La diversité culturelle dans le paysage musical flamand
par Paul Rans
Cet article, paru initialement dans le Kunsttijdschrift Vlaanderen en novembre 2004 et repris tout récemment par Goe Vollek, est encore bien d’actualité et devrait intéresser aussi les francophones. Rappelons que Paul Rans, qui s’est fait connaître comme membre du groupe Rum, est actuellement producteur à la VRT.
Avec l’engouement pour les musiques du monde, les formes musicales africaines ou asiatiques résonnent de plus en plus familièrement – du moins pour ceux qui savent ouvrir grands leur esprit et leurs oreilles. La Flandre devient chaque jour plus multiculturelle. Les groupes folk flamands font de plus en plus de musique du monde, c-à-d leur propre musique mais influencée par d’autres cultures européennes et extra-européennes.
La présence de nombreux musiciens dans les communautés “allochtones” de notre pays a pour effet qu’une culture musicale internationale très vivante se développe. A côté de la vie musicale interne à chaque culture, les collaborations dans lesquelles l’origine ethnique d’un musicien n’a plus aucune importance se font plus fréquentes. On pense notamment aux groupes ou projets Olla Vogala, Oblomow, Al Harmoniah, parmi beaucoup d’autres. Qu’est-ce qui bouge en ce moment, et que pouvons-nous attendre dans l’avenir ?
Lorsque j’ai commencé avec le groupe Rum vers la fin des années soixante, début des années septante, il y avait en Flandre deux catégories dans le genre. Le terme “musiques du monde” n’existait pas, on jouait soit de la musique traditionnelle (volksmuziek) soit du folk (1). La “volksmuziek” était traditionnelle, et le folk était moderne. De Vlier (sous la direction de Hubert Boone qui plus tard fonda le Brabants Volksorkest) et ‘t Kliekske étaient traditionnels. Rum était moderne et cela signifiait alors qu’il y avait une influence étrangère, dans ce cas surtout l’Irlande. Car des groupes comme les Dubliners, mais aussi des Anglais comme The Incredible String Band, faisaient forte impression en Flandre, pas uniquement parce qu’ils faisaient de la chouette musique provenant de leurs propres traditions, mais aussi et surtout par l’intensité de leur jeu. En Flandre, la musique traditionnelle souffrait de l’image de groupes de danse pétrifiés, avec un chant fade ici et là et de surcroît le souvenir d’un nationalisme flamand qui avait choisi le mauvais côté pendant la guerre.
L’approche des folksingers américains, irlandais et aussi britanniques, avec leur image progressiste, touchait les jeunes en Flandre, avec comme résultat un afflux de groupes et de solistes qui écumaient les clubs folk et les maisons de jeunes et qui pouvaient se réjouir du grand intérêt manifesté par les plus jeunes. Sur le premier disque de Rum, cette influence irlandaise/anglo-saxonne était encore assez nette; j’ai encore vu récemment une citation d’Hubert Boone à cette époque, où il disait que Rum sonnait plutôt irlandais mais était quand même bon. Et nous pensions que De Vlier et ‘t Kliekske sonnaient vraiment très traditionnel, mais qu’il y avait quand même quelque chose dans leur musique. Nous utilisions d’ailleurs avec gratitude leur travail de terrain pour reprendre et moderniser certains airs.
Et après quelque temps, nous sommes aussi partis en tournée dans les pays voisins; il y avait là aussi des choses intéressantes, et là aussi l’influence anglo-saxonne se faisait sentir. Les Français ne se limitaient pas à la vielle à roue ou à la musette traditionnelles, des groupes comme Malicorne ou Alan Stivell sonnaient moderne et rénovateur. Dans tous ces pays européens, et certes aussi en Grande-Bretagne, on pouvait entendre une forme moderne de la tradition locale, mais le public montrait peu d’intérêt pour ce qui se passait en dehors du pays. Lors de notre tournée avec Rum en Angleterre, nous étions un objet de curiosité. En Angleterre, on n’entendait nulle part la musique des Jamaïcains, des Indiens ou d’autres minorités, si ce n’est peut-être dans leur propre communauté. Il était encore trop tôt pour les “musiques du monde”.
