ORIGINES
La première source irlandaise révélant le nom d’une danse irlandaise remonte à 1590. Dix ans plus tard, Fynes Moryson, secrétaire de Lord Mountjoy, a écrit que les Irlandais «dansent très volontiers, n’usant pas de l’art des mesures lentes ou des gaillardes, mais seulement de danses campagnardes». Un quatrain rédigé en 1670 mentionne quatre noms de danses. Arthur Young, dans son Tour of Ireland (1776-79), écrit que «danser est une chose commune pour les gens pauvres. Les maîtres à danser voyagent dans les campagnes, de cabane en cabane, avec un cornemuseux ou un violoneux aveugle, et le prix est de six d. et un quart. C’est un système d’éducation.»
Auparavant, la langue irlandaise –le gaélique–ne proposait aucun mot signifiant danser. Cette absence a longtemps fait circuler un bruit selon lequel la danse n’existait pas en Irlande. Mais il existait des danses à caractère religieux ou guerrier chez les Celtes, dont les Irlandais font partie. Bien qu’un témoignage écrit atteste que les envahisseurs normands ont introduit des danses en Irlande vers 1410, il serait étonnant que les Irlandais n’aient pas connu la danse avant cette époque.
DANSES
La musique traditionnelle irlandaise représente, avec le fado portugais, le plus vivant exemple de transmission orale de la tradition musicale en Europe de l’Ouest.
Principalement originaire des XVIII et XIXe siècles sous la forme que nous connaissons actuellement, la musique traditionnelle irlandaise se compose de chansons d’une part et de musique instrumentale d’autre part. Cette dernière se subdivise en musique à danser et airs instrumentaux destinés à être simplement écoutés. La musique de danse constitue un énorme répertoire (plus de 6.000 mélodies ou tunes) recourant à plusieurs types de danses dont les principales sont la jig ou gigue –il en existe trois formes : la double jig, la moins courantes ingle jig, toutes deux en 6/8, et la slip jig(ou hop jig)en 9/8, auxquelles on ajoute généralement le slide, sorte de single jig rapide en 6/8 ou 12/8qui se caractérise par ses pas glissés, d’où son nom–le reel et le hornpipe.
1ere partie de «A Visit to Ireland», double jig dont l’unité rythmique de base consiste en 2 groupes de 3 croches.
Son autre caractéristique réside dans la dernière mesure comprenant 3 croches et une noire, celle-ci reproduisant la même note que les 2e et 3e croches.
En général, quelle que soit la danse, la structure usuelle adopte la forme A A B B; La première partie (A) s’appelle tune, la seconde turn. Comportant quatre ou huit mesures chacune, elles forment ce que l’on appellerait en analyse classique un «antécédent-conséquent»ou, pour faire moins savant: une sorte de «question-réponse». Chaque partie est répétée(sauf dans la slip jig), mais la fin de la reprise est parfois légèrement modifiée (A A’ B B’) pour permettre aux danseurs de savoir quand ils doivent s’apprêter à un pas différent. On rencontre parfois une troisième (C) et plus rarement encore une quatrième partie (D) concluant la danse; dans la majorité des cas, ces 3eet 4eparties sont des variations–composées par un musicien-interprète–qui se sont introduites dansle répertoire au fil du temps.
Du point de vue harmonique, la musique traditionnelle irlandaise est diatonique, et se joue principalement dans les tonalités de sol, de ré et de la majeur. Le mode majeur domine très largement; les rares tunes en mineur se jouent en mi ou en la.
1ere partie de «Christmas Eve», single jig dont l’unité rythmique présente 2 groupes de noire-croche.
1ere partie de «The Kid on the Mountain», slip jig; unité rythmique de base: 3 groupes de 3 croches.
1ere partie de «Tomorrow morning», hornpipe: mesure 4/4 = 4 pulsions par mesure.
1ere partie de «The Mason’s Apron», reel: mesure 2/2(ou C barré)= 2 pulsions par mesure.
