« De stijlvolle verovering van de wereld”, doctorat (362 pages) présenté à la faculté de Philosophie et Lettres de l’Universiteit Gent en 2019-2020 par Cornelis Vanistendael – on l’appelle souvent «Cor».

Un reproche qu’on ne pourra faire à Cor Vanistendael, c’est de ne pas être structuré. Son travail contient un préambule (très humain, il explique la genèse de son doctorat), une introduction, dix chapitres regroupés en trois parties chronologiques (de 1756 à 1818) traversées par quatre thèmes (militaire, sociabilité, culture de bal, espace et infrastructures) ; chaque chapitre contient généralement une introduction et une conclusion ; enfin, une conclusion générale, une bibliographie et des annexes.

Et donc, de quoi s’agit-il ? Le sous-titre est plus explicite : « La genèse, l’incubation et la dissémination de nouveaux répertoires de danse (1756 – 1818). Exemples dans le sud des Pays-Bas et dans le Pays de Liège, dans un contexte européen ».

Entre 1750 et 1830, deux danses sociales iconiques, la valse et le quadrille, ont conquis le monde. Ce n’étaient pas les seules nouvelles danses de l’époque, mais qui se souvient encore de la sauteuse, du langaus, de la boulangère, de la tyrolienne, et on en passe ? Pendant les dernières années du 18ème  et la première décennie du 19ème, une foison de nouvelles danses apparurent, et restèrent même parfois populaires un petit temps. D’où venait cette richesse ? Et pourquoi deux d’entre elles devinrent-elles des vedettes mondiales ?

Dans la littérature, notamment scientifique, on ne semble guère s’en étonner, et on ne trouve que très peu de choses à ce sujet. Il y a donc beaucoup de terrain à défricher, mais cela rend les études plus difficiles.

Dans le titre de l’étude, un mot attire particulièrement l’attention : « avec style». Vers 1800, le bal est bien plus que danser (et pour le quadrille c’est dans un style spectaculaire qui a été décrit par Guilcher), c’est un jeu de statuts, une représentation théâtrale du monde – il y avait d’ailleurs plus de spectateurs que de danseurs actifs. Le mot « conquête » n’est pas non plus choisi au hasard, car les conquêtes militaires ont contribué à la dispersion des cultures. Les armées européennes ont ainsi été un facteur important de dissémination de nouvelles danses, en tout cas entre 1756 et 1818. Cela explique que l’auteur leur accorde beaucoup d’attention.

Si l’origine du quadrille est assez claire (à Paris vers 1800), pour la valse c’est moins évident. On situe généralement sa naissance vers 1750 dans un territoire comprenant le sud de l’Allemagne actuelle, l’Autriche, le nord de la Bohème et le sud-est de la Pologne. La valse serait donc née un demi-siècle avant le quadrille, mais il a fallu du temps avant qu’elle devienne populaire. Elle a en effet longtemps été considérée comme scandaleuse, comme l’expression verticale d’un désir horizontal.

Revenons aux militaires, avec une prolifération d’orchestres de régiment qui ont pu fonctionner comme orchestres de bal, ce qui nécessite au moins une connaissance de base de la danse. C’est qu’au 18ème et au 19ème, on allait surtout danser – la danse primait sur la musique. Et si on considère que la précédente grosse évolution vit la country dance anglaise reprise à la cour de France pour finalement évoluer vers la contredanse à la française de 1680 à 1750 environ, donc en 70 ans, on voit que le quadrille a réussi cela 7 fois plus vite malgré une guerre de plus de 20 ans et une crise économique.

La « levée en masse » de 1792-1793 qui amena des recrues de toutes les couches de la population dans la Grande Armée de Napoléon est sans doute un élément explicatif, mais il se heurte au manque de profs de danse professionnels, ce qui amène à supposer que les danseurs s’apprennent l’un l’autre sans maître à danser.

Toujours est-il qu’à partir de 1800, le niveau en danse des militaires masculins français était bien plus élevé que celui des civils, au point que cela devenait un moyen de propagande pour Napoléon. Et lorsque les Anglais remportèrent la bataille de Waterloo, le prestige en danse des officiers français était tel que ce répertoire de danses fut introduit en Angleterre où il donna le ton – il s’ensuivit une véritable rage de danse, là aussi.

Quant au thème « Sociabilité », il fait apparaître que les anciennes structures sociales telles que confréries et gildes ont disparu à la fin de l’Ancien Régime, et ont été remplacées par de nouvelles structures sous l’influence d’une loi prise en 1791 sur la vie associative. Des termes comme concorde, concert ou harmonie ont été jusqu’à présent peu étudiés ; on a considéré que les concerts étaient prépondérants dès les premières années de ces associations, alors que l’auteur montre qu’entre 1805 et 1820 ce sont surtout des bals qui étaient organisés dans le sud des Pays-Bas, au pays de Liège ainsi que dans des villes importantes (Bruxelles, Anvers) mais aussi de plus petites villes comme Spa et Alost.

Un cas particulier : de 1814 à 1818, la Maison d’Orange-Nassau organisa à Bruxelles des bals de haut niveau avec invités internationaux, pour mieux se faire accepter par la population et pour asseoir sa crédibilité internationale.

Relevons encore que, durant la domination française et sous l’impulsion des nouvelles structures sociales, les sociétés qui organisaient des bals faisaient tout pour faciliter la vie des danseurs peu expérimentés : leurs programmes annonçaient les danses en détaillant les mouvements par call, et des commissaires de bal avaient pour tâche de répartir les danseurs en quadrilles et en longways.

L’étiquette était plus que jamais respectée, notamment pour éviter les conflits de statuts – on n’était pas certain de toujours danser avec quelqu’un du même statut que soi.

Et à partir de 1820, le quadrille se transforma lentement en un ensemble limité de figures standard, tandis que la valse évoluait vers la valse viennoise et ses parquets brillants …

 

Résumé par Marc Bauduin

(article paru dans le Canard Folk d’avril 2022)