Interview : la chanteuse Barbara Letoqueux par e-mail le 26/10/20
à l’occasion de la sortie du premier album de ce groupe breton qui fait du “latino”
Q: Selon votre présentation, votre répertoire consiste en un voyage « sur les sentiers des musiques du monde, du jazz et des musiques populaires » (ce qui est très large), en précisant qu’on y entend du flamenco et une série d’éléments latino-américains. Pourriez-vous décrire votre répertoire de manière assez précise, en indiquant s’il a évolué depuis la création du groupe en 2014 ?
R: En effet le répertoire a évolué depuis 2014 puisqu’au début de la formation nous jouions essentiellement des ou d’Espagne tels que Lila Downs, Susana Baca, Ojos de Brujos, La Buika, Chavela Vargas, Isaac Albeniz, Paco de Lucia, la Shica, Bebe, Cafe Tacuba, Jorge Negrete et bien d’autres. Victor, passionné de Flamenco et moi-même férue de chanson mexicaine, nous sommes rencontrés par hasard dans notre petit village breton. Nous avons tout de suite voulu jouer ensemble et construire des ponts entre les styles musicaux.
Les morceaux que l’on retrouve sur l’album “Vuelo” sont en effet un voyage de par l’influence des différents styles musicaux tels que la cumbia, le “Son” cubano, le Maracatu, le Maloya, la valse péruvienne, le flamenco, le mélange de ternaire et de binaire. Mais également par les couleurs que chaque musicien apporte. Loumi (violon) a joué longtemps de la musique bretonne, Pascal (basse et contrebasse) du rock et du jazz, et Julien (percussions) a passé du temps à Cuba et en Afrique. Toutes ces couleurs pimentent clairement les rythmiques, les mélodies et les structures de nos compositions.
Q : Quels liens (ou au contraire quels contrastes) peut-on établir entre le flamenco passionné et très stylisé, et les diverses cultures populaires latino-américaines ?
R : Je pense que le flamenco est une partie de l’ADN des musiques d’Amérique latine. Le flamenco est en effet intense et puissant de par les attaques de la guitare, les paroles, les palmas, les nombreux compas et des violents coups de talons sur le sol qui en font un univers riche et complet. Paloma Negra utilise certains codes du flamenco en clins d’œil. Nous ne nous présentons pas comme un groupe de flamenco, ni de cumbia, ni de salsa car nous ne souhaitons pas rester fidèles à 100% aux musiques traditionnelles. Nous reprenons bien sûr quelques codes de ces styles mais nous ne voulons pas coller à tout prix au folklore qui correspond à chaque musique.
Q : On parle souvent de « musique latino » alors que ce terme recouvre probablement de nombreuses réalités différentes. Pourriez-vous élaborer un peu ? Tango, cumbia, salsa, forro, valses péruviennes … tous dans le même sac ? Avec souvent des réminiscences de traditions indiennes ?
R : En effet la “musique latino” est un mot fourre-tout, et désormais dans l’inconscient collectif facilement assimilé au reggaeton ou à la bachata. Ce qui me passionne dans toutes ces musiques (comme dans la gastronomie d’ailleurs) c’est la variété des couleurs, des émotions, des instruments et de l’assaisonnement ajouté à chacun de ces styles.
Le Tango argentin grâce à son bandonéon, le forro brésilien ainsi que la salsa cubaine font danser les couples d’une manière torride.
La cumbia colombienne et la samba brésilienne font danser les enfants de 2 ans ainsi que les grand-mères de 90 ans.
Les valses péruviennes et les rythmes afro-latino rappellent l’histoire de ces pays au magnifique métissage européen, indien et africain.
On n’oublie pas qu’il y a également une grande part de mélancolie dans toutes ces musiques. Au Mexique les chansons de comptoir de “cantina” sont plutôt des complaintes baignant dans le mezcal servant à exprimer ses peines de coeur ou au contraire des sérénades pleines d’un tendre amour.
Rien qu’au Mexique il y a encore une soixantaine de langues indigènes encore parlées telles que le Nahuatl, le Maya, le Zapotec et donc autant de cultures, defolklores et de musiques. Il est donc difficile de parler d’une culture et donc d’une musique “latina” commune à tous.
Bien sûr l’espagnol est la langue commune à toutes ces musiques latina (et le portugais pour les musiques brésiliennes).
Mais pour moi, ce qui réunit ces cultures est ce fabuleux métissage et leur triste histoire commune.
Il s’agit de peuples qui ont connu la persécution, l’asservissement, l’esclavage pour certains, la sincrétisation, l’indépendance ou à l’inverse des peuples qui subissent encore 500 ans plus tard l’oppression des cultures occidentales.
Q : Comment la chanteuse et les musiciens du groupes ont-ils fait connaissance avec ces musiques ? Vous vous étiez déplacés là-bas, peut-être dès avant la naissance
du groupe.
