Le folk revival des années 1930 (animé aux Etats-Unis par le musicologue Alan Lomax, Woody Guthrie et d’autres précurseurs), les réunions de musiciens au Washington Square de New York initiées dans les années 1940, ont été le creuset d’un important mouvement de renaissance de la musique folk, qui, à partir de 1958 s’épanouira avec une ampleur inattendue. Pete Seeger, en sera une des figures de proue, un des principaux maîtres à penser. Toujours présent dans nos mémoires, l’homme qui nous a quittés le 27 janvier 2014, nous a laissé, par ses nombreux enregistrements et ses publications, un immense héritage : sa vision du monde et un parfait exemple d’intégrité artistique.

Cet article fait suite à l’interview de Gérard De Smaele et d’Etienne Bours, par Didier Mélon pour l’émission « Le monde est un village», diffusée le 05 mars 2014 sur les ondes de la RTBF / La Première.

Pete Seeger et son long neck banjo à 25 barrettes monté en 1955 (pre-war Vega tubaphone pot, 28 brackets, one piece
neck, , dowel stick)
Photo: auteur non- identifié

Pete Seeger est un banjoïste de toute première importance. Il serait cependant réducteur de ne considérer que ce seul aspect. Pour plus d’informations, on pourra par exemple consulter : The Incomplete Folksinger, New York, Simon & Schuster, 1972 – 596 p. ; Where have All the Flowers Gone, l’autobiographie de Pete Seeger, éditée par la revue Sing Out en 1993 – 287 p. ; le livre d’Etienne Bours : Pete Seeger, Un siècle en chansons, Editions Le bord de l’Eau, 2010 – 212 pages ; ainsi que la biographie établie par David Dunaway : How can I Keep From Singing, The Ballad of Pete Seeger, London, Harrap, 1985 (New York, Villard Books, 2008) – 388 p. ; et The Power of Songs , le documentaire de Jim Brown sorti en 2007.

Des banjoïstes lui rendent hommage dans le Banjo Newsletter d’avril 2014, un périodique spécialisé qui lui a déjà consacré sa Une en octobre 2000.
Voir aussi, l’article de Michael ECK : To Great Lenghts, in Fretboard Journal, Issue 15 / Fall 2009 ( une reprise du n° 35 de janvier 2014).
La Pete Seeger Appreciation Page (peteseeger.net/wp) offre en ligne un inventaire complet d’articles et de publications.

Le long neck banjo de Pete Seeger (1)

D’éminents auteurs académiques se sont penchés sur la vie et l’œuvre de Pete Seeger (New York / NY, 1919- New York / NY, 2014). En plus de son influence majeure sur le sens donné aux musiques du monde, l’artiste -qui a traversé tout le vingtième siècle- mènera une carrière étroitement liée à la situation politique et sociale de son temps. Dans un pays aussi hétérogène que les Etats-Unis, la compréhension de la vie et de l’œuvre de Pete Seeger exigera quelques prérequis (2).

Pour une approche plus approfondie, on pourra consulter les différentes sources mentionnées ci-dessus. Une visite au Red Star Line Museum » à Anvers nous rappellera aussi quelques réalités dont Pete Seeger aura pu être le témoin dans sa jeunesse. C’est à Anvers que le compositeur Irving Berlin (1888-1989), juif originaire de Biélorussie, embarquera pour New York en 1893. Seeger gravera en 1955 le Blues Skies de Berlin, un des titres de The Goofing-Off Suite, LP instrumental destiné à mettre en évidence les qualités techniques et l’inventivité du banjoïste (Folkways FA-2045)

Par ses chansons, Pete Seeger est entré dans l’intimité de nombreuses familles américaines, et a laissé à travers le folk revival de l’après guerre sa marque dans les « consciences », sorte de contrepoids aux aspects moins glorieux de la puissante nation, citons comme exemple la guerre du Vietnam contre laquelle il s’est impliqué. Nous devons aussi souligner son engagement dans la lutte pour les droits civiques. Le personnage était doué d’un grand charisme, et était animé d’un profond humanisme. Il fut même un moment question de le proposer comme candidat au Prix Nobel de la Paix.

