La Musique Traditionnelle Québécoise
un aperçu … compilé par Pierre Depret avec l’aide de Robert Ayotte
Chapitre 4 : chansons à répondre, turluttes et tapages de pieds
Contrairement à ce qui passe ici, beaucoup de soirées ou de veillées québécoises sont dédiées principalement à la musique instrumentale et à la chanson, et assez peu à la danse de bal.
Il y a toutefois une longue tradition toujours vivante des soirées de danses menées par un câlleur, qui explique et indique les figures au fur et à mesure des danses carrées, en ligne et à figures (les seules que les curés autorisaient, pour éviter les danses de couples trop rapprochés) : nous en avons eu une très belle illustration récemment (novembre 2019) à la maison du peuple à St Gilles où un bal traditionnel québecois fut magnifiquement câllé par Mélina Mauger-Lavigne accompagnée ici avec brio par le groupe français La Veillée (Corentin Boizot-Blaise : violon, podorythmie, Simon Degrave : banjo, podorythmie et Darius Lecharlier : bouzouki, podorythmie) auquel s’est parfois joint le violoniste Gabriel Lenoir.
En dehors des concerts et des groupes qui ont redécouvert et ravivé ce répertoire (Le Rêve du Diable, La Bottine Souriante, le Vent du Nord, De Temps antan, La Volée d’Castors, Genticorum, Les Langues Fourchues, Les Frères Lemay, Les Chauffeurs à Pieds, Galant tu perds ton temps, La Bardasse, …), pour les québecois “lambda”, les chansons traditionnelles sont souvent chantées pour occuper les longues soirées d’hiver, principalement lors du temps des fêtes (Noël et Nouvel An), lors du carnaval, et aussi lors du temps des sucres (au moment où l’on cuit la sève d’érable pour en faire le sirop du même nom).
Pendant 200 ans, suite à l’isolement géographique et culturel des ‘canadiens français’, beaucoup de chansons traditionnelles de l’ouest de la France (Normandie, Saintonge, Mayenne, …) se sont perpétuées et souvent transformées (paroles et musiques), réinventées et remodelées, oubliant ou rajoutant des couplets. Il en résulte de nombreuses variantes plus pittoresques les unes que les autres. J’ai ainsi retrouvé le texte complet de la chanson ‘Les garçons sont changeants’ dans un CD de collectage «En revenant de noces » de Normandie sous le titre « Les garçons sont trompeurs».
Les chansons à répondre
Comme en Bretagne et dans la culture populaire de nombreux peuples, beaucoup de chansons du répertoire québécois sont des chansons à répondre ; pour les veillées en famille, en groupes d’amis ou même en salle de concert, cette forme musicale a de nombreux avantages pour la tradition orale : une seule personne (le meneur) doit vraiment connaître les paroles mais toute l’assemblée peut participer ; le public alterne entre la progression de l’histoire et les réponses qui confirment que ‘tout le monde suit’ ; et à force de répéter, on finit bien vite à apprendre la chanson qui s’ancre dans la mémoire.
Souvent les chansons québécoises ont aussi incorporé des refrains à rallonge, à répétition, avec des mots rajoutés après chaque couplet ; je vous en cite quelques-unes extraites de ma compilation de plus de 70 chansons à répondre (fichier *pdf complet disponible sur demande) :
– Ya sa pitchou ma ch’mise de velours y faisait nouère hier au soir
– Prends ta caisse de bière couche toué dehors on voit pas clair
– Dondaine laridaine matapatalimatou matantalou laridé
– Laribonbon lalirette laribonbon laridé
– Hi hein han mantanture lanlire
– …
Ce répertoire est-il vivant ? Quelques groupes ont voulu dans les années 70 renouveler le genre et métamorphoser le folklore québécois, qui était un peu figé dans la tradition, les chansons bien pensantes, et qui a longtemps connu, comme ailleurs en Europe, un sérieux contrôle par la censure du clergé.
Les frère et soeur Séguin, Jim (Corcoran) et Bertrand (Gosselin), Jocelyn Bérubé, Breton-Cyr, Louise Forestier, Garolou, François Guy, Plume Latraverse, Paul Piché, Fabienne Thibeault, Guy Trépanier et Gilles Valiquette y ont contribué, aidés en 1978,par la fondation de l’ADISQ (Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo) qui avait comme mandat de «travailler à la survie et à l’épanouissement d’une production musicale indépendante et moderne».