Les polkas –particulièrement prisées dans le comté de Clare–, valses et quelques autres rares danses importées mises à part, il existe encore une danse irlandaise particulière: le «set-dance». Inventées par les maîtres à danser, ces danses reçurent un nom particulier à cause de leur structure différente qui requérait une danse spéciale pour chaque mélodie. Le plus connu des set-dances est probablement The Blackbird dont les deux parties comptent respectivement 8 et 15mesures.
INSTRUMENTS
Le terme oïrfideach(celui qui souffle) désignant un musicien en ancien irlandais suggère que les premières musiques apparues en Irlande étaient jouées par une cornemuse ou une flûte. Le mot piopai (pipe, désignant une cornemuse en anglais) est signalé pour la première fois dans un poème contenu dans le Book of Leinster, manuscrit datant d’environ 1160; dans ces mêmes vers, sont mentionnés le fidli (fiddle, violon), ancêtre probable du violon en Irlande, et le timpán, instrument à cordes dont on jouerait avec un archet –sans qu’aucune autre précision ne soit connue à ce propos.
La harpe irlandaise naquit dans le courant du IXe siècle; son existence est attestée dans le psautier de Folchard émanant du monastère irlandais de Saint Gall. L’instrument–muni de cordes en laiton et cuivre, à la caisse de résonance creusée d’un seul bloc dans du saule–, la beauté de son timbre et l’habileté des harpistes sont cités dès le XIIe siècle par Giraldus Cambrensis. Jusqu’au XVIe siècle, les harpistes jouirent d’une haute considération et d’une situation sociale enviable; par la suite, les Anglais les persécutèrent en tant que représentants de la résistance irlandaise. Le déclin de la noblesse qui les entretenait et les protégeait fit d’eux des ménestrels ambulants dont l’exemple le plus fameux est Turlough O’Carolan (1670-1738) (voir ci-après). L’instrument disparaît au début du XIXe siècle avec Arthur O’Neill, dernier harpiste.
À partir de la fin du siècle dernier, débute lentement la renaissance d’un instrument dont les cordes ne sont plus en métal mais en boyau, connue aujourd’hui sous le nom de harpe celtique.
La cornemuse irlandaise ou uillean pipes est constituée de 3 bourdons, de régulateurs à 12 clés (pour l’accompagnement), d’un soufflet actionné par le coude, d’un sac (coincé contre la hanche), et d’un chalumeau à deux octaves.
Quant aux percussions, elles se limitent au seul bodhrán,qui mesureen-viron60 cm de dia-mètre et 12 cm de haut;son cadre est en frêne et sa peau est frappée par un petit bâton de bois d’à peu près 20 cm de long. Formé d’une partie centrale semblable à un gros crayon à chaque bout duquel on trouve une partie ovaloïde, ce tipper est tenu entre les doigts,l’essentiel du travail étant effectué par le poignet.
Les autres instruments sont le violon, toujours appelé fiddle, plusieurs types de flûte (l’Irish concert flute–en bois, fort proche de la flûte traversière du XIXe siècle–et les whistles, «flûtes à bec»en métal ou en bois), l’accordéon diatonique et sa petite sœur, la concertina(sorte de petit accordéon hexagonal, surtout en usage dans le comté de Clare).
De nos jours, le banjo ténor (4 cordes), la mandoline (à fond plat), la guitare (dont l’accord est souvent DADGAD ou ré la ré sol la ré, «inventé»par Davey Graham dans les années 1960, au lieu de l’accord classique mi la ré sol si mi), le cistre (proche de la mandole et du bouzouki, à 4 ou 5 chœurs) ainsi que le bouzouki sont également employés.
