La mazurka valait bien qu’on s’y intéresse un peu. Pour les danseurs débutants, cette danse est un peu mystérieuse : on l’apprend bien après la polka et la valse, on entend dire qu’il en existe différents pas …

En fait, ce que nous dansons communément comme « mazurka » est plutôt une polka-mazurka, c’est-à-dire une espèce de combinaison de pas de polka et de rythme de mazurka. Et quand nous dansons la mazurka-valse (pas de polka et pas de valse), c’est en réalité une polka-mazurka-valse !

Cette simplification d’appellation ne pose pas de problème tant qu’on reste dans nos contrées. Mais si l’on va voir dans son pays d’origine, la Pologne, on se rend compte que la véritable mazurka est tout à fait différente de la polka-mazurka, et bien plus compliquée.

Sans aller jusqu’en Pologne, on peut trouver pas mal de renseignements intéressants en fouinant dans la montagne d’encyclopédies musicales et autres qui sommeillent dans la Bibliothèque Royale.

Commençons par régler le sort de la polka-mazurka, dont on parle assez peu dans ces dictionnaires.

Le Larousse Illustré en 22 volumes dit :

« La polka-mazurka, qu’on appelle communément mazurka, est une sorte de polka exécutée en répétant presque deux fois e pas de cette danse. Le pas s’exécute sur deux mesures à trois temps.
Première mesure : glisser un pied, rassembler l’autre, élever le premier pied en sautant sur le second ; deuxième mesure: glisser de nouveau le premier pied en exécutant sur le rythme de la musique les trois pas de polka et sauter sur ce premier pied.
Refaire ensuite les mêmes mouvements en commençant sur le second pied. Les danseurs doivent tourner sur la seconde partie du pas (sur la seconde mesure): le cavalier sur sa gauche en avant, la dame sur sa droite en arrière , »

D’après le dictionnaire de la musique (dir. Honegger, Bordas 1976), la polka-mazurka fut pratiquée surtout en France et en Russie. L’encyclopédie universelle illustrée espagnole de 1922 la définit comme une danse de rythme 3/4, d’origine allemande, de mouvement modéré, combinaison de polka et de mazurka.

La mazurka proprement dite porte différents noms : on l’appelle aussi mazourka, mazur, mazoure, mazurke, Mazurek. Le verbe mazurker (mazourker), les substantifs mazurkeur et mazurkeuse étaient utilisés (cf. Larousse illustré).

Au départ, c’est une danse populaire polonaise qui fut notée en Mazovie (d’où son nom) -région de Varsovie- déjà au XVI siècle, dans sa forme chantée avec accompagnement instrumental rudimentaire.

A partir de 1600, elle se répand dans toute la Pologne, y compris dans les plus hautes classes de la société et devient danse nationale, tout en restant aussi une danse paysanne.

A partir du XVIII siècle, elle se répand dans les pays voisins: à la cour d’Allemagne grâce à Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne (1697-1733); dans la haute société parisienne; en Russie, dans l’aristocratie comme dans les campagnes; en Angleterre (vers 1830?) et, de là, aux Etats-Unis.

« Dès 1809, la mazur était jouée dans tous les bals, à Paris, puis à Florence et à Saint-Pétersbourg » (Oict.de la mus. Bordas 1976). Elle était encore en vogue à la fin du XIX siècle.

Caractéristiques générales :
C’est une danse tournante, par couples, de rythme 3/4 ; certains temps faibles (le 2è ou le 3è) sont fortement accentués, avec coups de talon; le tempo (vitesse) peut varier considérablement, le nombre de figures est élevé et laisse le champ libre à l’improvisation.Des variétés régionales, également issues – selon Grove’s- de l’antique polska, sont la kujawiak, plus lente, et l’oberek, plus rapide.

Selon « Die Musik in Geschichte und Gegenwart »,on nomme également les danses d’après leur sens de rotation: odsibka = vers la droite; ksebka, na kseb = vers la gauche. Les habitants du district de Kujawy ont une danse lente qu’en Mazovie on appelle Kujawiak, tandis que les Mazoviens ont une danse plus rapide qu’à Kujawy on nomme Mazur (ou Obertas)!

Jusque vers 1900-1915, un cycle de danses « sautantes » était en vogue parmi le peuple : d’abord une danse lente, la chodzony (« danse marchée », variété populaire de la polonaise), ou powolny,ou lazony: puis une danse tournante lente, la spiaçy ou ksebka;puis une danse plus vive, na odsib.

A chaque changement du sens de rotation correspondait un changement de tempo.Ce cycle portait le nom de okragly (ronde). A l’okragly appartiennent : 1) chodzony; 2) ksebka, ou Kujawiak lente; 3)odsibka, ou Kujawiak proprement dite; 4)obertas ou mazur.

Les enregistrements les plus récents du folklore kujawien ont montré que dans de tels cycles, souvent on ne jouait qu’une seule mélodie, mais à des vitesses de plus en plus grandes, et en l’ornementant chaque fois de manière différente.

