Arthur Bauduin, lorsqu’il décida d’acheter un nyckelharpa en été 2017, ne dut pas chercher bien loin : un luthier hollandais présent au marché de luthiers du festival Gookooirts faisait l’affaire, le courant passait bien, affaire conclue. Six ans plus tard, une série de petits soucis se sont accumulés. Rien de grave en soi, mais ce n’est plus le paradis sur terre : certaines touches du clavier restaient parfois coincées, certaines chevilles étaient également coincées (il était donc plus difficile d’accorder l’instrument), il fallait réaccorder certains sautereaux, replacer le chevalet au bon endroit et remplacer les cordes qui étaient toutes oxydées (il ne l’avait jamais fait et c’est encore moins évident avec les cordes sympathiques).
Il est parfois possible de faire certaines choses soi-même, beaucoup de joueurs le font et ont avec eux les outils nécessaires mais ce n’est pas évident pour tout le monde. il ne faut pas avoir peur de bricoler et puis, pour certaines choses, faire appel à un luthier est absolument nécessaire.
Arthur a donc cherché un luthier de préférence pas trop loin. Il a trouvé Johan Hertogs à Meise, en bordure de l’agglomération bruxelloise.

Arthur et Marc Bauduin

Q: Quels ont été tes premiers contacts avec la musique folk et comment est-ce arrivé ?

R: J’avais quinze ans lorsque je me suis mis à participer à un groupe de danses traditionnelles. Ça ne m’attirait pas vraiment, mais un ami m’avait proposé d’essayer et j’ai accepté. Dans ce groupe, j’ai rencontré une fille et quand nous avons commencé à sortir ensemble, je me suis mis à l’accordéon (je n’aimais pas tellement la danse). Entre-temps, nous sommes ensemble depuis vingt-huit ans et mariés depuis vingt ans.

R: Pourquoi avoir choisi l’accordéon et quel type de musique jouais-tu dessus ?

Q: J’avais de bons contacts avec un accordéoniste et cet instrument m’intriguait. C’était un accordéon avec un clavier piano et il se trouve que je jouais déjà un petit peu du clavier et du mélodica. Ce n’était donc pas un très grand pas à franchir pour passer à l’accordéon.

Je jouais de la musique traditionnelle de Belgique (Flandre et Wallonie), de France et d’Irlande aussi dans une certaine mesure. Pas de musique scandinave, à ce moment-là.

Je jouais de l’accordéon pour le groupe de danse que j’avais rejoint (Volkskunstgroep Tijl-Uylenspiegel).
Tijl-Uylenspiegel (ou « Till l’Espiègle ») est un personnage connu.

Q: Quelle signification avait-il ?

Nyckelharpa de concert – Johan Hertogs

R: Tijl Uylenspiegel est un personnage de la légende flamande, connu pour ses plaisanteries et ses pitreries, mais aussi parce qu’il était un franc-tireur. Le groupe de danse folklorique a également son propre répertoire, qui diffère quelque peu de celui de la plupart des autres groupes de danse. D’où le choix de ce nom.

Q: Peux-tu en dire davantage sur ce groupe ?

R: Nous étions au total une trentaine ou quarantaine de membres. La plupart du temps, j’étais le seul musicien ; j’étais parfois rejoint par un deuxième accordéoniste. Avant mon arrivée, il y avait un autre accordéoniste, que j’ai remplacé.
Je ne joue que d’oreille (je peux m’aider d’une partition pour un air que je connais, mais je n’y parviens pas si c’est un morceau que je ne connais pas encore) et j’ai donc appris les morceaux en écoutant des enregistrements qu’on me fournissait. Je devais avoir au total un répertoire d’environ cent morceaux. C’était uniquement instrumental : je ne sais pas du tout chanter !
Il y a quelques années, le groupe se produisait parfois une ou deux fois par mois. Il y avait également un voyage à l’étranger une ou deux fois par an. C’est d’ailleurs lors d’un voyage en Suède avec ce groupe que j’ai fait la connaissance du nyckelharpa.

Q: Connaissais-tu d’autres musiciens folk ?

R: Oui : en plus du groupe de musique à danser, j’étais dans le groupe folk Kruidt, qui n’existe plus aujourd’hui. J’y jouais de l’accordéon, de l’épinette et du psaltérion. Les autres instruments étaient le violon, la guitare basse, la flûte, la voix et la batterie. Nous étions six et nous donnions des concerts, ainsi que, de temps en temps, des bals. Le répertoire se composait de musique belge, française et irlandaise. Il n’y avait pas Internet pour l’étendre, mais deux membres du groupe avaient une grande collection de disques, dans laquelle nous trouvions des nouvelles mélodies, que nous arrangions ensuite. Nous avions aussi nos propres compositions. Jusque-là, toujours pas de musique scandinave, mais nous jouions une composition personnelle qui s’appelait Bourrée suédoise, simplement parce que cela sonnait suédois.