Dans ce contexte, ce n’est pas par hasard que Pete Seeger se soit plongé dans les traditions musicales du Sud des Etats- Unis –aussi bien noires que blanches- représentées par de talentueux musiciens non-professionnels, souvent éloignés de l’establishment et du show business (3). Son approche fut personnelle : il fut à l’origine de la renaissance du banjo à cinq cordes (4) dans le Nord des Etats-Unis, et il n’hésitera pas, lorsque le besoin s’en fera sentir, à transformer l’instrument, voire la technique de jeu (5). Pour preuve, la conception de son célèbre long neck banjo, l’instrument « hybride » qui lui est intimement associé. D’autre part on peut aussi parler de l’ouverture de son répertoire à d’autres musiques.

Loin des foules et pour se ressourcer, Pete Seeger s’était installé après la seconde guerre mondiale avec sa famille sur une colline boisée, le long de l’Hudson River, à une heure de train de la ville de New York. Cohérent avec lui-même, imprégné de la lecture de David Thoreau (1817-1862), d’Ernest Thomson Seton (1860-1946), ou de Léon Tolstoï (1828-1910), des écrivains prônant une vie simple, conviviale, autogérée, proche de la nature. Pete Seeger entourera ses nstruments de musique des mêmes soins que ceux qu’il portait à sa hache, outil avec lequel il coupa tant d’arbres pour aménager son espace vital, construire la maison familiale et se chauffer. Jusqu’à la fin de sa vie, couper du bois manuellement restera, une de ses occupations favorites, sa manière à lui de retrouver l’équilibre. Pour interpréter plus authentiquement Didn’t Old John, un chant de travail, il ira même jusqu’à hisser un tronc d’arbre sur la scène ! L’histoire de son banjo résume parfaitement bien l’attitude de l’homme et en constitue le reflet : sans manières affectées, sans conventions inutiles, d’une constante authenticité.

Au cours de sa longue carrière, Pete Seeger a bien entendu utilisé plusieurs instruments. Cependant, pour ceux qui décortiquent ses pochettes de disques, ces banjos ont sa marque personnelle : celle du naturel, de la simplicité.

« Viva La Quinze Brigada » – 1942

En 1942, Pete Seeger, mobilisé près de Washington DC, est en permission. Moses Asch (le fondateur de ce qui deviendra le label Folkways Records) l’invite à rejoindre New York et à enregistrer avec ses amis Butch Hawes, Bess Lomax (la sœur d’Alan Lomax) et Tom Glazer, quelques titres pour le disque Spanish Civil War (6). Le chant « Viva La Quinze Brigada » posait quelques difficultés à Pete Seeger. S’accorder en C (7) et chanter en C mineur était trop haut pour sa voix. Pour pouvoir descendre d’un ton et atteindre le Bbm, il imagina tout simplement d’allonger le manche de son banjo (8). C’est ainsi qu’il se rendit dans la boutique du luthier John D’Angelico avec son Vega Whyte Laydie (9). Ce dernier coupa tout simplement la tête du manche et inséra une pièce de bois pour l’allonger de deux cases, le tout bien collé et renforcé de chevilles. Le banjo déposé sur le siège arrière de sa voiture lui fut volé en 1949 ! A ce jour, personne ne sait ce qu’est devenue cette relique de la musique américaine !

A ses débuts, Pete Seeger pratiquait l’ukelele et le banjo ténor. Durant l’été de 1936, il fut emmené par son père au « Mountain Dance and Folk Festival » de Ashville, en Caroline du Nord. C’est là qu’il découvrit –à l’âge de 17 ans- le banjo à cinq cordes, et put voir et entendre pour la première fois Bascom Lamar Lunsford (1882-1973), Samantha Bumgarner (1878-1960 ), ainsi que d’autres joueurs de clawhammer (une technique de down picking) qui furent ses premières influences (10).