Le cycle okragly est maintenant tombé en désuétude, ses composants sont devenus indépendants et leur tempo s’est stabilisé : 100-120 noires par minute (en 3/4) pour la chodzony,12D-140 pour la Kujawiak le.te, 130-160 pour la Kujawiak proprement dite, 160-184 pour la mazur, 180-240 pour l’oberek.

L’actuelle danse populaire Kujawiakest une synthèse des deux Kujawiak ksebka et odsibka. C’est une danse par couples, sérieuse, fluide, sans sauts ni jeu de jambes, sans forts accents ni coups de talon. On ne tape du pied qu’au changement du sens de rotation.

On rencontre dans la mélodie aussi bien les modes de RE ou de LA que des changements chromatiques à partir du 4è ou du 7è degré. Elle peut commencer sur différents degrés.

La Kujawiak appara1t soit comme une chanson, soit comme un instrumental avec des rentrées vocales. Sa structure est symétrique (phrases de 2 fois 4 mesures). Le tempo lent (mais très libre, avec des retards) permet au violoniste j’orner la mélodie de triolets, de mordants, de trilles , etc.

La Kujawiak chantée a un caractère instrumental manifeste. A Kujawy, ce n’est pas le chanteur qui est au centre de l’intérêt musical, mais bien l’instrumentiste. Le chanteur imite le jeu de ce dernier, se joint à la mélodie (par ailleurs très lyrique) et ajoute, si nécessaire, des syllabes de remplissage :

Les Kujawiaks instrumentales villageoises actuelles sont de la forme A (4+4) B (4+4) A (4+4). La partie B peut être dans le ton de la sous-dominante ou de la dominante. La structure rythmique à l’intérieur de la mesure est diverse.

La Kujawiak instrumentale est précédée d’une introduction de 4 mesures jouée uniquement par le violoniste en quintes ou en octaves :

Le pas de la danse consiste en une rotation (comme dans la valse) qui englobe deux mesures, accompagnée de légers tapés du pied et de pas côte à côte. L’accent le plus fort tombe sue le deuxième temps de la quatrième mesure.

Le tempo de la mazur est plus vif que celui de la Kujawiak: 150-184 noires/minute. Elle est écrite en 3/4 ou en 3/8.

Au contraire de la Kujawiak bien symétrique, la mazur a un rythme diversifié ; le tempo plus rapide favorise (au détriment de la richesse de l’ornementation) les rythmes scandés, les sauts mélodiques et une accentuation irrégulière.

Mazurka en marchant

Les accents tombent sur différents temps, surtout sur les faibles, et réellement suivant la fantaisie du musicien. A la fin d’une phrase, le deuxième temps (ou le premier et le deuxième) sont spécialement accentués, souvent avec un saut à l’octave supérieure.

Dans la mazur chantée, la fin dépend du nombre de syllabes : l’accent tombe sur la note la plus longue de la mesure, ou sur la dernière, ou sur les deux dernières, ou sur toutes les trois:

A noter que Chopin a utilisé sous le terme « mazurka » les trois types de danses (mazur, oberek, kujawiak) en les stylisant.

Pas de la mazur :1er temps : petit saut sur une jambe, puis sur les 2è et 3e temps, pas habituel ; sur le 1er temps, saut sur l’autre jambe. De plus on glisse le pied, on tape du pied, on cogne les talons, on plie les genoux … On danse de deux manières : en marchant ou en tournant.

Dans la seconde moitié du XVIII siècle, la mazur était déjà très répandue, et sa chorégraphie était riche.

Des lettres de M.Oginski établissent solidement que la mazur était dansée dès 1809 dans des bals à Paris, dès 1823 à Florence et sous Alexandre II en Russie. Les compositions de mazurs étaient si nombreuses en Pologne, que le critique musical varsovien J. Sikorski constatait avec regret « Les trois quarts de nos nouvelles compositions sont des mazurs ». A la fin du XIX siècle, cette mode régressa.

La plupart des renseignements qui précèdent sont tirés de « Die Musik in Geschichte und Gegenwart ».

Voyons à présent ce que dit le Riemann Musik Lexikon:

« La mazurka est une fusion stylisée de mazur, de kuiawiak et d’oberek. L’obertas (XVII -XIX siècles), aujourd’hui disparu, était au départ la répétition d’une kujawiak dans un tempo plus rapide.

Les mélodies d’obertas (160- 180 croches/min en 3/8) du XIX siècle montrent des tournures tonales « ecclésiastiques », ainsi qu’un fort emploi de triolets et de rythmes scandés.

L’oberek, né au XIX Siècle, a un tempo plus rapide (180- 240) et n’accompagne le rythme des danseurs que par des ponctuations occasionnelles ; son contenu harmonique et ses sauts mélodiques (jusqu’à la neuvième) montrent son origine instrumentale. Souvent plusieurs obereks forment une suite, généralement sans modulation. »

Quant au Grove’s Dictionary of Music and Musicians, tout en mentionnant les différences entre mazur, oberek et kujawiak, il parle de la « mazurka » en général :

« La musique consiste en 2 ou 4 parties de 8 ou souvent 6 mesures, chaque partie étant répétée. Un fort accent tombe sur le 2è ou le 3È temps de la mesure.