Ce dernier fut importé au début des années 1970 à la suite d’une erreur! Alec Finn demanda à un ami qui se rendait en Grèce de lui rapporter un luth, mais l’ami se trompa, et lui rapporta un bouzouki, cousin du luth. Finn se contenta du bouzouki, instrument à caisse piriforme à fond bombé comportant un long manche muni de3 chœurs ou doubles cordes. Par la suite, le luthier Peter Abnett fabriqua, en collaboration avec Alec Finn, un instrument quelque peu différent: forme de larme et fond plat,4 chœurs, cordes et accord différents. Ainsi naquit le bouzouki irlandais. Trois autres musiciens utilisèrent le bouzouki dès les années 1970: les célèbres Andy Irvine et Donal Lunny, ainsi que Johnny Moynihan.
TITRES ET SOURCES
Transmise oralement comme presque toutes les traditions «populaires», la musique traditionnelle irlandaise dépendit durant des siècles de la mémoire des fiddlers, pipers et autres interprètes qui transmirent les tunes à leurs fils, neveux et amis. Si la mémoire purement musicale ne fut que rarement prise en défaut –d’une part, le nombre de tunes parvenues jusqu’à nous en témoigne, et de l’autre, les différences entre diverses versions sont quasiment insignifiantes: on peut presque toujours très aisément reconnaître la mélodie–, il en va tout autrement quant aux titres des dites tunes… En effet, bon nombre de mélodies portent plusieurs titres fort différents.
C’est par exemple le cas du reel Ah, Surely également intitulé The Bonfire, The Boys of Twenty-Five, The Killaghbegou Killybeg House, The Rose in the Garden, The Windy Gap; de la gigue (Old) Apples in Winter parfois désignée sous les noms General White’s, Joe Kennedy’s Jig, The Misfortunate ou Unfortunate rake, (Next) Sunday is my Wedding Day, Rattle the Quilt, The Shamrock ou encore The Squint-Eyed Piper; etc.Un dernier exemple est le reel The Boyne Hunt connu sous plus de 70 titres différents… Attention à ne pas confondre le hornpipe The Fisherman’s lilt avec la gigue The lilting fisherman!
Une des premières sources de musique irlandaise fut publiée par Cooke à Dublin en1793: Selection of Favourite Original Irish Airs arranged for Pianoforte, Violin or Flute.Le premier grand collecteur de musique traditionnelle irlandaise fut Edward Bunting (1773-1843). Il fit connaissance avec cette musique en 1792 lorsqu’il fut engagé comme transcripteur au Festival de harpe de Belfast. Après ce festival, il commença à collecter la musique irlandaise, rendant visite à quelques harpistes et parcourant les campagnes à la recherche de mélodies. Son premier volume parut en 1796; il contenait 66 airs, dont beaucoup n’avait pas encore été publiés. Son dernier volume (1840) consiste principalement en matériel déjà recueilli en 1809, mais inclut aussi une description des méthodes utilisées par les harpistes avec des notes concernant leur vie et leurs habitudes, ainsi qu’une liste de termes techniques relatifs à la harpe et à la musique en général.
George Petrie (1790-1866), antiquaire et artiste, fut le second collecteur le plus important. Il est reconnu comme un des principaux fondateurs de la Society for the preservation and publication of the Melodies of Ireland, première société du genre, qui planifia cinq publications par an, contenant chacune 200 airs arrangés et copieusement annotés. Mais il n’y eut qu’une seule publication de Petrie: The Ancient music of Ireland(1853-1855). Un second volume fut publié de manière posthume en 1882. Hélas, les tunes contenues dans ces deux ouvrages furent arrangées «au goût du jour». Les collections manuscrites de Petrie,contenant 2.148 pièces, furent finalement confiées au compositeur, pédagogue et chef d’orchestre Sir Charles Villiers Stanford (Dublin, 1852-Londres, 1924) pour être publiées. Son édition The Petrie Collection of Irish Music(1902-05) contient 1.582 mélodies –500 furent supprimées–malheureusement non classées de manière systématique. On doit aussi à Stanford l’arrangement pour une voix et piano de plusieurs chansons irlandaises, dont Moore’s Irish Melodies Restored, op. 60.