Le jeune Pete fut captivé par ce style, mais il faut savoir qu’à cette époque, le banjo à cinq cordes avait pratiquement disparu de la scène musicale américaine, et n’était pratiquement plus joué que dans les régions rurales du Sud (Virginie, Caroline, Tennessee, Kentucky…). Ce banjo n’était plus qu’un lointain souvenir du minstrel show, du barn dance ainsi que de la mode du banjo classique, vogue qui avait entre la fin de la guerre civile et la première guerre mondiale, provoqué dans le Nord la fabrication à grande échelle de banjos à cinq cordes. A Asheville, l’intensité de la mountain music passionna le jeune homme, qui peu de temps après se mit à parcourir le pays… et à consommer quelques banjos.

Le premier, un S.S. Stewart (une grande marque de banjos classiques, établie à Philadelphie dans les dernières décades du 19e siècle ) fut cassé en sautant d’un train de marchandises. Acquis à Manhattan chez un prêteur sur gage pour la modique somme de $5,00, ce Stewart fut envoyé en réparation… et disparut à jamais!
Le banjo suivant, ayant servi à se frayer un chemin à travers un groupe d’ivrognes se pressant à sa sortie de scène… fut également détruit.
Vint ensuite le « Vega Whyte Laydie » mentionné ci-dessus, acquis pour $10,00 chez le même prêteur que son premier Stewart. Fin 1949, au moment de la création des Weavers… ce banjo s’était déjà envolé dans la nature. A l’époque, Pete Seeger qui posséde aussi deux autres banjos, un Orpheum N°1 et un autre W.L. allongé, se présente sur scène avec un banjo augmenté de trois cases supplémentaires. Après la guerre, le banjo à cinq cordes n’est plus au catalogue des fabricants. On s’en procurait facilement d’anciens et à peu de frais chez les brocanteurs ou dans les pawn shops.

long neck banjo de la marque Vega, années 1960 / modèle Pete Seeger:
two piece maple neck / 24 brackets / two coordinator rods)
Photo: Elderly Instruments

Après plusieurs essais peu satisfaisants, c’est en 1955 qu’il décide de monter sur une caisse de Vega Tubaphone – un pot à 28 tirants récemment acquis à la firme- un long manche de 25 barrettes ( 22 + 3 ), tiré cette fois d’un seul bloc de gaïac (lignum vitae) mesurant 40’’ x 3’’ x 4’’: un bois très dur et très lourd (densité 1,3), d’un brun verdâtre. Cette essence se retrouve dans les Amériques tropicales, notamment dans,les Antilles et au Venezuela, son principal producteur. En français, le gaïac est aussi appelé « bois saint » ou « bois de vie ». On l’a utilisé pour la fabrication de poulies et il entre dans la confection d’objets durs, notamment de certaines pièces de bateaux. Sa résine aurait aussi des vertus médicinales : anti-rhumatismales, aphrodisiaques, ainsi qu’une efficacité pour le traitement de l’arthrite, de la syphilis… , et entrerait aussi dans la composition d’un élixir de jouvence. Par contre, on en connaît aussi des effets secondaires indésirables au niveau rénal. On recommandera donc de ne l’employer que sur prescription médicale.

Ce long banjo –véritable icône de l’histoire américaine- est remarquable de par son poids et ses dimensions : près de 2 pouces (5 cm) de largeur à la cinquième case (11). Il l’accompagnera partout, lui fera faire le tour du monde. Une de ses dernières apparitions mémorables sera lors de la célébration de l’entrée en fonction du président Barack Obama, en 2009, au Lincoln Memorial à Washington DC, en compagnie de Bruce Springsteen et de son petit-fils Tao Rodiguez. Pour mémoire, Pete Seeger y avait déjà joué –sur ce même instrument- en août 1963, lors de l’inoubliable « Marche sur Washington », manifestation historique pour la défense des droits civiques, dont un des leaders était le pasteur Martin Luther King.