Q: Lorsque tu jouais en Suède avec le « Volkskunstgroep Tijl-Uylenspiegel », as-tu appris à jouer de la musique suédoise ?

R: Oui, mais aussi des airs norvégiens (j’en connais plus que des suédois). En revanche, je n’ai jamais joué de hardingfele (violon Hardanger). J’ai bien un plan pour en construire un, mais je ne l’ai pas encore fait. C’est faisable, mais assez compliqué. Les principales différences avec un violon ordinaire sont les nombreux ornements, les cordes sympathiques et une différence dans la courbure de la partie supérieure de la caisse de résonance au niveau des ouïes.
Comme je le disais, c’est lors d’un voyage en Suède avec ce groupe que j’ai fait la connaissance du nyckelharpa. C’était au Rättvik Folklore Festival : je me promenais dans le festival lorsqu’une musique a attiré mon attention. Le groupe Väsen était en train de jouer et la sonorité du nyckelharpa m’a tout de suite fasciné, d’autant plus que je trouvais l’instrument très beau visuellement.

Q: Était-ce l’instrument-même ou le style de musique (polskas, etc.) qui t’a le plus attiré ?

R: C’est vrai que ce style me parlait aussi. Nous avions été invités par un groupe qui joue de la musique à danser suédoise. Il y avait un lien fort entre nous et nous avons aussi vu et entendu jouer d’autres groupes suédois.

Q: Comment as-tu commencé à construire des instruments ?

R: À ce moment, je suivais à l’école une formation de travail du bois et quelqu’un du groupe de danse m’a montré un plan pour construire une épinette et m’a demandé d’essayer d’en fabriquer une. J’ai fabriqué l’instrument et c’est un travail qui me parlait. J’ai donc continué à fabriquer des épinettes diatoniques et des psaltérions, dans un premier temps. J’ai notamment dessiné les plans pour mes propres modèles.

Q: Comment as-tu fait pour te procurer du bois et pour le choisir ?

R: Je savais déjà quelle sorte de bois prendre, mais je n’avais pas encore beaucoup d’expérience à l’époque pour ce qui est de choisir du bois de bonne qualité. (je devais avoir quinze ou seize ans). Il y avait dans le quartier pas mal de sortes différentes de bois et c’est là que je m’en procurais au début, mais j’utilise à présent du bois de meilleure qualité en provenance des Alpes suisses et italiennes. Je suis devenu plus sélectif, car le bois doit avoir certaines propriétés, mais au début, je ne savais pas encore tout ça.

Premier nyckelharpa fabriqué par Johan Hertogs

Il existait d’ailleurs peu de formations en la matière. Il y en avait tout de même une pour adultes à Puurs et je l’ai suivie ultérieurement pour apprendre la lutherie et plus spécifiquement la fabrication de violons.
Je trouvais également du matériel chez Pro Arte, à Anvers, ainsi que chez d’autres luthiers. Il peut s’agir de cordes, de chevilles ou d’autres pièces, parfois également de bois, voire d’outils.
Il y avait en tout cas peu de luthiers. Je me souviens qu’on pouvait en trouver au marché des artisans à Gooik (à l’époque, le festival s’appelait Feestival et pas encore Gooikoorts).

Q: Est-ce que les luthiers gardent jalousement leurs secrets ? Acceptent-ils de les partager ?

R: Il n’y a plus beaucoup de secrets, vu qu’on trouve tout sur Internet. Un luthier ne va pas nécessairement révéler tous ses secrets, mais il ne rechignera pas à répondre si on lui pose des questions sur la fabrication de ses instruments. Au final, les autres fabricants sont davantage des collègues que des concurrents.

Q: Est-ce difficile de fabriquer une nyckelharpa ?

C’est en tout cas plus compliqué que ça en a l’air, notamment parce qu’un grand nombre de petites choses peuvent mal se passer. Il y a beaucoup de risques au niveau du clavier et il y a un équilibre fragile à trouver pour l’épaisseur du haut de la caisse de résonance, de sorte à obtenir un beau son, tout en conservant une solidité suffisante.

La construction d’une nyckelharpa moderne est à certains égards plus difficile que celle d’un violon. L’instrument est traversé par 16 cordes. L’instrument doit donc résister à une force importante. De plus, les cordes disposent de peu d’espace en raison de la « caisse » où se trouvent les sautereaux (tangentes). Les cordes doivent pouvoir vibrer librement et ne doivent pas toucher un endroit où elles pourraient produire des sons indésirables.

Le premier nyckelharpa construit en Flandre est de Joos Janssens. Personnellement, j’ai commencé en me basant sur un plan de nyckelharpa que m’avait donné Bart De Cock (du groupe Kadril), tout en modifiant des choses pour créer mes propres modèles.