Ceci jusqu’à ce qu’on se rende compte à un certain moment que le numéro un au hit-parade pop anglais s’était vendu à moins d’exemplaires que certains disques dans la communauté indienne. On pouvait bien en tirer quelques conclusions. Le monde folk anglais s’est mis à penser un peu plus large et à porter son attention sur les autres musiques qu’on pouvait entendre dans son pays et à l’étranger. Le magazine britannique Folk Roots changea de nom et devint Froots, avec comme sous-titre Local Music from Out There. De “d’abord mon propre folk” à la musique du monde, à la musique locale de partout, avec aussi de nouvelles fusions de différentes traditions.
La Flandre a connu une évolution similaire. Mon prédécesseur à Radio 3/BRT 3 était producteur de musique ethnique. L’intérêt pour la musique traditionnelle du monde entier était donc déjà présent, même plus que dans beaucoup d’émissions d’autres pays, mais bien d’un point de vue ethnomusicologique. C’est-à-dire déformé par des lunettes occidentales, avec véritablement de l’intérêt et de l’estime, mais quand même un peu condescendant.
Actuellement on parle de musiques de monde, un parapluie qui abrite toutes les formes de musique traditionnelle, de la musique ethnique et du folk juqu’à la techno arabe et l’afropop le plus dansable. Et – peut-être aussi remarquable – également la musique classique orientale, une musique avec des structures compliquées, qui nécessite un enseignement long et très approfondi. Normalement, elle devrait se trouver aux côtés de la musique classique occidentale. Le fait qu’elle soit incluse dans les musiques du monde montre bien que la vision occidentale prime encore. Quoi qu’il en soit, tous ces genres peuvent désormais être entendus dans des concerts, des festivals, sur cd et à la radio (mais sporadiquement à la tv), également en Flandre.
Les années quatre-vingts ont vu un tassement dans le monde du folk, traditionnel ou non, mais la plupart des chanteurs et des musiciens ont poursuivi sur leur voie. Trendy ou non, une fois qu’on est mordu par la musique on n’abandonne pas, même lorsque cela rapporte moins d’argent. Ensuite arriva la seconde génération de folkeux tels que Ambrozijn et Laïs, en bonne partie formés durant les stages annuels de Gooik (précédemment Galmaarden). Ces stages étaient d’ailleurs toujours complets longtemps d’avance, même durant les années quatre-vingts. Herman Dewit (‘t Kliekske, et le moteur des stages de musique traditionnelle) ne l’avait pas imaginé ainsi au début, mais ces stages annuels où l’on apprenait les traditions ont aussi permis aux rénovateurs d’éclore. Les nouvelles générations tenaient leur inspiration en partie de leurs propres racines, mais aussi de ce qu’ils entendaient dans toute l’Europe et au-delà.
Aujourd’hui, la présence de nombreux “allochtones” dans notre pays est un fait, comme dans tous les pays riches occidentaux. Par “allochtones”, on entend les gens qui ont émigré (ou dont les parents ont émigré) en Flandre pour vivre mieux, et qui ont désormais leur domicile ici. C’est aussi un fait qu’ils ne sont pas jugés bienvenus par tout le monde, mais on espère que cette étroitesse d’esprit disparaîtra petit à petit. L’homme blanc apeuré doit vaincre ses démons. La société multiculturelle est bien là, et l’on ne peut que se réjouir qu’il y ait de bons musiciens et chanteurs parmi les nouveaux Flamands ou les nouveaux Belges. Certes, il faut un peu de temps. Généralement de tels musiciens sont d’abord actifs dans leur propre communauté, animent des mariages et d’autres fêtes et chantent pour leur propre public dans leur propre langue. Et petit à petit des contacts se nouent, on joue occasionnellement avec des “autochtones”, et la pompe est amorcée.
C’est ainsi que nous pouvons voir aujourd’hui des groupes comme par exemple Olla Vogala (Flandre, Afrique du nord), Nada (Belgique, Inde, Tunisie), Nahda (Maroc, Tunisie, Irak), Melike (Turquie, Irak, Flandre, Maroc), Al Harmoniah (Flandre, Afrique du nord) ou Luthomania (Flandre, Maroc, Chine), pour n’en citer que quelques-uns.