R : Le voyage a une place importante au sein de Paloma Negra. Personnellement, à 16 ans j’ai d’abord connu un amour qui m’a emmené sur ses terres mexicaines plusieurs années de suite. J’y ai rencontré ma famille mexicaine de coeur avec qui je suis toujours en contact. J’ai par la suite voyagé plusieurs fois au Brésil. Victor quant à lui, a fait des stages de guitare flamenca dès l’âge de 15 ans en Espagne et à eu la chance de rencontrer Paco de Lucia a cette même période. Julien le percussionniste, est très proche de la diaspora cubaine bretonne et continue d’aller fréquemment à Cuba et en Afrique. Pascal le bassiste a passé du temps dans les clubs de jazz de New York City dans sa jeunesse. Quant à notre rêveur de violoniste, Loumi, nous parlerons ici d’un voyageur qui au son d’un violon exotique indien, mongol ou breton s’envole loin, très loin et tout cela sans bouger de chez lui! 🙂
Q : Etes-vous tous bretons ? N’est-ce pas compliqué de composer, la tête dans une culture qui n’est pas la vôtre ?
R : Bretons d’ici et d’ailleurs 😉
En tant que chanteuse française (de surcroît bretonne !), la question de la légitimité à chanter dans une autre langue et de parler d’une autre culture se pose. Ce que j’ai vécu au Mexique pendant ces années m’a donné envie de le partager auprès de mes amis, de ma famille et du public français. Évidemment il n’y a pas de vérité et tout n’est qu’interprétation/comparaison par rapport à sa propre culture maternelle. Je prends soin d’échanger avec mes amis d’Amérique latine sur leurs sentiments et leur ressenti par rapport à certains sujets que j’évoque dans mes chansons. Mais il est aussi vrai que dans mes textes j’évoque souvent des souvenirs personnels ou des manières de percevoir cette culture. Je chante en espagnol car je trouve cette langue tout simplement magnifique pour parler d’amour, de légendes, de mets exotiques et de tequila!
Quant à la composition, nous avons pris l’habitude de composer ensemble.
Il arrive que Victor propose une mélodie et moi un texte mais l’arrangement général se fait toujours à tous les 5, ce qui n’est pas le cas dans tous les groupes. J’aime cette manière collégiale d’amener nos univers. Le fait que l’on ait tous les 5 une culture musicale différente est extrêmement enrichissant. Nous avons chacun nos influences et ne souhaitons pas reproduire des musiques folkloriques à l’identique donc nous prenons énormément de plaisir à jouer, à découvrir, à proposer de nouveaux univers musicaux inconnus de l’autre.
Q : Quels sont vos projets ? Une tournée, en France et à l’étranger, voire en Amérique latine ?
R : Nous venons de sortir ce 1er album “Vuelo” et de nouvelles compositions sont déjà sur le feu pour notre 2ème album. Nous souhaitons évidemment pouvoir jouer en France et à l’international, mais nous nous adaptons au contexte actuel. Nous souhaitons mettre notre énergie dans nos compositions et la création d’un nouveau spectacle étant donné qu’il semblerait compliqué encore pour 2021 de pouvoir se produire en concert. Cependant nous sommes programmés le 04/11/20 au studio de l’Ermitage à Paris. Et suite aux dates annulées cet été 2020 nous avons quelques festivals de Jazz et de musique du monde qui souhaitent nous re-programmer en 2021.
Une tournée en Amérique latine serait chouette mais il faut avouer que le contexte ne s’y prête pas et pour être honnêtes nous souhaitons aussi faire voyager par la musique les mélomanes de nos contrées en France et en Europe.
Où nous trouver: www.palomanegra.fr
Où acheter notre album / Vinyle: www.palomanegra.fr/albums.php
Plateforme streaming: open.spotify.com/album/7zRc6lleH6XW5S63nivrVJ
www.deezer.com/fr/album/175026282
Nos clips:
Morenita del Rio
Papel Picado
El día de los muertos:
Lexique
–Maloya:, style musical de l’île de la Réunion, rythme ternaire (instruments traditionnels: roulèr (tambour), triangle, chant, kayamb, voix).
–Cumbia: style musical de la Colombie,
–Maracatu: rythme brésilien du nordest (Alfaia (tambour), cloches, caisse claire)
–Valse Péruvienne: valse créole, métissée, typique du Pérou influencée par les musiques africaines, rythme ternaire (cajon, guitare, voix)
–“Vuelo”: je vol, l’envol
–Dia de los muertos: la fête des morts (Toussaint) est une fête mexicaine joyeuse qui célèbre les défunts. On peut honorer le mort près d’un hôtel en lui faisant des offrandes (plats préféré, bougies, fleurs) ou au cimetière.
–Papel picado: est une guirlande de papier mâché, découpée, colorée, souvent utilisée pendant la fête des morts.
–Morenita del rio: Petite brune de la rivière est un clin d’œil à la légende de la “llorona”. Selon la légende, elle se présente comme l’âme en peine d’une femme ayant perdu ou tué ses enfants, les cherchant dans la nuit près d’un fleuve ou d’un lac, effrayant ceux qui entendent ses cris de douleur perçants.
(Cet article a paru dans le Canard Folk de décembre 2020)
Paloma Negra : Vuelo (Vlad Productions)
D’abord quelques notes de guitare … latino jazz ? Un peu de violon, puis du chant en espagnol, non dénué de chaleur, un brin nonchalant.
On navigue entre l’Espagne et l’Amérique latine, en profitant de courants divers et en ajoutant un peu de piment dans une mer déjà salée. Cumbia, flamenco, valse péruvienne et autres spécialités sont au menu du resto breton Paloma Negra (ouvert en 2014), qui a fignolé ses propres recettes, avec riz créole en option !
(www.palomanegra.fr, www.vladproductions.fr, distr. Socadisc/Believe)
(Ce compte rendu du disque a paru dans le Canard Folk de novembre 2020)