Le cinquièm2 exemple rythmique ci-dessus est le modèle d’une danse chanté= de Mazovie très connue, « Uciekla mi przepioreczka » (la caille m’a échappé). Selon Windakiewiczowa,la mazurka a une structure mélodique de type AABB, AABC, AAAB ou ABBB.

L’accompagnement des premières mazurkas était joué au dudey, sorte de cornemuse avec un (tonique) ou deux (tonique et dominante) bourdons. La mazurka était en effet autant une chanson qu’une danse.

Les mazurkas peuvent exprimer tout genre de sentiments, en dépit de leur structure plutôt carrée. Certaines d’entre elles, qui n’ont pas subi l’influence de la musique des villes, ne finissent jamais réellement, elles sont répétées à volonté, leur mesure finale se termine par la dominante au 3è temps, sans accent, laissant la mélodie en l’air.

La danse est remarquable par sa liberté, la variété de ses figures et la particularité de ses pas. La danse entière a un caractère improvisé qui va jusqu’à permettre l’invention de nouveaux pas ou figures. Elle est habituellement dansée par , 8 ou 12 couples, parfois par un nombre indéterminé de danseurs.

Beaucoup de chansons populaires polonaises, entre autres la mazurka, sont modales, souvent en mode de FA, avec une quarte augmentée (ses six premières notes forment le mode « polonais »).

L’exemple ci-dessus montre une Kujawiak, populaire dans la région de Ruszkowo. Sa première partie, avec accompagnement vocal, est presque deux fois plus lente que la deuxième. »

Le Dictionnaire de la musique (Bordas) semble moins bien documenté, mais apporte quelques précisions:

« La mazurka (ou mazur, mazurek) est une danse rapide (noire = 160-180) caractérisés par l’abondance des triolets, un rythme pointé et de grands écarts mélodiques. Elle est toujours accompagnée en bourdon par une succession de quintes à vide. La dénomination de « mazur » n’appara1t qu’au XVIII siècle.

Le peuple dansait la mazur avec fougue et lui donnait des appellations diverses, toutes liées étymologiquement aux évolutions des couples: obracany (la danse où 1’on tourne); obertas, oberek, drobny (la petite danse),etc. La Kujawiak est aussi appelée okragly (la ronde). »

L’encyclopédie Grolier de 1948 définit la mazurka comme °danse nationale polonaise qui tient de la valse et de la polka. Cette danse à trois temps est une sorte de cotillon composé d’un grand nombre de figures et dont les pas sont variés. Le mouvement de la mazurka est sensiblement plus lent que celui de la valse. La plupart des mazurkas sont ordinairement écrites avec des basses tenues.

L’encyclopédie Britannica précise que la varsovienne est une dance de couple du XIX siècle originaire d’un pas simple de mazurka.

Le Larousse de la musique de 1957 est apparemment le seul dictionnaire qui situe l’origine de la mazurka dans la région polonaise de Mazurie (et non de Mazovie). Cette danse, dit-il, se répandit en Europe à l’époque romantique (on dit aussi Mazoure).

C’est une danse galante, où la femme choisit son partenaire. Les évolutions des danseurs comportent une quantité d’attitudes : avances, reculs, révérences, etc.

Ecrite dans une mesure à 3/4, avec des accents du talon, et parfois des contretemps, la mazurka est élevée, au piano, par Chopin, à un haut niveau poétique … De la mazurka et de la kujawiak, on distinguera encore la cracovienne.

Mazurka en tournant

Enfin, Curt Sachs, dans son célèbre World History of the Dance (trad.Schönberg 1937) écrit:

°La mazurek ou mazurka est la seule danse chantée qui remonte à l’ancien cercle dans lequel le nombre de danseurs n’était pas limité. Elle dépasse de loin les autres danses chantées, par le nombre de ses figures: August von Rosenhain (Bermerkungen Uber das Tanzen,Schleswig 1821) en décrit 56.

Son pas comporte un grand degré de liberté ; les seuls pas caractéristiques sont le tapé du pied et le choc des talons l’un contre l’autre. Étrangement, ce choc est produit une Seule fois la première fois, deux fois la deuxième et trois fois la troisième. Y a-t-il peut-être un lien avec le Siebensprung (sept sauts) ? »

Voilà. Si vous avez des connaissances particulières en mazurka, n’hésitez pas à écrire au journal: on vous publiera. Enfin, si vous souhaitez en savoir plus, il vous reste à guetter la passage de danseurs polonais, ou â faire le voyage….

Marc Bauduin

 

(article paru dans le Canard Folk d’avril 1984)

Mise en garde. Le présent texte, contrairement à l’article original, ne comporte pas les extraits notés de mélodies. De ce fait, il a subi des légères adaptations