Pete Seeger, se considérait volontiers comme un menuisier amateur. Son bloc de gaïac sous le bras il se rendit, pour lui donner forme, chez un ami équipé d’une scie à bande. L’arrondi du manche fut ensuite réalisé manuellement par lui à la râpe. Pour terminer le travail, il fallait encore y installer les barrettes. Pour ce travail de précision, Seeger se rendit à nouveau chez le luthier John D’Angelico, qui confia le travail à son jeune assistant Jimmy D’Aquisto (12). Ce dernier, sans lui demander son avis, et croyant bien faire, ajouta une touche d’ébène.
Malheureusement, le chevalet ayant été placé près du bord de la caisse, la sonorité trop brillante déplut au maître d’œuvre. Il fallut enlever toutes ces barrettes pour en installer d’autres (pour une longueur vibrante des cordes de 32’’)… et le résultat fut excellent. Il ne fut pas nécessaire de vernir ce manche, car le gaïac se lubrifie naturellement

Ces quelques détails expliquent non seulement le poids du manche, les traces d’un précédent barrage, ainsi que le débordement du talon au-delà de l’épaisseur de la caisse.

Idem. Le tubaphone tone ring, visible à l’intérieur de la caisse

Pete Seeger utilisa un capodastre de guitare à 12 cordes pour son banjo, mais c’est une simple vis à bois fixée à la 13e case qui lui servit de capodastre de cinquième corde.
Entre autres « cicatrices » portées par ce banjo, on notera plusieurs trous et une rainure, souvenirs de différents essais de capodastre de cinquième corde… dont un modèle confectionné à partir d’un ressort d’horloge recyclé !

Le chevalet de ce banjo est un exemplaire rare, à quatre pieds, fabriqué par Stuart Jamieson (13). Fait d’une seule pièce de polyester, il a été utilisé par Pete Seeger durant plus de 25-30 ans.

Jusque dans les années soixante, seule la peau d’origine animale était montée sur les caisses des banjos. Pete Seeger a donc débuté avec ces parchemins (veau principalement) mais il les a ensuite remplacés, comme l’ont fait la plupart des banjoïstes, par des membranes synthétiques, plus stables (14). A l’instar de son ami Woody Guthrie qui avait inscrit « This Machine Kills Fascists » sur sa guitare, on peut lire cette phrase sur les banjos de scène de Pete Seeger: « This Machine Surrounds Hate and Forces it to Surrender » (15)…. recopiée à chaque changement de peau.

“This Machine Surrounds Hate…”

En 2000 on nous annonce que le banjo iconique de Pete Seeger a disparu, probablement volé. Peu après que l’information ait été diffusée, un malveillant le contacta depuis Chicago pour lui dire qu’il avait l’instrument, et qu’il fallait lui envoyer $100 pour son expédition… cet argent lui aussi s’envola et il s’avéra que Pete avait simplement oublié le banjo sur le toit de sa voiture (électrique) et que l’instrument avait échoué au bord d’un chemin. Une autre personne l’ayant cette fois réellement retrouvé le lui restitua… Plus de peur que de mal.

Pete Seeger a possédé d’autres banjos, comme ce Thornburg gourd banjo acquis à la Maryland Banjo Academy de 1997. En 2013, on a pu voir un autre long neck lui appartenant, dans une vitrine de l’exposition consacrée à Bob Dylan à la Cité de la Musique à Paris. Un homemade fretless banjo, réalisé par Frank Proffitt (1913-1965) –le passeur du mondialement célèbre « Tom Dooley »- a quant à lui été déposé au Rock and Roll Hall of Fame and Museum de Cleveland.
Lorsque la firme Vega se remit à produire des banjos à cinq cordes, il fut tout naturellement proposé au catalogue un Pete Seeger Model. Il en jouera beaucoup sur scène dans les années soixante, mais décidera finalement de le donner à la revue Sing Out (organe important du folk revival dont il fut un des fondateurs) afin que celle-ci puisse le proposer aux enchères et régler ainsi quelques uns de ses soucis financiers. Cet instrument célèbre lui aussi, est actuellement exposé au Bluegrass Music Museum à Owensboro, dans le Kentucky.