Il faut encore mentionner Patrick Weston Joyce (1827-1914) qui édita 824 airs dont une centaine avec accompagnement de piano; W. Forde (c 1795-1850), premier collecteur à travailler systématiquement; J.E. Pigot (1822-1871) et J. Goodman (1828-1896). Les ouvrages de ces trois derniers ne furent pas publiés.Francis O’Neill (1849-1936), né à West Cork, émigra à Chicago à l’âge de seize ans. Sa vie mouvementée le vit successivement exercer les métiers de marin, éducateur et finalement «General Superintendent»de la police de Chicago. Il est connu comme collecteur et éditeur des deux principales collections de musique traditionnelle irlandaise d’avant le milieu du XXe siècle : The Music of Ireland(1903) qui contient 1.850 mélodies, et The Dance Music of Ireland(1907), recueil dans lequel figurent 1001 mélodies. Une bonne partie de ces dernières provient de son premier ouvrage, mais il effectua également des adjonctions. Fervent amateur, O’Neill semble avoir débuté en notant grand nombre de mélodies dont il se rappelait de sa jeunesse en Irlande, mais il commença sa collection sans intention de la publier. Il rencontra cependant un tel enthousiasme de la part de nombreux amateurs de musique irlandaise qu’il se mit de plus belle au travail, et fut finalement capable d’éditer plus de 2.000 mélodies. O’Neill n’aurait pu effectuer ce travail sans l’aide de la communauté irlandaise de Chicago, à laquelle appartenaient bon nombre de chanteurs et instrumentistes. En outre, O’Neill a écrit deux livres: Irish Folk Music(1910) et Irish Minstrels and Musicians(1913) qui contiennent énormément de renseignements à propos de la musique et des musiciens irlandais.
Si les ouvrages d’O’Neill, qui présentent chaque tune sous ses titres gaélique et anglais, furent les sources les plus importantes et les plus fiables avec les trois volumes de F. Roche (Collection of Irish Aris, Marches and Dance Tunes, Dublin, 1911-1927) jusque dans les années 1960, il faut aujourd’hui mentionner l’ouvrage remarquable du regretté Breandán Breathnach: Ceol Rince na hÉireannqui consiste en 5 volumes publiés à partir de 1963, dont le seul défaut –pour ceux qui ne lisent pas le gaélique–est de présenter le titre de chaque tune ainsi que des annotations uniquement en gaélique… L’index des mélodies est organisé par danse, et comporte les titres gaéliques et anglais classés par ordre alphabétique. L’amateur devra donc effectuer un travail fastidieux de recherche à partir du numéro de la mélodie, seul moyen d’obtenir le titre en anglais…
Au XIXe siècle, l’émigration massive d’Irlandais vers l’Amérique du Nord a contribué à la diffusion de la musique traditionnelle irlandaise qui a peu à peu été incluse dans d’autres styles. De nombreux reels irlandais ont été repris, entre autres par le bluegrass et la musique traditionnelle québécoise. Par ailleurs, certaines publications, par exemple la Ryan’s Mammoth Collection: 1050 reels, jigs, hornpipes,…(1883) contenant des tunes indubitablement irlandaises prétend présenter de la musique populaire américaine.