Je me suis aussi inspiré des modèles de Jean-claude Condi (France), car le son correspondait davantage à ce que je recherchais. Ces instruments-là ont un caisson de résonance qui ressemble plus à celui du violon, ce qui leur confère un son plus rond et plus chaud.

En comparaison, les modèles typiques suédois ont un son plus dur et il y a plus de tension dans les cordes. Comme ceux de Jean-Claude Condi, mes modèles sont plus polyvalents que les modèles de type suédois : ils ne sont pas faits spécifiquement pour la musique suédoise.

Q: Quels modèles fabriques-tu ?

R: Le premier modèle est le modèle traditionnel suédois. En Suède, les nyckelharpas ont un accordage Do-Sol-Do-La, tandis que dans le reste de l’Europe, ils ont tendance à être en Do-Sol-Ré-La (comme un alto). En ce qui me concerne, je m’adapte à la demande du client.

Le deuxième modèle a un style plus proche que celui du violon : le son est moins dur et se prête davantage à d’autres musiques que la musique suédoise.

Modèle électrique fabriqué par Johan Hertogs

Le troisième modèle est un modèle électrique. Il a cinq cordes, dont un bourdon de Do et quatre cordes de mélodie: Sol-Ré-La-Mi. C’est comme un violon auquel on aurait ajouté une corde de Do comme bourdon. Ce modèle est muni d’un micro intégré au niveau du chevalet et il produit un son très naturel. Si le client le demande, je peux transformer le bourdon de Do en une cinquième corde de mélodie (ce serait alors équivalent à un quinton). Cela demande quelques modifications au niveau du clavier, mais c’est tout à fait faisable.

Le quatrième modèle est un instrument d’étude, qui sert notamment aux académies qui proposent des cours de nyckelharpa. En Flandre, il s’agit de cinq ou six académies. J’en ai fourni également à l’académie de Berchem-Sainte-Agathe, à Bruxelles, où les cours sont donnés par Rudy Velghe.
Il existe aussi des cours de nyckelharpa à Malines, auprès de Didier François, ainsi qu’à Schoten (auprès d’Ann Heynen), Mortsel et Herentals (auprès de Koen Vanmeerbeek) et à Roulers en Flandre occidentale (auprès d’Eveline d’Hanens).

Celloharpa fabriqué par Johan Hertogs

Le cinquième modèle est le “celloharpa”.
L’accordage est Do-Sol-Ré-La (sur la même tessiture qu’un violoncelle) et la longueur vibrante des cordes (c.-à-d. la longueur entre le chevalet et le sillet) est plus grande que celle d’un nyckelharpa ordinaire (elle varie toutefois d’un luthier à l’autre), mais le celloharpa a plus de volume sonore, ainsi qu’un son plus profond. Il en résulte qu’il sonne davantage comme un violoncelle. À titre indicatif, un tenorharpa (accordage Sol-Ré-La-Mi, une octave en dessous du violon) a une longueur vibrante des cordes de 44cm, tandis que le celloharpa est à 53cm.

Q: Qu’existe-t-il comme modèles dans le monde des nyckelharpas ?

R: Il en existe beaucoup. Par exemple, par ordre de taille : le modèle ½, le ¾, le modèle “normal”, le tenorharpa, l’octavharpa et le celloharpa. Pour le celloharpa, il faut de grandes mains car les touches sont plus éloignées les unes des autres.
Il existe également le moraharpa, le silverbasharpa et le contrabasharpa. Ces derniers instruments sont moins courants.

Q: D’où viennent tes clients?

Il y a quelques temps, je suis allé à Burg-Fürsteneck, en Allemagne (aux Rencontres internationales du nyckelharpa) et j’ai maintenant quelques clients allemands. Je suis aussi en contact avec un luthier allemand, pour qui je fabrique des pièces qu’il utilise pour ses propres instruments.

Modèles d’étude fabriqués par Johan Hertogs

Je fournis des nyckelharpas à des académies, qui louent des instruments à leurs élèves, qui finissent par vouloir acquérir leur propre instrument. Au final, cela se fait beaucoup grâce au bouche à oreille.

Je reçois parfois des demandes de réparations. Certains clients cherchent des nyckelharpas de seconde main, mais on en trouve très peu et ils ne sont pas toujours en très bon état. Ils viennent alors chez moi pour que je les répare. Dans un tel cas, je ne peux pas faire de miracles : je ne peux pas transformer l’instrument en Rolls-Royce du nyckelharpa. Un certain nombre de ces instruments ont été fabriqués par des personnes qui font cela pour le plaisir, comme hobby, mais on sent tout de suite la différence.

Q: As-tu ton propre logo apposé sur tes instruments ?