Toutes les théories de Pete Seeger sur la manière de traiter et de modifier un banjo à cinq cordes sont décrites dans son ouvrage How to Play the Five String Banjo. Autoproduit artisanalement en 1948, ce livre ouvert à toutes les techniques traditionnelles a fini par connaître plusieurs éditions et une large diffusion. Seeger fut aussi le premier à accompagner sa méthode d’un LP (Folkways FW-08359, en 1954) et finalement d’un film illustrant son propos. Bien que le folk revival ait suscité l’apparition de nombreuses bonnes méthodes (16), c’est celle de Pete Seeger qui a initié tous les « revivalistes » de l’après-guerre. A l’époque, peu de gens savaient comment se servir d’un banjo. Les recueils et méthodes anciennes décrivaient la technique du minstrel style et du banjo classique du19e siècle. Il est surprenant d’apprendre que des musiciens tels que John Mc Euen ( b. 1945 ), Bill Keith ( b. 1939 ) ou Eric Weissberg ( b. 1939 ) aient débuté avec cette méthode. Ce dernier avait appartenu à un groupe d’enfants qui devaient en tester l’efficacité. Il devint par la suite élève de la Julliard School of Music et enregistra Deliverance, un autre grand coup de fouet (après l’étincelle provoquée par le Foggy Mountain Breakdown de Earl Scruggs ) dans la diffusion du banjo dans le monde (17).

Si le banjo allongé de Pete Seeger était un modèle courant dans les années 1960 (chez Vega, Gibson… ), il est actuellement beaucoup plus rare. Deering, le fabricant contemporain en a fait un modèle de grand luxe, dont le manche incrusté de pierres semi-précieuses, s’est bien éloigné de l’esprit de son concepteur.
Le dessin d’un long neck faisait partie de la signature de Pete Seeger –qui répondait manuellement à tout le courrier qui lui était adressé. Il est resté l’instrument de plusieurs grandes figures du banjo. Sans vouloir les citer tous, les plus connus seront Billy Faier, Eric Darling (1933-2008), Peggy Seeger (b. 1935), Frank Hamilton (b. 1934) et Dave Guard (1934-1991) du fameux Kingston Trio, qui en reprenant en 1958 le Tom Dooley de Frank Proffitt, mit le feu aux poudres du folk revival.

Gérard De Smaele
nouveau site web : home.base.be/desmaele51

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Notes

1) Dans la famille des banjos américains a cinq cordes –issue de la mode du banjo classique en vogue de la fin du dernier quart du 19e siècle à la première mondiale- le modèle qui prédomine est le regular banjo (RB). Il comporte 22 barr(ettes, tandis que les autres modèles sont moins courants : banjeaurine, piccolo, cello, bass. Ce RB s’accorde depuis la fin du 19e siècle en gCGBD (C tuning) –l’accordage standard du banjo classique- et en gDGBD (G tuning), une variante devenue l’accordage standard actuel. Pour tous les modèles, la cheville ou la mécanique de la courte cinquième corde -la plus aiguë- se fixe toujours entre la quatrième et la cinquième barrette.

Le long neck banjo est associé à Pete Seeger –son concepteur- et fut par la suite utilisé par nombre de folk singers des années 1960 et 1970 pour accompagner leurs chants. Ce « long » banjo a 3 grandes cases de plus que le RB, avec la mécanique de sa cinquième corde qui se fixe entre la 7e et la 8e barrette. Il requiert souvent un capodastre. Ce type de banjo est généralement du type open back et ignoré des adeptes du old time et du bluegrass.

