Interviews croisées de Jean-Michel Corgeron et de Marc Bauduin
Les tout nouveaux recueils de 300 airs pour accordéon diatonique basés sur la rubrique “A vos boutons” depuis ses débuts dans les années 80, sont le fruit d’une intense coopération belgo-française entre le Canard Folk et l’association Franches Connexions. Nous avions déjà qualifié les recueils réalisés par Jean-Michel Corgeron de “Rolls Royce des recueils pour accordéon”, tant ils sont complets, précis et bien structurés. A côté d’eux, le Canard Folk se veut modeste, voulant être utile au plus grand nombre avec des airs pas trop compliqués, sans s’offrir le luxe de proposer un doigté et des vidéos. Au vu des premières semaines de ventes, cela semble bien correspondre à un besoin.
Rappelons que Jean-Michel Corgeron sera présent au bal des 40 ans à Namur le 27 mai, tant comme musicien qui animera une partie du bal, que comme réalisateur avec une pile de recueils. Vous pourrez acheter quelques exemplaires sur place (en nombre limité), mais vous pouvez aussi les commander à l’avance sur le site de Franches Connexions en demandant qu’ils soient livrés lors du bal.
Nous avons proposé à Jean-Michel Corgeron et à Marc Bauduin de s’interviewer l’un l’autre en maximum 5 questions, afin qu’ils précisent leur point de vue sur ce projet commun.
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Questions à Jean-Michel Corgeron
Q : Encoder 300 airs, définir et encoder leur tablature, les paroles des chansons (en différentes langues !), et revoir tout cela d’un œil critique : ça doit demander un effort gigantesque, à moins que tu aies réussi à faire automatiser quelques fonctions. Peux-tu citer quelques chiffres et donner quelques commentaires ?
R : Les transcriptions étaient déjà faites (la quasi-totalité par Marc Bauduin). Il s’agissait « simplement » de les passer dans le système « Corgeron »… Mais pas d’automatisme à cela. Simplement un nombre d’heures qu’il ne vaut mieux pas compter !
Cela m’a permis d’encore améliorer (à la marge) la présentation de mes partitions/tablatures. Il me parait indispensable de réaliser des ouvrages agréables à consulter, avec du contenu, des sources et des illustrations. Et en ce domaine, je souhaite remercier la principale illustratrice de ces 3 volumes (« Mel » Melyssa Ahmétinsky) qui nous a permis de réutiliser ses dessins qui ont agrémenté la lecture de la revue au fil des 40 ans.
Pour réaliser mes transcriptions, j’utilise le logiciel FINALE (outil professionnel de gravure musicale). La mise en page est réalisée avec les logiciels de la suite ADOBE (Photoshop pour le traitement des photos, Illustrator pour la réalisation des schémas et plans de clavier, InDesign pour la mise en page).
Ces recueils sont destinés à être souvent manipulés, aussi la reliure métallique et une mise en page aérée en facilitent grandement l’usage.
Q : Qu’est-ce qui t’a attiré dans le répertoire du Canard Folk, qui par rapport à tes recueils précédents semble plus simple et plus traditionnel et n’est pas accompagné d’un cd/dvd ? Autrement dit, n’est-il pas d’une qualité moindre ?
R : Abonné depuis longtemps à la revue, j’avais noté la diversité du répertoire proposé et d’un niveau facile ou un peu moins. Ayant connaissance de quelques difficultés financières liées aux droits d’auteurs de la radio TradCan, j’ai dans un premier temps inséré une page de pub sur mes différentes publications pendant un an. Et comme je l’avais fait avec Trad Magazine, j’ai pensé que ressortir en recueil ces 300 morceaux pouvait apporter quelques subsides à la revue.
Par ailleurs, lors de tenues de stands, on me demandait régulièrement quels étaient les recueils avec des morceaux faciles. Voici donc maintenant une série de recueils qui viendra combler ce manque.
Niveau : facile (166), moyen (125), difficile (9)
J’ai donc traité l’ensemble de ce répertoire avec les mêmes soin et respect que pour mes précédents ouvrages.
Q : Est-il facile de vendre des recueils belges en France ? La Belgique, voire la Wallonie, vue d’Outre-Quiévrain, est-ce vraiment attirant ?
R : Les recueils sont produits en France par l’association Franches Connexions et sont diffusés partout en Europe, voire plus loin grâce au site internet www.franchesconnexions.com, des annonces sur les réseaux sociaux, et des facilités de paiement aujourd’hui offertes.
