Amateurs de bals folk depuis une douzaine d’années, ils ont tous deux fait leurs débuts dans le folk dans les Hautes-Fagnes à Stavelot. Olivier Malay est maintenant docteur en sciences économiques de l’UCL. Et Stéphane Aubinet est docteur en musicologie de l’Université d’Oslo. Ils s’intéressent à la transition écologique sociale, pour laquelle les bals folk pourraient peut-être servir comme indicateur – en tout cas, c’est l’objet d’une étude réalisée entre 2015 et 2020 en anglais. Il s’agissait aussi de commencer à documenter le folk belge, qui était absent de la littérature académique. L’étude (13 pages) et le présent résumé seront placés sur le site web du Canard Folk, avec leur accord.
Marc Bauduin
Olivier Malay
Des relations entre les pratiques musicales et l’écologie ? Cela peut paraître curieux, mais ce champ de recherches suscite de plus en plus d’intérêt. Quelqu’un a présenté la musique comme une “ressource bioculturelle renouvelable” !
La plupart des études se sont jusqu’à présent limitées à des aspects qualitatifs ou philosophiques, sans aller jusqu’au cœur de la dynamique des mouvements sociaux. Les auteurs veulent au contraire relier le mouvement des initiatives de transition initié en Angleterre, avec la pratique des bals folk en Belgique. Ils considèrent que les bals, malgré leur apparence apolitique, ont des affinités avec les initiatives de transition, et illustrent une possibilité parmi d’autres de faire de la musique de manière soutenable et résiliente.
Leur bonne connaissance des bals folk enrichie par une série d’interviews peut être considérée soit comme un atout, soit comme une faiblesse; cette vue de l’intérieur de l’objet étudié – cette “autoethnographie” – tend cependant à devenir la règle dans cette discipline, notent-ils.
La présente étude commence par présenter les bals folk en Belgique, puis le mouvement des initiatives de transition. Six caractéristiques sont proposées pour aider à réfléchir à la résilience des pratiques musicales, avec les bals folk comme fil rouge. Enfin, le potentiel de changement sociétal des pratiques musicales est discuté.
En se basant sur le contenu de l’agenda du Canard Folk, ils constatent un déclin des bals dans la Belgique francophone dans les années 80, et un renouveau dans les années 90 et 2000. Si on rapporte la fréquence des bals à la population des provinces, en 2015 et 2016 c’est la province de Luxembourg qui est la mieux lotie.
Les auteurs passent alors au coeur du sujet, en examinant les six nécessaires caractéristiques qu’une pratique musicale résiliente devrait présenter :
– empreinte écologique réduite
– augmentation du bien-être social
– facteurs économiques soumis aux besoins sociaux
– ancrage traditionnel et local
– récurrence et plaisir
– participation.
Une empreinte écologique limitée, c’est la caractéristique la plus évidente. La consommation électrique, les déplacements en voiture des « petits » événements que sont les bals folk sont brièvement discutés, de même que le fait de ne pas pousser à la consommation. Augmentation du bien-être social : bien sûr, les mots convivialité, solidarité, inclusion, intergénération et consommation modérée d’alcool vont de pair avec bal folk, mais pas vraiment la diversité sociale des danseurs. Les besoins sociaux sont-ils mieux pris en compte que les besoins économiques ? On serait tenté de répondre aussi «oui, évidemment», d’autant que certains bals seraient à entrée libre ou faible, malgré certaines exceptions où les prix peuvent aller jusqu’à 20 euros, et que les bénévoles jouent un rôle important.
Quatrième caractéristique, l’ancrage traditionnel ou local. Traditionnel ou d’inspiration traditionnelle, c’est clair, au point que même des comportements genrés préindustriels survivent (l’homme mène la danse …) tout en évoluant. Mais local ? Peu de danseurs se soucient de l’origine exacte de ce qu’ils dansent, relèvent les auteurs.
Récurrence et plaisir : l’argument c’est que, pour avoir un impact significatif sur les aspirations sociales des participants, les pratiques musicales devraient être régulières et procurer assez de plaisir que pour attirer un public fidèle. Une idée est d’organiser régulièrement des bals, si possible subsidiés, sur des places publiques, afin d’attirer un public plus large et plus diversifié.
Enfin, la participation : s’il est vrai que dans quasi tous les genres de musique la distinction entre artistes et public n’est pas totale, on peut affiner en parlant de participation au son et au mouvement de l’événement musical (cette idée vient de Thomas Turino dans “Music as Social Life”, University of Chicago Press, 2008). De plus, la danse prime : la musique des bals folk semble moins fréquemment que dans d’autres styles achetée sur cd ou écoutée à la maison; elle peut même être jugée ennuyante (la virtuosité est rarement valorisée), elle n’est souvent qu’un moyen de susciter la participation et la joie des danseurs. Mais cela peut varier d’un bal à l’autre.
Olivier Malay et Stéphane Aubinet résument alors la manière dont les bals folk remplissent les six caractéristiques; ils insistent sur le fait qu’ils n’ont pas l’intention de présenter les bals folk comme un modèle à exporter tel quel, notamment à cause de quelques faiblesses (manque de diversité sociale …) mais qu’ils offrent néanmoins un exemple de musique en lien avec l’esprit de la transition.
Ce qui précède n’est qu’un résumé, qui ne reprend pas tous les arguments développés par les auteurs. Des auteurs qui ont eu le courage et l’excellente idée de commencer à documenter le folk en Belgique francophone. Espérons que cela donne des idées à d’autres chercheurs.
Marc Bauduin
Lien vers la page web de l’article : www.jstor.org/stable/27032562.
(article paru dans le Canard Folk décembre 2021)