(2) Il règne plus d’une confusion à propos de ce qu’est la folk music, le folk song, les folk singers, les singer-sonwriters, la country music ; de ce qui est considéré comme old time, traditional music… Un autre débat s’est également ouvert à propos de l’éthique de la folk music : peut-on l’électrifier, peut-on tolérer son exploitation à une grande échelle commerciale ? Pete Seeger aidera à répondre à ces questions.
Ralph Rinzler –qui fut un des organisateurs du Newport Folk Festival- rappelait souvent que tout s’articule autour de la naissance du grand folk revival. C’est en 1958 que le Kingston Trio a enregistré sa version de « Tom Dooley », une ancienne chanson provenant de la Caroline du Nord, qui leur avait été transmise par les Warners et par Alan Lomax, via un collectage de la version originale enregistrée par Frank Proffitt. Le groupe –partiellement inspiré par les disques des Weavers- connut une renommée phénoménale. Le fait d’avoir choisi ce chant et de l’avoir enregistré sans orchestration, a ouvert la voie commerciale à d’autres artistes acoustiques, à la folk music, et débloqué tout le travail de préparation offert par des personnalités telles que Charles Seeger, John et Alan Lomax, Irwin Silber, Pete Seeger… Bien que le talent et l’influence du Kingston Trio ait été presque unanimement apprécié par les artistes les plus puristes, des divergences de vue importantes apparaîtront entre la démarche artistique d’un Pete Seeger et celle d’un Kinston Trio. Bien des artistes réfuteront cette approche commerciale, la considérant comme non à-propos. Pour exemple, le banjoïste Billy Faier s’y opposera catégoriquement. Le banjo long neck de Pete Seeger, qui a servi de modèle à ses imitateurs, est un instrument à demi home-made, comme l’était celui de Frank Proffitt. Dans les années soixante, il paraissait cependant logique que la firme Vega sorte un long neck / Pete Seeger model. Plus tard, lorsque la maison Deering voulu rendre hommage à Bob Shane, le banjoïste du Kingston Trio, elle ajouta à son catalogue un instrument luxueux, incrusté de pierres semi-précieuses, dont le prix actuel est de $ 63.000,00. Il porte le nom étrange de « Banjosaurus ». Pour se présenter face à son public, Pete Seeger n’a jamais arboré que sa sincérité; il n’a jamais été un amateur de smokings, de souliers vernis…
Ce constat est intéressant et pourrait servir de point de départ à un débat animé. On se souviendra aussi que les Limeliters –actifs de 1959 à 1965, armés du long neck d’Alex Hassilev– ont enregistré pour le label Elektra, avant de passer à RCA, Warner Bros. etc…, et de devenir les représentants musicaux de Coca-Cola et d’une marque de cigarettes…
Il n’en aurait pas fallu tant pour que Pete Seeger tourne les talons !

(3) En dehors des noms repris dans The Anthology of American Music de Harry Smith (Folkways Records, FP-251/2/3, enregistrements réalisés entre 1927 et 1932 ), beaucoup de ces musiciens ruraux n’ont la plupart du temps enregistré que pour des collectages de la Bibliothèque du Congrès ou plus tard pour le label Folkways, voire Elektra….

(4) Le bluegrass banjo de Don Reno (1927-1984) et d’Earl Scruggs (1924-2012) bénéficiera de l’élan provoqué par Pete Seeger, ce qui lui ouvrira finalement la porte à une diffusion nationale et internationale.

(5) La tradition doit inspirer nos contemporains, mais continuer à vivre. Une des phrases favorites de Pete Seeger était : “Avant Alan Lomax, beaucoup de folkloristes sont allés déterrer des chansons comme des os dans un cimetière, pour aller les enterrer dans un autre cimetière: les bibliothèques…” (Cité par Etienne Bours, p. 40). Cette phrase est également prononcée dans le documentaire A Banjo Frolic (chez Frémeaux & Associés, 2003).

(6) Songs of the Spanish Civil War, Vol. 1, Songs of the Lincoln Brigade, Six Songs for Democracy, Folkways Records, FW05436, 1961

(7) gCGBD

(8) Dans le cadre du minstrel show, les premiers banjos étaient accordés 2 ½ tons plus bas qu’actuellement. Avec le banjo classique, cet accordage a graduellement progressé vers l’aigu pour aboutir à l’accordage standard actuel : gDGBD, et gCGBD (pour le banjo classique). Au départ, les manches sont donc plus longs, parfois très longs comme pour le banjo fabriqué par Stichter vers 1850. Dans le cadre de la musique traditionnelle du Sud, les accordages sont nombreux et importants à connaître.

(9) Vega, en reprenant la marque Fairbanks deviendra la plus ancienne fabrique de banjos aux Etats-Unis. Après la seconde guerre mondiale, on commencera à convertir des banjos à 4 cordes en banjos à 5 cordes, tout en conservant la caisse d’origine. Les termes Electric, Whyte Laydie et Tubaphone… renvoient à des modèles de tone ring : le cercle métallique où vient s’imprimer la peau du banjo. Cette pièce est choisie en fonction des caractéristiques acoustiques recherchées pour le banjo.