Olla Vogala fut fondé par le violoniste Wouter Vandenabeele dont la musique a absorbé de nombreuses influences, depuis les traditions flamandes, françaises et irlandaises jusqu’à la musique classique avec de petites escapades minimalistes, répétitives ou jazzy groove. Olla Vogala tire son nom de l’ancienne coupure de phrase dans la littérature flamande et indisposa au début quelques amateurs de musique ancienne. Mais c’est un big band flamand de musique du monde, avec des musiciens flamands et nord-africains, parmi lesquels le chanteur algérien Djamel. Olla Vogala était une nouveauté en Flandre et brillait par la qualité de sa musique.
Le groupe se compose de plus de vingt musiciens qui avaient chacun leur parcours et qui faisaient de la musique où toutes les influences étaient bienvenues. L’origine ethnique n’avait strictement aucune importance. De bosn chanteurs et de bons musiciens, c’était cela la seule règle. Bien sûr, ce principe est valable pour tous les groupes, pas uniquement pour Olla Vogala. Les musiciens de jazz ont montré ici le bon exemple il y a déjà longtemps, et aujourd’hui encore le saxophoniste Pierre Vaiana, d’origine sicilienne, est très actif dans la réunion de musiciens européens et africains.
Pour l’ouverture de la foire commerciale de Gand en 2004, Wouter Vandenabeele développa un projet avec les chanteuses Savina Yannatou (Grèce) et Lamia Bèdioui (Tunisie), et une bonne année plus tard il proposa, avec la collaboration des Îles de Paix, un projet flamando-sénégalais, Hamdallaye. Pour le préparer, il partit au Sénégal pour échanger des idées, apprendre et comprendre la musique des musiciens locaux de groupes de Ngaari Law et de Daby. Non seulement cela porta ses fruits lors de la foire commerciale, mais cela résulta aussi en une tournée au Sénégal avec Ambrozijn, de sorte que ce groupe folk reçut également un baptême africain.
Dans le nord, Wouter rencontra le violoniste peul Issa Mbaye Diary Sow, originaire de Mauritanie. C’est quelqu’un qui fait de la musique depuis sa jeunesse, qui a suivi le conservatoire au Sénégal et qui est membre du groupe Diawn. Wouter et lui se produisent désormais régulièrement en duo ou accompagnés par des percussionistes d’Afrique de l’ouest.
Je me penche encore en peu sur Wouter Vandenabeele car il est important pour la vie musicale multiculturelle en Flandre et car il porte en lui l’esprit de notre temps – en tout cas, sans faire directement de la politique, l’esprit qui s’oppose aux tendances d’extrême-droite actuelles.
Ces dernières années, il était régulièrement présent avec Olla Vogala au Bijlokefestival fin août, où il a pu chaque fois inviter des musiciens et chanteurs comme la diva italienne (folk et musique du monde) Lucilla Galeazzi. Elle était aussi présente en juin 2004 à l’Olympiade culturelle à Athènes où Olla Vogala avait été invité à jouer des compositions du Grec Manos Hadjidakis, décédé il y a une dizaine d’années. Wouter travailla sa musique et l’exprima avec une version élargie de Olla Vogala qui fit entendre au public grec les chansons de Hadjidakis en néerlandais, en portugais, en norvégien ou en hongrois.
Car là aussi la formation était multiculturelle avec les chanteuses Teresa Salgueiro du célèbre groupe portugais Madredeus, Lucilla Galeazzi, Kari Bremnes de Norvège, Catherine Delasalle (de Flandre française), Beata Palya de Hongrie, les Sud-africaines Faith Kekana, Stella Khumalo et Khululiwe Sithole et aussi Eva De Roovere de Flandre. Olla Vogala lui-même était encore complété par N’Faly Kouyaté (joueur de kora du Mail très actif en Flandre, connu aussi par Afro Celts Sound System), le percussionniste jaonais Joji Hirota, le flûtiste chinois Guo Yue, le virtuose d’erhu Dong Jinming et l’Australien Matthew Doyle au didgeridoo. C’était l’idéal olympique transposé avec succès dans une langue musicale multiculturelle.
Etait également présent le joueur irakien de qanun (une cithare à cordes pincées) Osama Abdulrasol qui vit dans notre pays depuis un petit temps et qui fut aussi invité d’Oblomow. Il a étudié la musique arabe à Bagdad, le classique occidental à Londres et a formé la groupe Melike avec la chanteuse Melike Tarhan. Melike est née à Gand de parents turcs, a étudié les langues germaniques et la musique, tant la musique classique turque et occidentale que la musique traditionnelle. Son premier cd est sorti en 2004 avec comme thème l’histoire d’un garçon qui doit partir à la guerre à Çannukkale et qui y laisse la vie.
