Q : Parlons un peu de ta composition « Franches Connexions », qui est devenue célèbre pour danser le madison. Dans quelles circonstances l’as-tu composée ? L’as-tu immédiatement associée avec la danse madison ?

R : « Franches Connexions » est un thème composé en juillet 1984 et que j’avais dédié à Christine et Didier Boyer (concepteur d’un accordéon MIDI). Lors d’un stage à Borzée (Belgique), j’ai joué ce morceau à Brigitte De Bernard (animatrice de l’atelier danses). Elle a fait quelques pas de madison dessus, les stagiaires l’ont imité et ont demandé qu’il soit joué le soir à la veillée. C’est bien le début de l’histoire que l’on peut retrouver sur le site www.franchesconnexions.com. C’est aussi le nom donné à l’association qui encadrel’ensemble de nos projets musicaux.

NB : Avec Brigitte, nous avons également, lors d’un stage de danses en rond à Borzée, fait naître la danse du Parlement, un branle repris aujourd’hui par de nombreux musiciens, enseigné dans les ateliers de danses et souvent proposé dans les bals en Belgique et en France (et peut-être ailleurs…).
J’invite les lecteurs de la revue de consulter la page web suivante afin de connaître la véritable histoire du « Parlement », mais aussi celles de « Franches Connexions » et de « La valse de l’Olivier » (thème apprécié des débutants) www.franchesconnexions.com/histoires-de-repertoire.

Q : Quelles ont été les principales évolutions de ton système de tablature pour accordéon diatonique, à lafois dans la notation et dans les logiciels informatiques ?

R : Dès 1981, j’ai créé ce système visuel à l’instar des tablatures de guitare et autres instruments à cordes. Le sens de lecture et d’écriture est la rangée sur laquelle on joue, ensuite le n° du bouton sur lequel on appuie et enfin le sens du soufflet donné par le bras gauche matérialisé par un tiret (tout ce qui est souligné d’un tiret est tiré). Ce système d’écriture fonctionne aussi bien pour un mélodéon (et même un harmonica) que pour un 2 rangs et un 3 rangs. Il est même utilisé dans certains cas pour le chromatique.
Il y a autant de rangées dans la tablature qu’il y en a sur le clavier de l’accordéon.
J’ai par la suite adopté pour la main gauche la notation en lettres (lettre majuscule pour la basse, lettre minuscule pour l’accord) qui fonctionne aussi bien pour 2, 8, 12, 18 ou 24 boutons.

Mais je continue à indiquer l’harmonie au-dessus de la partition (outils de communication avec d’autres instrumentistes).
À la demande des accordéonistes, différents logiciels informatiques ont implanté le « système Corgeron ». Je suis bien heureux que ce système vive et que de plus en plus d’accordéonistes l’utilisent.

Q : As-tu aussi développé une méthode d’accordéon diatonique ? Était-ce en partenariat avec François Heim ?

R : Avec François Heim (et Patrick Quichaud), nous avons réalisé une méthode en 1995 qui est vite devenue une référence, mais elle est épuisée et ne sera pas rééditée. J’en élabore une nouvelle, mais cela demande beaucoup de travail pour y partager plus de 40 ans de pédagogie !
François a fait appel à mes services pour les transcriptions de sa saison pédagogique #2 (2021/2022) disponible sur www.compagniebalagan.com

Q : En pratique, quels sont les prérequis pour jouer les airs les plus simples de tes recueils ?

R : Dans chaque recueil, je mets à disposition le(s) schéma(s) de clavier, une explication du système de tablatures et de nombreux conseils pédagogiques. Je pense que l’on peut tout aborder en travaillant lentement dans un premier temps. Les doigtés sont toujours notés. Les positions d’accords sur la tablature représentent la position des doigts sur le clavier (comme les positions d’accords pour les guitaristes). Et de nombreuses propositions de variations et d’ornementations sont indiquées.

Q : Peux-tu donner un bref aperçu des recueils que tu as publiés (quel que soit l’éditeur) ?

R : La liste complète de mes réalisations est disponible sur le site www.franchesconnexions.com.
Il serait un peu long et fastidieux de les énumérer ici.Avec la revue Trad Magazine, j’ai réalisé 13 recueils de répertoire. Ils sont épuisés pour la plupart.
Depuis 2017, j’ai pris mon autonomie avec les Éditions Franches Connexions et proposé des ouvrages intégrant de la vidéo en gros plan : 4 recueils sur l’Irlande avec Gilles Poutoux, 2 sur le Québec avec Frank Sears, 2 sur la Vendée-Poitou avec Michael Auger et 4 avec Bruno Le Tron sur ses compositions.

Q : Enfin, quels sont tes prochains projets ?

R :
· Une nouvelle méthode d’accordéon diatonique.
· Répertoire à danser en Bretagne avec Ronan Robert.
· Répertoire de Wallonie avec Marinette Bonnert.
· Des compositions de Sylvain Butté et de Daniel Denécheau.
· Et d’autres projets sont initiés mais non aboutis pour l’instant…

De quoi occuper une retraite !

Contact :
Jean-Michel Corgeron
www.franchesconnexions.com

 

Quelques dates repères

• 1982 conception des bases du système « rangées », qui deviendra connu sous le nom « système Corgeron »
• 1983 création du groupe Dulceline
• 1994 composition de « Franches Connexions », qui deviendra un madison au stage de Borzée
• 1987 premier recueil d’accordéon diatonique : « Boest an Diaoul » avec Bernard Lasbleiz
• 1995 première méthode d’accordéon diatonique avec François Heim
• 1996 création du groupe Bouffée d’Airs
• 1997 création du groupe Ballet de Sorcières (Bal pour enfants et parents)
• 2002 création du groupe Dialto
• 2012 création du groupe Duo t’en Bal
• 2017 création du groupe Irland’airs
• 2017 création du groupe Trio Jaconor