Mais les créations réussies sont plutôt rares…
Renouveler le style de la chanson traditionnelle n’est pas simple. Le groupe VENT DU NORD, dans plusieurs de ses albums, a composé de nouvelles chansons sur de nouveaux airs, avec une veine à la fois patriotique, régionale et moderne mais à la mode d’air anciens : personnellement je ne suis pas vraiment convaincu…
Dès le début, le groupe LA BOTTINE SOURIANTE a probablement le mieux fait la synthèse ancien/nouveau par la remise à l’honneur de chansons traditionnelles originales, au moyen de versions collectées (souvent bien documentées maintenant dans les archives universitaires et patrimoniales, dans les campagnes, les familles, les ‘rangs’ (les découpages des territoires agricoles) isolés. Mais quand ils ont ajouté une section de cuivres (trombones, trompettes,…) à l’instrumentarium, on est un peu surpris : en allant écouter la Bottine à l’Ancienne Belgique, j’ai échangé avec un Flamand qui venait écouter le concert pour élargir le répertoire de sa fanfare locale !
Le turlutage
Beaucoup de chansons incorporent, en remplacement de paroles, des séquences de turlutage, une sorte «tadelidelam» avec diverses variantes (en anglais, on dit le ‘diddeling’).
Officiellement (wikipédia), le turlutage ou la turlute est une forme d’expression musicale qui consiste à chanter des onomatopées sur des airs traditionnels de violon, qui se caractérise aussi par un tempo enlevé, par quoi les turluttes prennent souvent l’allure d’impossibles virelangues; les mélodies turlutées sont d’ordinaire
dansantes et joyeuses (comme d’ailleurs la plupart des chansons québécoises).
La représentante historique la plus connue du turlutage est Mary Travers, dite La Bolduc, dans les années 1930. La Bolduc, originaire de la Gaspésie, a été une compositrice prolixe et populaire, qui traduisait dans ses chansons la vie des villes et des campagnes. Musicienne autodidacte (elle jouait du violon, de l’harmonica, de l’accordéon et de la guimbarde), considérée comme la première autrice-compositrice-interprète du Québec, elle a connu un succès phénoménal auprès du public québécois et la consécration par le biais du disque. La Bolduc, de par son style à cheval entre le folklore (elle composait des chansons comiques, anecdotiques, parfois à la limite du grivois, certains journaux malgré son succès ont critiqué même sa «vulgarité, ses fautes de français et son style campagnard») et la modernité, a donné à la chanson québécoise des années 1920-1930 un vent de fraîcheur en plein cœur de la Grande Dépression, en racontant le quotidien (parfois bien difficile) des petites gens de la ville et des campagnes, et ce, dans la langue du peuple. Une sorte de Bob Deschamps en somme…
La chanson “Quand plus rien ne va” (2000), du groupe Mes souliers sont rouges, est consacrée à la turlute et à ses homonymes, mais en a fait dériver le sens, suggérant d’associer turlute et plaisirs agréables de la culbute…aah, ces maudits Français !
Un des avantages de cette technique, c’est qu’elle permet aussi de reprendre de l’air très rapidement tout en continuant à chanter, comme la guimbarde ou le didgeridoo (essayez un peu et vous y parviendrez) qui mettent un continuo dans la musique chantée.
Une explication parfois citée par les Acadiens est que lors des déplacements forcés de populations qui ont eu lieu au 18ième siècle, les violons étaient interdits et avaient été brûlés, les gens ont continué à faire de la musique seulement en turlutant.
Cette habitude est-elle uniquement québécoise ou nord-américaine ? Dans un enregistrement sur la chanson folklorique en Wallonie, je me rappelle très bien un viel ardennais raconter que lors des soirées, on ‘târlatait’ quand on n’avait pas d’instrument. Est-ce un retour de la pratique d’outre atlantique ? Qui sait ?
Les tapeux d’pieds
La podorythmie (néologisme pour “tapage de pieds”) est une technique de percussion très utilisée dans la musique traditionnelle québécoise et acadienne.. Elle consiste à produire un son en tapant ses pieds contre le sol ou -de plus en plus souvent pour les musiciens professionnels-, contre une planche qui est également sonorisée au micro pour un réglage optimal. Elle accompagne souvent le violon ou l’accordéon, le joueur d’harmonica, le guitariste (moins confortable car l’instrument bouge un peu) voire le chanteur solo.
Wikipédia vous donne une liste de plus de 40 artistes qui maîtrisent la technique et l’utilisent très souvent lors de leurs concerts : parmi ceux-ci, je vous recommande les plus célèbres : Gervais Lessard (le Rêve du Diable), Alain Lamontagne (aussi joueur de ruines-babines), Eric Beaudry, Pascal Gemme, l’incontournable déjà souvent cité André Marchand, Michel Bordeleau.
Je vous recommande aussi les explications complémentaires sur la podorythmie en regardant le dialogue entre “Lamontagne et le Bordeleau” où les deux compères pendant une dizaine de minutes tentent d’élucider les origines de la podorythmie tout en faisant la démonstration des pas de base. Suivez le rythme !
Sources d’inspiration :
traditionsvivantes.com/tag/chanson-a-repondre/
www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/chanson-au-quebec
Le site des chansons à répondre :
page.ca.inter.net/yvondian, conçu, réalisé et maintenu par Yvon et Dianne Sabourin.
(article paru dans le Canard Folk de juillet 2021)