TURLOUGH O’CAROLAN(1670-1738)
Le harpiste Turlough O’Carolan –Toirdhealbhach Ó Cearbhallaín en gaélique–fut un des nombreux compositeurs-interprètes itinérants vivant à l’époque en Irlande. Dernier d’entre eux à composer, il est le seul dont on connaît plus ou moins bien la vie. Àl’âge de 14 ans, son éducation fut prise en charge par une certaine Lady Mc Dermott Roe qui employaitJohn, père de Turlough. Lorsqu’à 18 ans, Turlough fut frappé de cécité après avoir contracté la petite vérole, elle l’envoya se former auprès d’un harpiste également dénommé Mc Dermott Roe, un deses parents. Après trois ans d’études, Lady Mc Dermott Roe offrit une harpe, un cheval et de l’argent à O’Carolan afin qu’il commençât sa carrière de musicien ambulant. Àcette époque, il ne composait pas encore et n’y pensait pas; il était harpiste, et pas des meilleurs car il avait commencé à jouer de la harpe trop tard pour maîtriser parfaitement toutes les difficultés techniques. Cependant, lorsqu’il s’arrêta pour la première fois dans une demeure afin d’y exécuter des airs, les propriétaires lui demandèrent de composer quelque chose. C’est ainsi qu’il se mit à composer sa propre musique, en général en chemin, de manière à ce qu’un nouveau morceau soit prêt à la halte suivante. Il lui arrivait ensuite d’adapter des paroles à ses mélodies. Il épousa une certaine Mary Maguire qui lui donna six filles et un fils qui devint également harpiste et publia un recueil d’œuvres de son père en 1748 ou un peu plus tard.
O’Carolan voyagea durant toute sa vie, et se produisit de nombreuses fois à Dublin où il rencontra presque certainement le compositeur baroque italien Geminiani durant l’un des séjours de celui-ci, en 1734 et en 1737. D’après la tradition orale, un concours de composition fut organisé, O’Carolan le remportant avec une pièce que l’on intitula «O’Carolan’s Concerto», qui n’a bien entendu de concerto que le nom. Sa musique, essentiellement écrite sur des rythmes de danse, est empreinte d’une triple influence: la mélodie populaire irlandaise, la musique traditionnelle pour harpeet la musique baroque italienne (Vivaldi, Corelli,…). Remarquons que O’Carolan fut le seul harpiste et compositeur à introduire des influences extérieures à la musique irlandaise.
O’Carolan fut hautement apprécié comme en témoignent la foule qui se pressa à ses funérailles et la publication d’un recueil de ses pièces après sa mort, ce qui est rarissime voire unique pour un musicien ambulant. Son œuvre comporte214 mélodies, dont un certain nombre porte le titre de «Planxty»suivi d’un patronyme. O’Carolan fut le seul à utiliser ce terme étrange qui signifie probablement «hommage à».
L’œuvre de O’Carolan est répartie en sept manuscrits qui se trouvent dans six bibliothèques à Dublin, Belfast et Boston. Dans la plupart des cas, la mélodie se présente seule, sans accompagnement. Une dizaine d’exceptions propose un accompagnement simple –une ligne de basse–dont l’harmonie, qui se caractérise entre autres par des octaves parallèles à la mélodie, donne fort peu d’indications quant au style d’interprétation de O’Carolan. Ce problème est d’autant plus difficile à résoudre que le recueil publié par son fils, dont il ne reste qu’un exemplaire, est incomplet. La musique de Turlough O’Carolan, tombée aux oubliettes durant fort longtemps, fut remise à l’honneur par le regretté Sean O’Riada (1931-1971) dès les années 1950.
Épinglons deux excellents CDs entièrement consacrés à O’Carolan: Máire Ní Chathasaigh à la harpe & Chris Newmanà la guitare (Old Bridge Music CD 06) pour une approche «traditionnelle», et The Harp Consort(DHM 05472 77375 2) pour une lecture «baroqueuse».
INTERPRÉTATION
L’Irish traditional music diffère à bien des égards de la musique «savante». Cette dernière se présente –à l’exception de la basse continue baroque–sous forme de partition prête à être étudiée, ce qui est loin d’être le cas de la musique traditionnelle. Une autre différence de taille est l’aspect diatonique (pas de chromatismes) de la musique irlandaise.
Évoquons l’important travail à effectuer pour jouer cette musique.