R: Oui : il se trouve dans la caisse de résonance. Dans le cas d’un nyckelharpa électrique, qui n’a pas de caisse de résonance, je le mets sur le chevalet.

Q: Joues-tu encore de la musique, en ce moment ?

R: Non, je n’ai plus beaucoup de temps pour m’y consacrer. Je suis luthier à mi-temps et j’ai un autre mi-temps dans une école de lutherie (Internationale Lutherie School Antwerpen). En plus de cela, je suis en train de construire un atelier. Pour l’instant, mes machines se trouvent chez mes parents, à une demi-heure de chez moi, et ce n’est pas facile à gérer. Le but est que j’aie mon atelier et mes machines chez moi.

Récemment, j’avais tout de même encore un groupe de musique folk-rock, dans lequel je jouais de l’accordéon et du nyckelharpa électrique. Étant donné que les autres jouaient de la batterie, guitare électrique, etc., je ne parvenais pas à ce qu’on m’entende avec un nyckelharpa habituel. Si je montais trop le son, il y avait des larsens. J’ai donc fabriqué un nyckelharpa électrique. Je l’ai amené avec un ampli en répétition et je pouvais désormais me faire entendre. Ce groupe s’appelait Kameleon Tripel, en référence à la bière du même nom. Ce groupe n’existe plus depuis environ deux ans. Il s’est arrêté à cause du Covid : on n’a plus pu faire de répétitions, ni de concerts et cela s’est arrêté.

Q: Peux-tu en dire davantage sur l’école de lutherie où tu travailles ? As-tu exercé d’autres métiers ?

R: C’est l’école secondaire ILSA (Internationale Lutherie School Antwerpen), où l’on apprend à fabriquer des violons, violoncelles et des guitares. Les violons et guitares baroques, les guitares romantiques et les luths entrent dans cette catégorie, mais pas les nyckelharpas : ce type de cours n’existe pas. Je n’y travaille d’ailleurs pas comme enseignant : je suis chef de section.

J’ai aussi été fabricant de meubles et menuisier. Par la suite, j’ai donné cours en travail du bois.
Puis je suis devenu chef de section et je suis rapidement devenu responsable de la formation en lutherie. Entre-temps, cela fait dix ans que je fais cela.

C’est une formation très internationale : nous avons des nouveaux élèves venus du Mexique et de Nouvelle-Zélande. Nous en avons déjà eu qui venaient de Finlande, du Danemark, d’Italie, d’Espagne, de France, des Pays-Bas, d’Autriche, de Lituanie, etc. Le niveau est très haut, parce que si on compte devenir luthier indépendant, une qualité maximale est nécessaire.

Ce n’est pas un hobby : il faut vraiment le vouloir et le faire de façon professionnelle. Autrement, c’est impossible d’en vivre. Cette formation fait partie de l’enseignement secondaire (il y a actuellement 32 élèves), mais on n’y apprend pas les mathématiques et autres cours habituels : on se focalise vraiment sur la lutherie.

Moi-même, j’ai étudié la fabrication de violons à Puurs pendant deux ans. L’objectif n’était pas de devenir un fabricant de violons, mais les techniques m’intéressaient. J’ai toutefois encore beaucoup plus appris en posant des questions au sein de notre section et en y faisant des essais. Les enseignants sont aussi des luthiers professionnels qui travaillent dans leur atelier lorsqu’ils ne donnent pas cours.

Atelier de Johan Hertogs- fabrication d’un modèle électrique

Q: Un dernier mot pour conclure ?

R: Là où je pense que je me distingue des autres luthiers, c’est que je n’ai pas peur d’utiliser des techniques plus modernes. J’emploie même une machine CNC (Computer Numerical Control ou Commande Numérique par Calculateur), afin de fabriquer des pièces de façon plus précise et sécurisée. J’en fabrique ainsi pour d’autres luthiers. J’ai déjà discuté avec un luthier suédois qui prétendait ne pas avoir besoin de cette machine pour fabriquer une touche de clavier. En deux minutes, il avait en effet réussi à fabriquer sa touche, mais ce n’était pas aussi précis qu’avec une machine et ensuite, la touche bringuebalait dans le clavier.
Les outils modernes ne sont pas seulement plus rapides et plus précis. Ils rendent également les opérations d’usinage plus sûres. Il s’agit là d’avantages importants.

Plus d’infos

Site web Johan Hertogs : www.jh-nyckelharpas.com/
Lien site web ILSA : www.instrumentenbouw.be/en/teachers/JohanHertogs.html

Adresse postale de Johan : Potaardestraat 42 D, 1860 Meise
Tél : 0032/479 809 819

Pour info:
Marché de luthiers et ateliers (cours) de nyckelharpa de Burg-Fürsteneck évoqués par Johan :
nyckelharpa.burg-fuersteneck.de/nyckelharpa_fr.html