Le répertoire proposé, bien qu’il y ait de nombreux morceaux de Wallonie, est très ouvert tant au niveau des genres que des origines :
Genres : allemande, amoureuse, an dro, an dro – hanter-dro, anglaise, avant-deux, berceuse, bourrée à 2 temps, bourrée à 3 temps, branle, chanson, contredanse, cramignon, danse, galop, gavotte, gigue, hambo, hanter-dro, jig, jota, ländler, laridé 6 temps, laridé 8 temps, lucky seven, maclote, maraîchine, marche, mazurka, mazurka-polka, mazurka-valse, mélodie, noël, pach’ pi, polka, polka piquée, polska, redowacka, reel, rheinländer, ronde, rondeau, ruchenitsa, scottish, scottish-valse, slide, slip Jig, strathspey, tarentelle, valse, valse à 5 temps, valse à 8 temps, valse asymétrique, varsovienne, zwiefacher.
277 traditionnels : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique (Flandre, Wallonie), Bulgarie, Canada (Acadie, Québec), Chine, Croatie, Danemark (Îles Féroé), Espagne (Catalogne), Estonie, Finlande, France (Alsace, Auvergne, Berry, Bretagne, Gascogne, Gers, Hautes-Alpes, Lozère, Mayenne, Morvan, Provence, Quercy, Vendée, Vivarais), Irlande, Italie, Musique ancienne, Norvège, Pérou, Pologne (Poméranie), Portugal (Minho), Royaume-Uni (Angleterre, Écosse, Pays de Galles), Russie, Slovaquie, Suède (Ångermanland, Jämtland), Tchécoslovaquie (Moravie), Tchéquie, Turquie, USA.
23 compositions : Arthur Bauduin, Christian D’Huyvetter, Éric Elsener, Jan Geuns, Niel Gow, Yvon Guilcher, Marcel Halin, Michel Heijblom, Michael Kearney, Turlough O’Carolan, Phizaire, Claude Ribouillault, Jean-Pierre Schotte, Serge Thorey, Marianne Uylebroeck, Daniel Vacheresse, Thomas Walsh, Jean-Pierre Wilmotte.
Nous avons également choisi un prix abordable (20 € chaque recueil, 50 € les 3 volumes). Il nous a paru nécessaire de prendre en compte la baisse du pouvoir d’achat afin d’offrir ces recueils au plus grand nombre. D’ailleurs, alors que tout augmente, j’ai aussi décidé de mettre tous les recueils de Franches Connexions à 20 €.
Q : Comment qualifierais-tu la collaboration avec le Canard Folk ? Quels sujets ont amené le plus de discussions ? Et quelles sont les principales nouveautés par rapport à tes recueils précédents ? Inclure les paroles de chansons, peut-être ?
R : Collaboration très facile et argumentée des 2 côtés (merci Marc et Claire pour votre investissement).
Dans la lignée de ce qui était proposé par la revue, nous avons décidé qu’il n’y aurait aucun support physique pour la musique et que les mélodies seraient téléchargeables (format midi) sur le site de la revue. L’idée était également d’amener de nouveaux lecteurs à la revue et auditeurs à la radio.
Mes autres recueils sont en référence à des vidéos et on y trouve donc plus d’informations (doigtés proposés, jeu détaillé de la main gauche, variations et ornements). Ici, j’ai choisi de respecter ce qui avait été publié (mélodie avec accords la plupart du temps et tablature diato). Charge à chacun d’imaginer son doigté et son jeu de main gauche.
Q : Si c’était à refaire, tu recommencerais ? Avec quels éventuels changements?
R : Bien sûr que je recommencerais avec grand plaisir un tel projet. D’ailleurs, je vais m’atteler prochainement à reprendre sous forme de recueils tout ce que j’ai publié depuis 40 ans dans 10 revues (Accordéon et accordéonistes, Accordéon Magazine, Anche Libre, Courants d’airs, Diatonisch Nieusblad, Diatonix, Infoc, Le Tambourineur, Trad Magazine, tradition Vivante). La majorité de ces revues ont cessé leur activité et le recueil « 106 morceaux » édité par Trad Magazine, qui en reprenait une partie, est épuisé et ne sera pas réédité. De belles heures d’écriture en perspective et une mise à disposition de tous de ces différents répertoires pour l’accordéon diatonique.