La musique est en partie traditionnelle, en partie composée dans un style turc avec des éléments occidentaux, et c’est Osama Abdulrasol qui se charge de la direction musicale. Ici aussi, nous voyons à nouveau émerger des noms flamands connus comme ceux des violonistes Wouter Vandenabeele et Stefaan Smagghe et du violoncelliste Lode Vercampt, à côté d’autres invités turcs et arabes. Mais si on y réfléchit un instant : il est logique que quelqu’un qui est né à Gand avec des racines turques et qui veut faire de la musique, puise dans les héritages turc et occidental et fasse appel à des musiciens de son voisinage. Et ce sont aussi bien des Flamands que des Wallons, des Turcs et des Arabes.
Osama Abdulrasol est d’ailleurs aussi membre de l’ensemble Nahda (Maroc, Tunisie, Irak) qui joue de la musique de la renaissance arabe de la fin du dix-neuvième siècle, début vingtième, un style musical qui s’est fait connaître par la diva égyptienne Oum Khalthoum. Ne confondez pas ce ensemble avec Nada, avec la chanteuse tunisienne Ghalia Benali en compagnie des Flamands Bert Cornelis (guitare), Pierre Narcisse (tablas), Luc De Gezelle (violon) et Tom Theuns, le guitariste d’Ambrozijn qui joue aussi à l’occasion du sitar. Des fusions arabo-indiennes dans cet ensemble, donc. Tout ceci uniquement pour faire comprendre tout ce qui se passe en Flandre.
Think of One est encore un cas à part. David Bovée et ses compagnons font une musique difficile à définir, mais qui parle immédiatement aux auditeurs. L’utilisation d’éléments de fanfare, le mélange des traditions avec du rock, du reggae et des styles de différentes parties du monde, et là-dessus une voix qui chante en dialecte anversois. Think of One va de l’avant sans trop se soucier des tendances ni des attentes des critiques.
Ils ont tourné avec leur camionnette Barkas, se sont produits où ça leur convenait et ont accumulé pas mal d’expériences. Ils ont joué avec des musiciens marocains au Maroc, avec comme résultat le Marrakech Emballages Ensemble. Un autre résultat, c’est que Think of One a reçu de la BBC Radio 3 en 2004 un World Music Award dans la catégorie Boundary Crossing : “… recognition for their audacity and open-minded approach”.
Je me souviens d’une conversation il y a quelques années avec le professeur Kwabena Nketia du Ghana, ethnomusicologue, homme de terrain, de surcroît un homme avenant et sage. Il a procédé à des enregistrements dans les années cinquante non seulement dans des villages éloignés pour collecter les rituels, mais il a aussi enregistré la musique urbaine, la musique populaire d’alors, parce qu’il avait le sentiment que cette nouvelle musique serait importante aussi. Il ne craignait pas les fusions de toutes sortes, et posait que la qualité s’imposerait dans tous les cas, mais mettait une condition à la réussite de la fusion entre musiciens de différentes cultures. Cette condition, c’est qu’il doivent comprendre la musique de l’autre. On demande donc un effort des deux côtés. Si cet effort est mis de côté, on obtient soit de la musique locale diluée dans une pop internationale à bon marché, soit un groupe européen ou américain qui utilise la musique d’une autre culture pour colorer sa propre production avec des effets sans guère de contenu.
Ces fusions vont vite disparaître car elles ne sont pas intéressantes et témoignent en outre d’une sorte d’attitude néocolonialiste. Peut-être pas intentionnellement, mais quand même. Lorsque David Bovée et les siens veulent faire de la musique avec des Marocains, ils partent au Maroc. Pour leur dernier disque “Chuva em Pó” ils sont allés au nord-est du Brésil se jeter dans les côco, frevo, maracatu et autres styles musicaux locaux qui sont eux-mêmes des mélanges d’éléments indiens, africains et européens. Et Think of One tourne ensuite avec ces musiciens locaux qui à leur tour ont leur chance en Europe. Fin 2004 a lieu ensuite une expérience avec des chanteurs inuits du Québec du nord.