(10) Il y ajoutera par la suite Rufus Crisp (1880-1955), Pete Steele (1891-1985) et Uncle Dave Macon (1870-1952).

(11) D’habitude on a plus ou moins 4 cm de largeur à la cinquième barrette et 5cm dans le bas du manche.

(12) D’Angelico (1905-1964) et D’Aquisto (1935-1995) sont deux artisans luthiers d’origine italienne, dont les guitares sont renommées.

(13) En 1946 et en 1955, Margot Mayo et Stu Jamieson (1922-2006) –des pioniers de la musique folk à New York dans les années 1940– ont enregistré et fait découvrir les collectages de l’important banjoïste Rufus Crisp. Ces enregistrements (dont la plus grande partie est conservée à la Bibliothèque du Congrès), seront assemblés en un album Folkways édité par Ralph Rinzler en 1972 (FA 2342).

(14) Lorsqu’il fait très sec, le parchemin se tend et risque de se déchirer. Avant d’être posée, la nouvelle peau doit être mouillée et met pour un temps l’instrument hors d’usage. Les peaux préformées n’avaient pas cet inconvénient, mais coûtaient très cher, et leur usage était limité à des diamètres bien précis.

(15) « Cette machine encercle la haine et la force à se rendre”.

(16) Celles de Art Rosenbaum (1968), Miles Krassen (1974), Earl Scruggs (1968 – pour le style bluegrass)… et toutes les nouvelles méthodes accompagnées de disques audio de démonstration. De nos jours, les méthodes sur DVD sont particulièrement explicites (Mike Seeger, Ken Perlman, Bob Carlin, Brad Leftwich, Dwight Diller, Dan Levenson…). On retrouve chez Homespun Tapes la dernière version de la méthode filmée de Pete Seeger.

(17) Au départ, la diffusion de la technique du bluegrass banjo a été encouragée par le chapitre réservé à ce style dans la méthode de Pete Seeger (édition de 1962). A ce sujet, Mike Seeger ( 1933-2009 ) fut aussi très efficace, en sortant le disque American Banjo Scruggs Style (Folkways FA-2314, en 1966 ).
Par la suite Mike Seeger ( membre des New Lost City Ramblers ) devint un des plus fins connaisseurs des techniques traditionnelles du banjo à cinq cordes. Ses publications sont fondamentales.
A la base, le passage du bluegrass vers le public du folk revival s’est aussi fait par l’intermédiaire de Ralph Rinzler (1934-1994). Il devint “manager” de Bill Monroe –considéré comme le père du bluegrass- organisant des représentations sur la scène des universités, du Newport Folk Festival… et aussi en rédigeant des publications académiques. Rinzler terminera sa course à Washington DC, à la tête de la Smithsonian Institution et du Smithsonian Folklife Festival, beaucoup trop méconnu chez nous. On doit aussi à Ralph Rinzler le rachat de Folkways par la Smithsonian, sauvant ainsi le label d’une probable disparition.

Signature de Pete Seeger

NDLR : Gérard De Smaele, qui l’an dernier a fait don au MIM d’une partie de sa documentation sur le banjo, nous dit encore ceci :

J’ai rencontré Pete Seeger (ainsi que les New Lost City Ramblers…) pour la première fois en 1976.
C’était à l’issue d’un concert au Town Hall de New York pour le 25e anniversaire de la revue Sing Out.
Nous avons parlé du banjo, de la Belgique et de Derroll Adams…
Je l’ai revu au Festival de la Smithsonian à Washington en été 1983, et il m’a plus tard invité chez lui en 1998, dans sa maison, à Beacon.
Il est venu me prendre en voiture électrique à la gare et nous avons passé une merveilleuse journée ensemble, une journée inoubliable …
En 2001 après l’envoi d’une copie de mon cd « Back Door », il m’a fait parvenir ce petit mot manuscrit :
Gérard!
Today I read your letter and listen to your beautiful tape. I envy your wonderful banjo frailing. Keep on.
Pete SEEGER, March 2001

Venant de sa part, ce fut le plus grand compliment jamais reçu dans ma vie.

(article paru dans le Canard Folk de juin 2014)