Vu que chaque danse est très courte –environ 45 secondes pour un hornpipe joué une seule fois, reprises comprises–, les musiciens juxtaposent toujours au moins deux danses voire plus, formant ainsi une suite, surtout dans le cas d’une exécution en concert lors duquel les auditeurs écoutent forcément plus attentivement que les danseurs qui souhaitent au contraire moins de danses différentes jouées plus de fois.Il faut dès lors sélectionner, au sein de l’énorme répertoire, quelle danse va succéder à quelle autre danse. Ensuite, à part quelques éditions modernes pour amateur, les partitions ne comportent que la mélodie; tout groupe de musiciens se doit donc d’harmoniser et arranger ces mélodies, c’est-à-dire choisir des accords pour les accompagner, éventuellement composer une deuxième voix, imaginer une introduction, etc.
1ere partie de «Dougherty’s Fancy»,harmonisation et 2e voix par F.E.de Wasseige.
Enfin, pour se produire en concert, le groupe procède à l’instrumentation, à savoir décider quel(s) instrument(s) commence(nt) la suite, quel autre instrument s’ajoute ou prend le relais,… Sans oublier la mise en place finale qui prend en compte l’ornementation, en principe différente selon l’instrument. On l’aura compris, jouer la musique traditionnelle implique un important travail personnel qui pourrait partiellement s’assimiler –hormis la mélodie–à une tâche de compositeur-interprète.
À ce propos, relevons enfin que de nombreux groupes ou interprètes actuels composent des tunes dans le style traditionnel; c’est le cas de De Danann, Shantalla, du fiddler Frankie Gavin, du flûtiste Mat Molloy, etc.
Plusieurs musiciens traditionnels se sont taillé une grande réputation de compositeurs, par exemple Charlie Lennon, Tom Anderson,… Par ailleurs, divers groupes ont adapté des œuvres d’autres styles : notons par exemple l’Irish March–extraite de The Battlede William Byrd (1543-1623), virginaliste anglais–arrangée par Planxty, de l’Arrivée de la Reine de Sabade Haendel transformé par De Danann, ou de Music for a found harmonium de Simon Jeffes (1949-1997) repris par le groupe Patrick Street.
C’est ainsi que la musique traditionnelle évolue peu à peu et poursuit sa merveilleuse aventure vivante.
Si vous ne pouvez vous rendre en Irlande ou à autant de concerts de musique irlandaise que vous le souhaitez, voici une liste (de loin non exhaustive) d’excellents groupes et musiciens dont je vous suggère l’écoute des CDs, que vous trouverez en location à la Médiathèque de la Communauté Française de Belgique:
Altan, The Boys of the Lough, The Bumblebees, Cían, De Danann, Danú, Dervish, La Lugh, Lúnasa, Patrick Street, Shantalla, les accordéonistesJoe Burkeet Sharon Shannon, le chanteur et instrumentiste Andy Irvine, le flûtiste Matt Molloy(ci-contre), le guitariste Arty McGlynn, les pipers Paddy Keenan et Liam O’Flynn, le bouzoukiste Donál Lunny, le banjoïste Gerry O’Connor, les fiddlers Kevin Burke, Frankie Gavin et Tommy Peoples, la whistle playerMary Bergin, ainsi que le légendaire groupe «The Bothy Band», qui quitta malheureusement la scène en 1979, premier groupe irlandais que j’ai découvert et grâce auquel je suis passionné de musique irlandaise depuis 1975…
© François-Emmanuel de WASSEIGE
licencié en musicologie ULB,
membre fondateur des «Wallebake»et de «Turlough»
SOURCES
articles Carolan et Ireland, The New Grove’s Dictionary of Music and Musicians, ed. Stanley Sadie, London, 1980/R 1991
The Complete Works of O’Carolan, Ossian Publications, 1989
Breandán Breathnach, Folk Music and Dances of Ireland, Dublin, 1971, R/ Ossian, 1996
Fintan Vallely (ed.), The Companion to Irish traditional music, Cork, 1999
O’Neill’s Book of Ireland Music, Francis O’Neill, Chicago, 1903, Oak Publications, 1976
… et nombreux numéros de Irish Music Magazine ainsi que notices de CDs.
(paru en 2011)