Leur musique n’a pas une forte teneur Klara, pour parler en termes de radio, mais la qualité fait s’estomper toutes les frontières entre les genres. Il n’est d’ailleurs peut-être pas recommandé de travailler en prenant la teneur Klara comme critère, mais je veux parler d’une musique qui a des points d’attache en classique, en jazz, en musique traditionnelle ou en musique nouvelle. Un groupe qui réussit de ce point de vue est Luthomania, dans lequel trois luths représentent tois cultures : le pi’pa chinois de Xia Hua, l’ud arabe d’Abid El Bahri et le luth européen de Philippe Malfeyt, parfois accompagnés par le percussionniste Chris Joris qui fut preque le premier dans notre pays à fusionner sa musique avec d’autres cultures, pour faire de la musique du monde.
Xia Hua arriva dans les années nonante à Malines pour étudier le carillon; on ne lui reprochera pas de ne pas connaître notre culture. Il ne joue plus beaucoup du carillon, mais bien de son pi’pa et avec une grande virtuosité. Abid El Bahri ne joue pas de classiques maqams sur son luth arabe, il se laisse plutôt étonner et charmer par la musique traditionnelle du Maroc, d’autres pays arabes et aussi d’autres continents. Il enregistre cette musique en lui-même et la conduit vers de nouveaux chemins grâce à son talent d’improvisateur. C’est ainsi qu’il rencontra Xia Hua et Philippe Malfeyt qui donnaient cours de luth aux conservatoires de Gand et de Bruxelles et au Lemmensinstituut. Il vient du monde de la musique ancienne, mais c’est aussi un improvisateur qui considère le jazz comme la plus grande forme musicale actuelle et qui se laisse donc influencer par lui. Ainsi, ces trois musiciens d’horizons totalement différents construisent leur propre, nouvelle musique que l’on ne peut pas nommer autrement que musique du monde.
A côté de ces groupes il y a encore beaucoup de musiciens très actifs en Flandre, des musiciens de tous les continents qui s’intègrent d’une manière ou d’une autre et trouvent des âmes à l’unisson pour faire de la musique ensemble, sans se soucier des origines ethniques ou culturelles. Je pense encore à Mahir Tezerdi (Turquie), Amparo Cortés (Séville), Ialma (Galice), Abdelkader Zahnoun (Maroc), Marlène Dorcena (Haïti) ou aux nombreux chanteurs et musiciens congolais et rwandais dont un bon nombre figuraient aux côtés du chanteur blues Roland et des chanteuses de Laïs sur le podium de Couleur Café en été 2004. Pour paraphraser Arno Hintjens : Flamands, Wallons, Bruxellois, Arabes, Congolais – de vrais Belges, quoi ?
Wannes Van de Velde serait tout à fait d’accord avec cela, lui qui plongea très tôt aussi bien dans ses propres traditions que dans celles d’autres cultures. Au port d’Anvers, il entendit dans sa jeunesse beaucoup de musique d’autres contrées, c’est ainsi que la musique grecque (repetitor) l’a souvent inspiré. Il y a aussi sa passion pour le flamenco : la guitare et le kante jonde, le chant profond qui peut inspirer tant les Andalous que les Flamands. Pensez à sa collaboration avec la chanteuse Amparo Cortés, comme guitariste mais aussi comme traducteur de ses chants et de sa poésie. Ecoutez encore une fois ses accusations (poétiques) contre toutes les formes d’esprit borné.
Naturellement, tout n’est pas si simple, les immigrés n’ont pas toujours la vie facile. Tout comme beaucoup de Belges n’ont pas toujours facile dans notre société changeante et cherchent alors des solutions auprès de l’extrême droite. Mais lorsqu’on voit combien de dizaines de milliers de personnes se rendent à des festivals comme Sfinks, Couleur Café, Polé Polé, Batuki ou Dranouter ou beaucoup d’autres où la diversité culturelle est mise en bannière, cela donne quand même une tout autre image de notre pays que lorsqu’on se focalise sur l’intolérance.
Est-ce tellement naïf d’espérer que le reste de la société suive le bon exemple des musiciens et des fans de musique du monde ?
(1) Le néerlandais distingue clairement “volksmuziek”, musique traditionnelle, et “folk”, musique d’inspiration traditionnelle. En français, nous avons l’habitude de faire de “folk” une sorte de pot-pourri, contenant aussi bien la musique traditionnelle que la musique composée d’inspiration traditionnelle.
traduction : M.Bauduin
(Article paru dans les Canard Folk 260-261 de juin et juillet-août 2006)