Questions à Marc Bauduin
Q : Pourquoi avoir accepté ce projet (en plus de la revue et de la radio) ?
R : Je suis preneur de tout projet intéressant, pour autant qu’il ne consomme pas trop de nos ressources. En l’occurrence, ces dernières années plusieurs personnes m’avaient poussé à entreprendre ce genre de choses – dont j’avais envie – mais, même sans changer de système de tablature, cela aurait demandé beaucoup d’énergie. Pas réaliste. Alors, quand Jean-Michel est venu bardé de sa longue expérience, avec sa proposition de quasiment tout faire lui-même (encoder partitions et tablatures, commentaires, paroles et sources; créer de multiples index ; s’occuper de l’impression, de la promotion, de la vente, de l’expédition …), je n’ai pas longtemps hésité.
Le hic, c’est que j’ai malgré tout sous-estimé notre charge de travail. Car vérifier et re-vérifier 300 partitions et tablatures, leur tempo, leur niveau de difficulté, leurs sources et commentaires, les paroles des chansons, les fichiers midi ainsi que fournir les 300 couvertures de la revue et les autres illustrations, et puis aussi placer sur notre site web les fichiers midi et les compléments, et enfin participer à la publicité, tout cela a demandé des efforts importants sur une longue durée pour notre toute petite équipe de bénévoles. Au vu du résultat final, je ne regrette certes pas de nous avoir lancés dans ce projet un peu fou qui a le grand mérite de faire profiter un bon nombre de musiciens des mélodies et des infos qui sont parues dans la rubrique « A vos boutons » depuis ses débuts !
Q : Pourquoi, depuis près de 40 ans, n’as-tu proposé que des transcriptions pour un accordéon diatonique 2 rangs 8 basses (pas de 3 rangées) ?
R : J’y vois plusieurs raisons. Un Sol/Do 2 rangs 8 basses, c’est standard, à l’exception – peu fréquente – de ceux qui ont un bouton Sol/La inversé. Il y a bien, tout en haut, deux boutons particuliers qui peuvent contenir des altérations, mais ce ne sont pas toujours les mêmes notes (personnellement j’y ai fait mettre des notes graves), et ils sont placés tellement haut qu’en pratique ils ne sont guère utilisables – c’est pourquoi je ne les emploie pas dans les tablatures.
Si on ajoute des boutons à la main gauche, ou une troisième rangée complète ou incomplète à la main droite, il n’y a plus rien de standard dans cette course désordonnée vers un chromatisme bisonore, et l’utilité d’une tablature est fortement réduite. Mon deuxième accordéon est un hybride Sol/Sol#/La bisonore à droite, avec à gauche 3 x 12 boutons unisonores (basses, accords majeurs et accords mineurs) : on ne va pas tablaturer un truc pareil…
Q : Tu fais appel à de nombreuses sources documentaires pour le choix de tes morceaux et non à des enregistrements récents. Y-a-t-il une raison particulière?
R : C’est une bonne remarque. En fait, j’ai des tonnes de bouquins, entre autres des recueils, de différents pays et différentes époques, soit que j’ai reçus pour les chroniquer dans le magazine, soit que j’ai achetés chez des bouquinistes, ou en vacances, ou sur internet, et qui sont actuellement souvent épuisés. Je désire en faire profiter les musiciens.
Outre leurs avantages bien connus (aspect humain, nuances, émotions), les enregistrements ont pour moi le défaut qu’il est d’abord nécessaire de les décoder, ce que je ne fais pas facilement. Par ailleurs, les plus récents contiennent de plus en plus de compositions : c’est une bonne chose en soi, mais il faut chaque fois obtenir l’autorisation de les reproduire. De plus, j’ai tendance à considérer qu’il est encore possible de faire beaucoup de choses musicalement intéressantes rien qu’avec des airs traditionnels.
Q : Dans 10 ans, prêt pour un volume 4 ?
R : Oui évidemment, mais entretemps j’aimerais explorer les améliorations possibles en amont et en aval du recueil. Par exemple produire des fichiers d’un autre type que midi, s’ouvrir partiellement à des instruments qui ont d’autres tonalités, développer l’aspect collaboratif (pour que tout musicien puisse facilement consulter et fournir des commentaires, des variations, des secondes voix), mieux profiter des nouvelles technologies …
(article paru dans le Canard Folk de mai 2023)